13/09/25

Test concluant du théorème de l'aire des trous noirs de Hawking et de leur nature de Kerr


En 1971, Stephen Hawking avait publié un théorème intrigant, connu également sous le nom de deuxième loi de la mécanique des trous noirs : la surface totale d’un trou noir ne peut pas diminuer, mais seulement augmenter ou rester stable. Ainsi, si deux trous noirs fusionnent, le trou noir nouvellement formé aura nécessairement une surface plus grande (alors que sa masse sera plus petite que la somme des deux). Ce phénomène est connu sous le nom de théorème des aires de Hawking. Ce théorème vient d'être confirmé par l’analyse du signal gravitationnel provenant d’une fusion de trous noirs détectée en janvier dernier et qui fournit le signal le plus clair jamais observé par LIGO. L'article est publié dans Physical Review Letters.

Cette belle avancée coïncide avec le dixième anniversaire de la première détection d'une fusion de trous noirs par la collaboration LIGO. Par ailleurs, un deuxième article, soumis (mais non encore accepté), pose des limites théoriques à la troisième tonalité prédite, plus aiguë, qui pourrait se cacher dans le signal d'ondes gravitationnelles de l'événement.

La collaboration LIGO/Virgo/KAGRA (LVK) détecte les ondes gravitationnelles par interférométrie laser , utilisant des lasers de haute puissance pour mesurer les infimes variations de distance entre deux objets distants de plusieurs kilomètres. LIGO dispose de détecteurs à Hanford, dans l'État de Washington, et à Livingston, en Louisiane. Un troisième détecteur, Advanced Virgo, est entré en service en Italie en 2016. Au Japon, KAGRA est le premier détecteur d'ondes gravitationnelles d'Asie et le premier à être construit sous terre. La construction de LIGO-India a débuté en 2021, et les physiciens prévoient sa mise en service dans les années à venir.

Chaque instrument est si sensible qu'il capte également de faibles vibrations ambiantes, comme le grondement d'un train de marchandises ou les vibrations thermiques naturelles des détecteurs eux-mêmes. La collaboration LIGO met donc tout en œuvre pour protéger ses instruments et minimiser le bruit dans ses données. Le 14 septembre 2015, les deux détecteurs avaient capté des signaux à quelques millisecondes d'intervalle pour la toute première fois. La détection de ces signaux a été une prouesse remarquable, et personne n'a été surpris lorsque la première observation directe d'ondes gravitationnelles a remporté le prix Nobel de physique en 2017 .

Depuis, LVK a détecté quelques fusions d'étoiles à neutrons, dont GW170817 qui a inauguré l'ère de l'astronomie à multimessagers (ondes gravitationnelles + ondes électromagnétiques). La collaboration a également détecté des fusions asymétriques, où un trou noir est beaucoup plus massif que son partenaire, ainsi que des découvertes remettant en question le soi-disant « écart de masse » entre les trous noirs et les étoiles à neutrons. Cet été, la collaboration LIGO/Virgo/KAGRA a annoncé lors d'une conférence scientifique, la détection de la fusion la plus massive jamais observée entre deux trous noirs (baptisée GW231123), donnant naissance à un nouveau trou noir de 225 masses  solaires. L'article n'est pas encore publié mais devrait l'être bientôt.

Il faut dire que LIGO a été amélioré à plusieurs reprises depuis 2015, et est désormais près de quatre fois plus sensible que lors de l'enregistrement de cette première fusion de trous noirs. Cette sensibilité a permis à la collaboration d'enregistrer le signal d'onde gravitationnelle le plus propre à ce jour, en termes de rapport signal/bruit, baptisé GW250114. Cet événement était remarquablement similaire au premier de 2015, impliquant deux trous noirs d'environ 30 masses solaires dont la fusion a produit un signal tout aussi puissant et a donné naissance à un nouveau trou noir d'environ 63 masses solaires. Mais la différence de qualité des deux signaux a permis aux chercheurs de mieux isoler certaines fréquences ou tonalités du « ringdown », les vibrations du trou noir résultant juste après la fusion. Et ces données cruciales permettent de calculer les propriétés du nouveau trou noir et les comparer aux prédictions théoriques.

