mardi 5 décembre 2023

Mesure inédite du ringdown dans GW190521 et réévaluation à la hausse de la masse du trou noir résultant


GW190521 est la détection gravitationnelle de la fusion de trous noirs les plus massifs à ce jour menant à un trou noir de 142 masses solaires. Plus de quatre ans après sa détection, des physiciens ont réanalysé les données et ils parviennent à isoler le signal de ringdown qui a suivi la fusion, le signal d'ondes gravitationnelles qui correspond au moment où le trou noir final reprend une forme parfaitement sphérique. C'est la toute première fois que l'on parvient à observer ce signal spécifique, qui nous permet de vérifier à nouveau la théorie de la relativité générale. L'article est paru dans Physical Review Letters la semaine dernière.   

Depuis les débuts de l'astrophysique des ondes gravitationnelles en 2015, la détection de fusions de trous noirs binaires est devenue un phénomène courant. Les détecteurs LIGO, VIRGO et KAGRA détectent désormais de telles fusions plusieurs fois par semaine, en moyenne. C'est la fréquence des ondes gravitationnelles et la façon dont cette fréquence augmente dans le temps jusqu'au moment de la fusion qui révèle les masses des deux objets et du trou noir unique qui résulte de leur fusion. De manière générale, plus les objets sont massifs, plus leurs orbites sont longues au moment de la fusion et plus la fréquence de leurs ondes gravitationnelles est basse. Mais la fréquence de GW190521 était si basse que le système n'est entré dans la plage de sensibilité de LIGO et Virgo qu'au cours de ses deux dernières orbites. 
Collin Capano (University of Massachusetts, Dartmouth) et ses collaborateurs voulaient voir si les ondes gravitationnelles de cet événement pouvaient transporter des informations non seulement sur la période précédant la fusion, mais également sur les instants immédiatement après celle-ci. Il faut se rappeler qu'au moment où deux trous noirs fusionnent, le trou noir résultant a une forme non sphérique. Mais les trous noirs ne sont stables que lorsqu’ils sont sphériques (ou sphéroïdaux s’ils tournent rapidement). En quelques millisecondes, les trous noirs issus d'une fusion se stabilisent dans une forme symétrique à moindre énergie. De la même manière qu'une cloche sonne avec des fréquences spécifiques déterminées par sa forme, le trou noir en train de se stabiliser « sonne » et émet des ondes gravitationnelles avec des fréquences déterminées par sa masse et sa rotation. La mesure des fréquences de ce "ringdown" offre ainsi une alternative à la mesure des fréquences de la coalescence lorsqu’il s’agit d’estimer les propriétés du trou noir.

Les chercheurs ont donc repris les données publiques de GW190521 et les ont réanalysées avec leurs méthodes et leur logiciels. En travaillant sur la base du modèle de trou noir de Kerr, ils ont alors trouvé deux modes d'oscillation quasi normaux distincts : le mode (220) qui avait déjà été détecté dans le passé, et le mode (330), ce qui est tout nouveau. Le deuxième mode étant très faible, il n'avait pas été trouvé dans l'analyse de 2019. Et grâce à ces deux modes de vibration,  Capano et ses collaborateurs arrivent à déterminer les deux paramètres du trou noir : sa masse et son moment cinétique (spin). Ils trouvent une masse redshiftée (Mf (1+z)) pour ce trou noir résultant qui vaut 330 (+30/-40) masses solaires et un spin sans dimension (Jf/Mf²) de 0,86 (+0,06/-0,11). La collaboration LIGO/Virgo dans son analyse de 2019, avait trouvé une masse finale plus faible : Mf(1+z) =259,2 [+36.6 −29.0] M et un spin également plus faible de 0,72 (+0,09/-0,12) .  
Sachant que ce trou noir se trouve à un redshift z=0,82 (5,3 Gpc), LIGO trouvait une masse de 142 M et Capano et son équipe trouvent aujourd'hui 181 M... Il y a donc un facteur 1,27 en plus par rapport à ce que suggérait l'analyse originale de l'équipe LIGO-Virgo... 


Et les trous noirs devant satisfaire au théorème "no hair", le spectre de mode quasi-normal du trou noir doit être fortement contraint puisque le spectre entier doit être déterminé par seulement deux nombres (masse et spin). De ce point de vue, les physiciens ne trouvent aucun écart par rapport aux prédictions de la relativité générale : cette nouvelle analyse montre que les fréquences et les temps d'amortissement des modes quasi-normaux sont cohérents avec les prédictions de la théorie d'Einstein et les équations de Roy Kerr qui décrivent un trou noir en rotation.

