Une très forte activité de Sgr A* a eu lieu il y a environ 200 ans, c'est ce que nous révèle une étude de chercheurs internationaux menés par Frédéric Marin de l'Observatoire de Strasbourg. Ils arrivent à cette conclusion grâce à la mesure de la polarisation d'un écho de rayons X à proximité du centre galactique. L'étude est publiée dans Nature.
Aujourd'hui, Sgr A* est est dans un état de repos avec une luminosité qui est de plusieurs ordres de grandeur inférieure à celle des noyaux galactiques actifs. Mais cela n'a pas toujours été le cas. On peut connaître l'émission de rayons X passée provenant de Sgr A* (ou de son voisinage très proche) grâce au phénomène d'écho qui peut avoir lieu. Lors d'un phénomène éruptif, les rayons X sont en effet émis dans toutes les directions, pas uniquement notre ligne de visée. Et ceux qui partent dans d'autres directions peuvent rencontrer par exemple des nuages de gaz qui peuvent rediffuser ces rayons X, cette fois-ci dans notre direction. Nous pourrons donc voir ce rayonnement d'éruption, mais avec un décalage temporel (et spatial). Mais le phénomène de diffusion sur ces nuages de gaz s'accompagne d'une modification de la polarisation de la lumière X. Et en observant la polarisation de rayons X provenant de nuages de gaz moléculaires, les astrophysiciens peuvent savoir que ce sont des rayons X d'un écho, d'une part, et ils peuvent également connaître la direction d'origine de ces rayons X. C'est avec le télescope spatial IXPE (qui a été lancé juste avant le télescope Webb fin 2022 et qui est de ce fait passé inaperçu, ou presque) que les chercheurs ont mesuré la polarisation du rayonnement X intense de nuages moléculaires situés à 25 pc autour de Sgr A*, qui sont nommés fort logiquement Sgr A. Marin et ses collaborateurs ont également utilisé des observations du télescope spatial Chandra à haute résolution angulaire pour identifier les régions où l'émission réfléchie est forte et pour extraire les spectres de ces régions. Les cartes de luminosité de surface des rayons X dans la bande 4–8 keV ont ainsi été obtenues. Ils ont mesuré avec IXPE un degré de polarisation de 31% ±11%, et un angle de polarisation de −48° ±11°.
L'angle de polarisation qui est mesuré est compatible avec la direction de Sgr A∗ depuis ce nuage de gaz comme étant la principale source d'émission, et le degré de polarisation élevé implique que la luminosité X provenant de l'environnement très proche de Sgr A* était énorme, sans commune mesure avec son activité actuelle. Les chercheurs montrent que l'intensité devait être comparable à ce que l'on voit sur une galaxie à noyau actif de type Seyfert.
Le degré de polarisation P du rayonnement réfléchi est directement lié à l'angle de diffusion θ dans l'approximation de la diffusion unique, on a P = (1 − μ² )/(1 + μ²), où μ = cosθ. Toute valeur de P produit donc deux solutions pour l'angle de diffusion : θ et π − θ . Pour un degré de polarisation P = 31 ± 11%, les solutions sont donc 43° (+7− 8) et 137° (−7+ 8). L'incertitude sur l'angle de diffusion est causée par l'erreur systématique d'environ 30 % dans la valeur de P . Ces angles fixent ainsi la géométrie de diffusion ; la plus petite valeur correspond aux nuages situés entre nous et le trou noir supermassif et la plus grande aux nuages qui sont situés au-delà de Sgr A*.
Pour un angle de diffusion θ donné , on peut également calculer l'âge de l'éruption (c'est-à-dire le délai associé à la propagation des rayons X de la source primaire au nuage). En adoptant une distance projetée entre Sgr A * et les nuages diffusants de 25 pc, Marin et ses collaborateurs obtiennent pour les deux solutions θ des valeurs de 33 (+6-7) ans et 205 (-30+50) ans respectivement. Du point de vue des propriétés de polarisation, les deux solutions sont équivalentes. Mais pour les chercheurs, l'éruption "plus ancienne" est beaucoup plus plausible. Tout d'abord, pour le nuage situé bien en arrière de SgrA*, la vitesse de propagation du front lumineux de l'éruption se rapproche de c/2, alors que pour le nuage situé devant, cette vitesse est toujours supérieure à c . Ainsi, pour une éruption courte, un nuage situé derrière Sgr A *restera brillant plus longtemps que le même nuage devant lui, et donc, en moyenne, les chances de le repérer dans une phase brillante sont plus élevées. Par ailleurs, la solution "plus jeune" d'éruption de Sgr A* il y a seulement 33 ans aurait été observée directement grâce à nos instruments de 1990. Or, les nuages moléculaires géants étaient brillants à l'époque alors que Sgr A * ne l'était pas. Le premier scénario d'une éruption intense il y a 200 ans est donc adopté par Marin et ses collaborateurs.
Reste maintenant à savoir qu'est-ce qui a bien pu se passer il y a 200 ans à proximité immédiate de SgrA* et qui a produit autant de rayons X (une intensité multipliée par 1 million) sur un aussi court laps de temps (pas plus de 2 ans d'après l'intensité des échos observée). Les astrophysiciens proposent plusieurs réponses possibles : la fluence observée pourrait être le produit de supernovas de type Ia, de sursauts de rayons γ sous-lumineux, d'une destruction d'étoile par effet de marée ou d'une accrétion transitoire de matière sur de trou noir supermassif non liée à la perturbation de marée. Mais quand on compare les taux d'événements attendus, ces considérations favorisent nettement Sgr A* comme candidat principal, donc plutôt un processus de destruction maréale d'étoile ou une acrétion transitoire de gaz, bien que d'autres scénarios ne soient pas complètement éliminés.
La détection de l'émission de rayons X faible et diffuse due à la réflexion sur des nuages moléculaires dans la région du centre galactique reste un exercice difficile. Les données de IXPE démontrent que cet objectif est à la portée de ce beau télescope spatial, ouvrant la voie à de futures observations plus longues qui permettront une analyse plus détaillée. La mesure de la polarisation spatialement résolue pourrait notamment permettre de vérifier le scénario d'éruption unique, et la détermination de la polarisation intrinsèque des éruptions pourra également offrir une sonde de l'origine de ce rayonnement et apporter des contraintes sur les scénarios d'éruptions multiples.
Source
X-ray polarization evidence for a 200-year-old flare of Sgr A*
Frédéric Marin, et al.
Nature (21 juin 2023)
Illustration
Cartes en rayons X de la zone de nuages moléculaires SgrA obtenues avec IXPE et Chandra, montrant la présence d'un écho d'une éruption intense passée. (Marin et al.)
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