D’un point de vue théorique, on s’attend à ce que les trous noirs soient des objets remarquablement simples. Selon la théorie de la relativité générale d'Einstein et sous certaines hypothèses de régularité, les trous noirs stationnaires isolés peuvent être entièrement caractérisés par seulement trois paramètres : la masse, le spin et la charge électrique. Pour les trous noirs neutres, cela implique que la masse et le spin déterminent le système par la métrique de Kerr, la solution axisymétrique et neutre unique aux équations d'Einstein. Cette singularité est étroitement liée à des conjectures clés de la gravitation classique, notamment la faible censure cosmique et la stabilité des trous noirs en rotation, qui restent toutes deux non prouvées.

L'unicité et l'absence de caractéristiques implicites des trous noirs donnent lieu à des paradoxes dans le contexte de la mécanique quantique et de la thermodynamique. Les lois de la mécanique des trous noirs, que l'on soupçonnait à l'origine de ne rappeler que par coïncidence la mécanique statistique, établit les trous noirs comme de véritables systèmes thermodynamiques : le rôle de l'entropie est attribué à la zone de l'horizon des événements, tandis que les trous noirs rayonnent en raison d'effets quantiques comme un corps noir avec une température liée à leur gravité de surface. La thermodynamique des trous noirs joue un rôle clé dans la quête visant à réconcilier la gravité avec le reste de la physique, à travers des concepts tels que la perte d'information, la gravité holographique, ou l'interprétation microscopique de l'entropie du trous noirs.

Les trous noirs jouent un rôle central dans la phénoménologie et l'évolution de l'Univers, affichant des comportements riches et complexes, de l'échelle stellaire à l'échelle galactique. On s'attend à ce que les trous noirs ne soient pas significativement chargés, se conformant ainsi à la métrique de Kerr. Cependant, la mesure dans laquelle ils le font reste une question ouverte. Et heureusement, les ondes gravitationnelles peuvent éclairer cette hypothèse en sondant par l'observation la nature Kerr des trous noirs.

Bien que les coalescences de trous noirs présentent des champs gravitationnels parmi les plus puissants et les plus dynamiques, leurs états initial et final sont simples. Une coalescence débute par une longue spirale, au cours de laquelle deux trous noirs orbitent et se rapprochent l'un de l'autre, le système perdant de l'énergie et du moment cinétique sous l'effet du rayonnement gravitationnel. Après la fusion, le trou noir résiduel « sonne » alors qu'il s'installe dans un état Kerr quiescent. Dans ce contexte, supposer un trou noir de Kerr implique un spectre de résonance spécifique (fréquences et taux d'amortissement), qui est une fonction connue de la masse et du spin du trou noir. Parallèlement, la deuxième loi de la mécanique des trous noirs, également connue sous le nom de loi de l'aire de Hawking, exige une augmentation nette de l'aire totale de l'horizon des événements tout au long de la coalescence.

Le signal d'onde gravitationnelle GW250114 a été observé par les deux détecteurs LIGO avec un rapport signal/bruit de 80. L'analyse montre que les masses des deux trous noirs étaient presque égales : 𝑚1=33.6 (+1.2 −0.8⁢) 𝑀⊙ et 𝑚2=32.2 (+0.8−1.3⁢) 𝑀⊙, et avec de petits spins : 𝜒 ≤ 0.26, ainsi qu'une excentricité négligeable 𝑒⁢ ≤0.03. 

Les chercheurs de LVK montrent que les données post-fusion excluant la région de pic sont cohérentes avec le mode quadripolaire dominant(ℓ=|𝑚|=2) d'un trou noir de Kerr et sa première harmonique. Les chercheurs fournissent ainsi un test robuste de la nature de Kerr du trou noir résultant. 

Une série d'analyses confirme ensuite que la surface du trou noir résiduel est supérieure à la somme des surfaces initiales, Les données de GW250114 révèlent que les deux trous noirs initiaux avaient une aire totale d'environ 240 000 kilomètres carrés. Après la fusion, le nouveau trou noir mesurait environ 400 000 kilomètres carrés.

Même si cette affirmation est très simple – "les aires ne peuvent qu'augmenter" – elle a d'immenses implications. Stephen Hawking et Jacob Bekenstein ont notamment montré en 1974 que l'aire d'un trou noir est en fait proportionnelle à son entropie, qui doit également augmenter selon la deuxième loi de la thermodynamique. C'est un élément clé des tentatives actuelles de développement d'une théorie quantique de la gravité. 

