jeudi 7 décembre 2023

Des composés azotés dans les échantillons de l'astéroïde Ryugu


L'analyse des petits échantillons de l'astéroïde Ryugu révèlent une quantité de composés azotés étonnante. Cela indique que l'azote terrestre aurait pu avoir une origine directement liée aux météorites provenant de l'extérieur du système solaire. L'étude des chercheurs japonais qui arrivent à cette conclusion est publiée dans Nature Astronomy

La sonde spatiale Hayabusa2 de l'Agence spatiale japonaise (JAXA) a exploré Ryugu et ramené sur Terre des matériaux de sa surface en 2020. Cet astéroïde carboné géocroiseur de type C est connu pour  d'une part être riche en carbone et d'autre part avoir subi une altération importante causée par des collisions de micrométéorites et une exposition aux protons provenant du soleil, des modifications de surface cumulatives connues sous le nom générique d'altération spatiale. Les échantillons de Ryugu sont chimiquement primitifs et cohérents avec les chondrites carbonées de type CI. Dans leur étude, Toru Matsumoto (université de Kyoto) et ses collaborateurs ont cherché des indices sur les matériaux arrivant près de l'orbite terrestre, où se trouve actuellement Ryugu, en examinant des preuves de l'altération dans les échantillons de l'astéroïde. Ils ont exploré les petits grains à l'aide d'un microscope électronique, ils ont pu constater que la surface des échantillons de Ryugu est recouverte de minuscules minéraux composés de fer et d'azote : du nitrure de fer : Fe4N. 

Les composés azotés, comme les sels d'ammonium par exemple, sont abondants dans les matériaux des régions éloignées du soleil, mais les preuves de leur transport vers la région orbitale de la Terre étaient toujours mal contraintes. Des analyses isotopiques de grains d'ilménite lunaire avaient tout de même révélé en 2002 que l'apport d'azote exogène à la surface lunaire provenait des micrométéoroites tombant sur la Lune, mais l'abondance d'azote dans ces micrométéoroites n'avait pas été quantifiée. Dans cette étude déjà vieille de plus de 20 ans, Hashizume et al. montraient que l'azote exogène peut être piégé dans le régolithe lunaire par chimisorption ou par formation de nitrure avec le silicium ou le titane.
D'autres études d'échantillons de régolithe de la Lune et de l'astéroïde Itokawa ont suggéré en outre que le fer métallique est le produit représentatif de l'altération spatiale des minéraux silicatés et des sulfures de fer. En raison de la grande réactivité du fer métallique, celui-ci pourrait réagir avec des composants exogènes lorsqu’ils se forment sur des surfaces exposées à l’espace. Dans les grains de Ryugu, les phyllosilicates altérés dans l'espace montrent qu'il y a eu une réduction de l'ion Fe3+ en Fe2+. L’origine du fer métallique dans l’environnement hautement oxydé de Ryugu reste une question ouverte, et dans leur étude, Matsumoto et ses collaborateurs se sont concentrés sur les sulfures de fer, la magnétite et le carbonate, qui sont les principaux minéraux ferreux des échantillons de Ryugu. 

Les chercheurs japonais montrent qu'il existe une fine couche de nitrure de fer à la surface des particules de magnétite (oxyde de fer) sur plusieurs grains de l'échantillon. Ils expliquent que ce sont les collisions de micrométéorites qui doivent déclencher des réactions chimiques sur la magnétite à la surface de l'astéroïde et conduisent à la formation de nitrure de fer. Lorsque la magnétite est exposée à l’environnement spatial, des atomes d’oxygène sont éjectés de la surface par l’irradiation des protons du vent solaire et par chauffage dû à l’impact des micrométéorites. Ces processus forment du fer métallique à la surface même de la magnétite, qui réagit ensuite facilement avec l'ammoniac, créant des conditions idéales pour la synthèse du nitrure de fer. On parle de nitruration du fer métallique par les impacts de micrométéorites. Et ces micrométéorites auraient des teneurs en azote plus élevées que les chondrites CI. Selon Matsumoto et ses  collaborateurs, les impacteurs sont probablement des matériaux primitifs provenant des réservoirs riches en azote du système solaire externe. 

Les chercheurs précisent que les analyses futures du rapport 14N/15N permettront de limiter davantage l'origine du nitrure, car ce rapport isotopique varie à travers le système solaire. Il n'est pas le même dans la partie externe et dans la partie interne du système En tous cas, si de la poussière riche en azote est présente sur l'orbite de Ryugu, cela signifie que des impacts de poussière peuvent avoir eu lieu dans la région proche de la Terre depuis très longtemps.

La plupart des poussières poreuses chondritiques et des micrométéorites ont des rapports azote/carbone similaires à ceux des chondrites carbonées. Il a été proposé que des sels azotés soient probablement contenus dans les poussières cométaires mais soient perdus lors de leur entrée dans l'atmosphère terrestre. Pour les chercheurs, la nitruration sur Ryugu peut correspondre à des preuves de transport d'azote sous forme de solide réfractaire, comme des sels, vers l'orbite actuelle de Ryugu. Cela impliquerait que la poussière atteignant le système solaire interne a des teneurs en azote plus élevées que celles attendues à partir de ce qui est observé dans la plupart des poussières et des micrométéorites retrouvées en Antarctique. Selon les chercheurs, des composants azotés évitant la sublimation auraient ainsi pu être disponibles lors de l'accrétion de la Terre, pouvant ensuite servir de base à la chimie organique complexe et à la vie. 


Source

Influx of nitrogen-rich material from the outer Solar System indicated by iron nitride in Ryugu samples
Toru Matsumoto et al.
Nature Astronomy (30 november 2023)

Illustrations

1. Echantillons de Ryugu observés au microscope électronique (Matsumoto et al.) 
2. Détails sur un grain de magnétite recouvert de nitrure de fer (Matsumoto et al.)
3. Toru Matsumoto

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