Le résultat concernant la masse finale et le spin sont quelque peu en contradiction avec la masse et le spin finaux déduits en 2019. Capano et ses collaborateurs estiment que les modèles complets de forme d'onde utilisés dans les analyses antérieures pouvaient ne pas inclure tous les paramètres physiques pertinents. Et couplé au fait que GW190521 avait un signal de coalescence très court, cela peut conduire, selon les chercheurs, à des erreurs systématiques pour l'estimation des paramètres. Ils citent par exemple le fait que les modèles de forme d'onde utilisés dans l'analyse des collaborations LIGO et Virgo supposent des orbites quasi-circulaires. Mais plusieurs études ont indiqué que le système binaire pourrait avoir été excentrique au moment de la fusion. Ces études ont également trouvé des valeurs légèrement plus élevées pour la masse totale du trou noir résultant ce qui serait plus cohérentes avec cette nouvelle estimation de la masse finale.
Pour les chercheurs, les formes d'onde du signal de ringdown qui sont utilisées dans cette étude sont plus simples et plus robustes que les modèles complets de signal de coalescence pour des signaux comme GW190521, à condition qu'ils soient appliqués suffisamment tard dans le régime post-fusion. Ici, c'est entre 6 et 12 ms après la fusion que les modes de ringdown sont détectés. Cet argument tendrait à favoriser les estimations qui sont dérivées dans cet article, et une tension existe bel et bien entre entre les deux analyses. Mais Capano et ses collaborateurs précisent qu'une résolution complète de cette tension dépasse le cadre de leur article. 

Forteza et al. avaient en tous cas prédit en 2015 que pour les trous noirs binaires modérément asymétriques (avec des rapports de masse ≳1,2), le mode de vibration (330) serait le meilleur mode observable. Ils ont également prédit que la fréquence du mode (330) pourrait être contrainte au niveau de ∼10% si le rapport signal/bruit du ringdown était supérieur à 8. Les résultats de Capano et collaborateurs sont remarquablement cohérents avec cette prédiction : ils obtiennent un rapport signal/bruit d'environ 12, et ils contraignent la fréquence du mode (330) à moins de ∼10% de la valeur attendue de la relativité générale. Les masses étonnamment élevées des deux trous noirs impliqués dans l'événement GW190521 avaient incité de nombreux chercheurs à chercher des explications un peu dans tous les sens, avec dans la plupart des cas des réévaluations de la masse totale. En novembre 2022, nous avions par exemple parlé de la solution proposée d'une collision quasi frontale entre deux trous noirs pour produire ces ondes gravitationnelles GW190521 (voir épisode 1423). La masse totale trouvée dans ce cas était de seulement 133 masses solaires.  Le ringdown permet donc d'exclure ce type de solution qui avait pourtant un certain attrait. 

En résumé, Capano et son équipe ont montré que GW190521 présente un mode sous-dominant distinct et qu'il est cohérent avec le mode (330) de ringdown d'un trou noir de Kerr. Et ce mode permet de trouver une valeur de masse plus robuste que dans les analyses antérieures, avec une nouvelle valeur 1,27 fois plus élevée que ce que l'on pensait jusqu'alors... Ce trou noir était déjà le plus massif déniché par LIGO, il semblerait que ça se confirme encore d'avantage.

Source

Multimode Quasinormal Spectrum from a Perturbed Black Hole
Collin D. Capano, et al.
Phys. Rev. Lett. 131, 221402 (28 November 2023)


Illustrations

1. Le signal de GW190521 détecté par LIGO et Virgo en 2019 (LIGO+Virgo collaborations)
2. Ratio d'amplitude des deux modes (220) et (330) et probabilité spin vs. masse (Capano, et al.)
3. Collin Capano

2 commentaires :

Xavier S. a dit…

Bonjour
S'agissant d'ondes, les modes (330) et (220) sont-ils exprimés en Hz? A quoi correspond cette convention d'écriture?

Dr Eric Simon a dit…

Non, non, les modes (330) et (220) dont il est question ici sont reliés à des harmoniques sphériques décrites par trois nombres : l, m et n.
(330) correspond à l=3, m=3, et n=0 par exemple.