Le signal d'ondes gravitationnelles GW250114 marque une étape importante dans l'histoire de la science des ondes gravitationnelles. Grâce à son rapport signal sur bruit élevé, GW250114 offre une vision extrêmement claire du processus hautement dynamique par lequel deux trous noirs fusionnent pour donner naissance à un trou noir résiduel. Les données de LIGO Hanford et LIGO Livingston sont donc compatibles avec les multiples modes quasinormaux d'un trou noir de Kerr et avec la loi des aires de Hawking.

Ces résultats suggèrent que les trous noirs astrophysiques sont effectivement des objets extrêmement simples, conformes à la relativité générale et à la description de Kerr. Le résidu de la fusion fortement perturbé se stabilise dans un état de repos à entropie plus élevée en quelques échelles de temps dynamiques. La prochaine décennie de l'astrophysique des ondes gravitationnelles promet d'enrichir encore notre compréhension des trous noirs.

Source

GW250114: Testing Hawking’s Area Law and the Kerr Nature of Black Holes

A. G. Abac et al.

Phys. Rev. Lett. 135 (10 September, 2025)

https://doi.org/10.1103/kw5g-d732


Illustrations

1. Le signal GW250114 enregistré par les deux détecteurs interférométriques de LIGO (Abac et al.)

2. Formule de l'aire d'un trou noir de Kerr (m est la masse et χ le spin.

04/09/25

Observation d'une étoile complètement dépouillée avant son explosion en supernova


La supernova 2021yfj a été repérée peu après l'explosion et a révélé quelque chose que les astrophysiciens n'avaient jamais vu auparavant : une couche riche en silicium et en soufre qui, selon les théories, entourerait le cœur des étoiles massives. L'étude de cette supernova fournit des informations sans précédent sur la formation des éléments lourds dans les étoiles et remet en question notre compréhension de la façon dont les étoiles perdent leurs couches externes dans leurs derniers instants. Elle est parue dans Nature.

Dans les régions centrales des étoiles, les pressions et les températures élevées fusionnent les éléments légers en éléments plus lourds. Ce processus commence par la fusion de l'hydrogène en hélium, suivie progressivement par la formation d'éléments plus lourds tels que l'oxygène, le carbone, le soufre, le silicium et le fer au cours des étapes suivantes de la vie de l'étoile. La fusion libère de l'énergie qui contrebalance les effets de la gravité, empêchant ainsi l'étoile de s'effondrer sur elle-même. La fusion d'éléments plus lourds que le carbone ne se produit quant à elle que dans les étoiles dont la masse est de plus de huit masses solaires. Ce processus crée une structure en couches, dans laquelle les éléments les plus légers se trouvent à l'extérieur et les éléments plus lourds vers le centre.

La création d'éléments plus lourds que le fer par fusion nucléaire nécessite plus d'énergie que celle libérée, ce qui signifie que le fer, qui est le produit de la fusion du silicium et du soufre, est l'élément le plus lourd qui se forme dans les étoiles (avant qu’elles n’explosent).

La théorie de l’effondrement gravitationnel est bien établie depuis des décennies, mais l'observation des couches prévues s'est avérée très difficile. Les étoiles sont opaques, ce qui empêche les astrophysiciens d'observer leur structure interne par spectroscopie et ainsi de déterminer la composition chimique. Et lorsqu'elle explose, la violence de la supernova mélange généralement les couches. Cela signifie que la plupart des observations spectroscopiques des supernovas sont dominées par l'hydrogène et l'hélium.

Avant d'exploser en supernova, certaines étoiles massives forment un type d'étoile appelé Wolf-Rayet, qui a perdu son hydrogène externe, exposant une couche d'hélium ou, plus rarement, une couche de carbone et d'oxygène. Les couches les plus internes, dans lesquelles sont forgés les éléments plus lourds essentiels à la formation des planètes rocheuses, sont toutefois restées cachées.

Steve Schulze (université de Stockholm) et ses collaborateurs ont découvert que la supernova 2021yfj est une exception. Le spectre lumineux de la supernova, observé avec le télescope Keck à Hawaï, est dominé par le silicium et le soufre qui se sont formés dans les profondeurs de l'étoile. La vitesse de ces éléments, qui peut être calculée à partir de leurs spectres, indique qu'ils ne faisaient pas partie de la supernova. Au contraire, cette couche située à l'extérieur du noyau de fer a été expulsée de l'étoile peu avant son explosion. Lorsque l'étoile a explosé en supernova, la matière de la supernova est entrée en collision avec la couche de silicium et de soufre expulsée. Et cette collision a chauffé la couche expulsée, la faisant briller. La composition de la couche incandescente a été révélée par une observation effectuée seulement 24 heures après la découverte de 2021yfj. Les modèles du spectre de la supernova indiquent également que la concentration en silicium et en soufre dans l'étoile était environ 100 fois plus élevée que dans le Soleil.

Schulze et ses collaborateurs ont en fait effectué la toute la première observation d'une étoile massive qui a été dépouillée de sa matière externe, exposant ainsi une couche qui était jusqu'alors invisible.

Cette découverte est étonnante pour plusieurs raisons. Premièrement, elle confirme que les étoiles ont la structure en couches théoriquement prévue jusqu'à leurs couches riches en silicium et en soufre. Deuxièmement, elle révèle directement où ces éléments sont fabriqués dans les étoiles massives. Troisièmement, et c'est une vraie découverte, elle montre que certains processus peuvent dépouiller une étoile massive de presque toutes ses couches externes juste avant qu'elle n'explose.

Ce dernier point pose un défi particulier à la théorie actuelle. Les étoiles perdent de la masse tout au long de leur vie par le biais des vents stellaires, qui sont des flux de particules s'échappant de leur surface. Mais les modèles conventionnels ne permettent pas d'expliquer facilement comment une étoile peut perdre autant de matière, et si rapidement, pour que sa couche riche en silicium se retrouve ainsi exposée. Les auteurs estiment qu'une masse environ trois fois supérieure à celle du Soleil aurait dû être expulsée pour créer la coquille observée. Cela suggère donc que certaines étoiles subissent des épisodes de perte de masse extrême au cours de leurs dernières années ou décennies, par le biais de mécanismes qu’on ne comprend pas encore.

Il existe plusieurs explications possibles. Les étoiles peuvent subir de violentes pulsations vers la fin de leur vie, ce qui aurait pu éjecter les couches externes de 2021ysj. Alternativement, si l'étoile avait fait partie d'un système binaire, les interactions gravitationnelles auraient pu arracher la matière externe.

Cette découverte offre une fenêtre sans précédent sur les noyaux stellaires. Bien que la couche expulsée soit principalement composée de silicium et de soufre, les chercheurs ont également trouvé des traces de petites quantités d'hélium. Et ça c’est encore plus déroutant, car les modèles théoriques ne prédisent pas que ces éléments devraient coexister dans la même couche stellaire. Cela pourrait indiquer qu'un certain mélange s'est produit.

Une chose est sûre, c'est que de tels événements sont rares. Les auteurs estiment qu'au maximum, une supernova qui ressemble à SN 2021yfj sur le plan spectroscopique doit se produire une fois pour mille supernovas dont les couches externes sont dépourvues d'hydrogène ou d'hydrogène et d'hélium. Il devrait donc être difficile d'observer de tels événements à l'avenir.

La découverte de la supernova 2021yfj avec des observations au bon moment ont permis de confirmer des prédictions vieilles de plusieurs décennies, mais ont simultanément relevé un processus mystérieux entourant la fin de vie des étoiles massives.

 

Source

Extremely stripped supernova reveals a silicon and sulfur formation site

Steve Schulze et al.

Nature volume 644, pages634–639 (20 August 2025)

https://doi.org/10.1038/s41586-025-09375-3


Illustrations

1. Vue d'artiste de l'explosion de SN2021yfj (Nature)
2. Spectre mesuré montrant les raies du soufre et du silicium ionisés (Schulze et al)
Steve Schulze 

30/08/25

Localisation très précise du sursaut radio rapide (FRB) le plus brillant


FRB 20250316A est à ce jour le sursaut radio rapide le plus brillant jamais détecté. Il se trouvait dans la galaxie NGC 4141 située à une distance de seulement 40 Mpc. Grâce à sa proximité et son intensité, la collaboration canadienne CHIME qui traque les FRB (Fast Radio Burst) depuis de nombreuses années, est parvenue à le localiser avec une précision de seulement 13 pc, et a donc pu étudier en détail l'environnement de cet événement pour tenter de comprendre la nature de son progéniteur. L'étude est parue dans The Astrophysical Journal Letters.

La localisation précise d'un petit nombre de sursauts radio rapides répétitifs par interférométrie à très longue base (VLBI) a permis des observations de suivi à multi-longueurs d'onde révélant divers environnements locaux. Mais les FRB répétitifs ne représentent que 2 à 3 % des sources de FRB observées (environ 100 sur un total d'environ 4 000 FRB) et ils pourraient ne pas être représentatifs de l'ensemble de la population. 
FRB 20250316A fait partie des FRB uniques, qui n'ont encore jamais montré de nouveau sursaut. Mais même sans sursauts radio supplémentaires, les radioastronomes de CHIME ont réussi à le localiser comme jamais auparavant, en exploitant les capacités VLBI du réseau CHIME Outrigger complet.

Les chercheurs ont ensuite utilisé des observations optiques et radio pour imposer des contraintes précises sur l'émission transitoire associée et les propriétés de son environnement local. Ils peuvent fixer une limite sur l'émission radio spatialement coïncidente, qui s'avère être 100 fois inférieure à toute source radio persistante compacte connue associée à un FRB.

Les études environnementales offrent une approche très importante pour déterminer si les FRB uniques et les FRB répétitifs proviennent de populations progénitrices distinctes ou non. Par exemple, des études à haute résolution des FRB répétitifs 20121102A et 20201124A révèlent qu'ils sont intégrés dans des régions de formation stellaire active, conformément aux modèles qui attribuent l'émission à une source jeune, comme un magnétar. Cela concorde avec les études sur la démographie de leur galaxie hôte, qui montrent que les FRB apparaissent principalement dans les galaxies à formation d'étoiles.
De plus, il a été montré qu'une fraction substantielle se trouve dans ou à proximité des bras spiraux de leur galaxie. Mais le nombre croissant de FRB localisés dans des environnements sans formation d'étoiles active suggère que certains peuvent être formés par des canaux retardés. Par exemple, FRB 20180916B, le répéteur qui présente des phases actives périodiques, est situé légèrement décalé de 250 ± 190 pc de la zone de formation d'étoiles la plus proche. Et le FRB répétitif 20240209A a lui été localisé à la périphérie d'une galaxie quiescente avec un âge de population stellaire d'environ 11 Gigannées. FRB 20200120E, le FRB extragalactique le plus proche connu (d= 3,6 Mpc), a été localisé dans un amas globulaire vieux d'environ 9,2 Gigannées, dans le halo de M81 (M. Bhardwaj et al. 2021 ; F. Kirsten et al. 2022 ).

FRB 20200120E, comme FRB 20240114A, qui est situé dans une galaxie satellite d'un système galactique plus grand (M. Bhardwaj et al. 2025 ), démontrent que les propriétés de l'environnement local d'un FRB ne sont pas nécessairement corrélées avec les propriétés de la galaxie voisine la plus massive. La précision de la localisation des FRB, qu'ils soient répétitifs ou uniques est donc cruciale pour mieux comprendre de quoi il peut s'agir.

Le 16 mars 2025, peu après la mise en service de la dernière station Outrigger, CHIME/FRB a détecté son FRB extragalactique au rapport signal/bruit le plus élevé jamais enregistré : FRB 20250316A. Ce sursaut n'était exceptionnel que par la proximité de sa source, représentant une luminosité FRB moyenne. Comme la source est proche et que les chercheurs canadiens ont capturé des données depuis les quatre sites de télescopes, il ont pu le localiser très précisément, à 68 ms d'arc, ce qui représente une distance projeté de 13 pc seulement (42,4 A.L). Rappelons que la galaxie hôte de ce FRB se situe à 40 Mpc. 
C'est donc l'une des meilleures opportunités d'étudier l'environnement local d'un FRB unique. Connaissant la localisation, les astrophysiciens ont alors utilisé l'imageur Keck Cosmic Webb pour caractériser la densité du gaz, la métallicité, la nature de l'ionisation du gaz, l'extinction des poussières et le taux de formation d'étoiles grâce aux flux de raies d'émission. 


Ils ont également exploité la luminosité et la proximité exceptionnelles de cette source pour imposer des contraintes profondes à la répétition de FRB 20250316A. Ils constatent qu'il est incompatible avec tous les répéteurs bien étudiés, compte tenu de la non-détection des sursauts à des énergies spectrales plus basses. Les chercheurs de CHIME s' attendent à ce que cette source demeure la limite observationnelle de certitude quant au caractère non répétitif d'une source, compte tenu de la rareté des détections à un telle niveau au-dessus du seuil de fluence de CHIME/FRB. Selon eux, s'il existe une population distincte de FRB non répétitifs, compte tenu de cette tension apparente avec la population de répéteurs connus, leur étude de FRB 20250316A offrirait un aperçu unique de l'environnement local d'une telle source non répétitive.

Des observations rapides de suivi avec les télescopes optiques MMT et Gemini ont ensuite permis d'exclure une émission transitoire supérieure à M ≈ −8 mag 9 jours après l'événement. Les observations régulières de l'observatoire Coddenham et du KAIT défavorisent quant à elles les transitoires optiques lumineux tels que des supernovas (types Ia et II), qui pouvaient être compatibles avec la localisation de FRB 20250316A pendant près de 25 ans avant le sursaut radio. 

Et puis les données du télescope KCWI ont permis d'étudier la densité du gaz, la métallicité, la nature de l'ionisation du gaz, l'extinction des poussières et le taux de formation d'étoiles dans l'environnement du FRB via les flux de raies d'émission. Elles ont révélé que FRB 20250316A est décalé de 190 ± 20 pc par rapport au centre de la région de formation d'étoiles la plus proche. Les échelles de temps de scintillation et de diffusion observées placent en outre un écran de diffusion à environ 60 pc devant FRB 20250316A. Les astrophysiciens suggèrent que cet écran de diffusion est probablement physiquement associé à la région de formation d'étoiles observée par KCWI. 

Le décalage observé de 190 ± 20 pc avec cette région de formation d'étoiles est similaire à celui d'un autre FRB,  FRB 20180916B, qui est décalé de 250 pc par rapport au centre d'un complexe de formation d'étoiles. En suivant  la logique que SP Tendulkar et al. (2021) avaient développée pour FRB 20180916B, en supposant donc que le progéniteur de FRB 20250316A se serait formé près du centre de la région de formation d'étoiles, on peut estimer l'âge minimum que devrait avoir la source du FRB compte tenu du décalage observé et de la vitesse de kick probable du progéniteur. C'est particulièrement contraignant pour le scénario du jeune magnétar, dans lequel, si l'on suppose les vitesses typiques des magnétars et des pulsars de notre Galaxie (entre 60 et 750 km s -1 pour 90 % des pulsars et magnétars dans des systèmes binaires), cela donnerait un âge compris entre  200 000 et 3 millions d'années pour la source, ce qui est bien plus longs que les durées de vie actives typiques des magnétars dans notre Galaxie. 
Cependant, en utilisant l'ajustement de P. Disberg et I. Mandel (2025) de la distribution des vitesses de kick pour les étoiles à neutrons isolées de moins de 10 Mégannées, qui couvre une gamme de vitesses plus large que celles considérées dans SP Tendulkar et al., et en tenant compte des incertitudes dans le décalage mesuré et les paramètres de meilleur ajustement, les chercheurs canadiens estiment une probabilité de 5 % d'observer un tel décalage pour des âges de source inférieurs à 10 000 ans. Et ils ajoutent que cette légère tension entre les décalages de FRB 20250316A et FRB 20180916B et l'âge des jeunes magnétars peut encore être atténuée si l'on suppose que l'étoile à neutrons/magnétar est créée in situ via une étoile OB en fuite.

D'autre part, Peter Blanchard et al. (2025), qui ont analysé finement les populations stellaires dans la zone localisée grâce à l'imagerie proche infrarouge du télescope Webb JWST publient un article compagnon à celui-ci. Ils ont trouvé des étoiles dont l'âge de population était similaire à celui de la région de formation d'étoiles colocalisée avec la localisation du FRB, ce qui indique que la population stellaire s'étend au-delà de la taille apparente de la région HII (hydrogène ionisé) dans les images de KCWI. Les auteurs concluent qu'une étoile à neutrons aurait pu se former in situ et, par conséquent, on ne pourrait pas imposer de contrainte significative sur son âge en se basant sur le décalage observé par rapport au centre de la région de formation d'étoiles.

En soi, l'absence de forte formation apparente d'étoiles à l'emplacement de FRB 20250316A, couplée aux limites de la proximité du FRB avec les étoiles de masse supérieure à 20 M⊙, aurait pu être interprétée comme étant en tension avec un objet compact jeune comme un magnétar (d'âge entre 10 et 100 Mégannées) . Mais, Blanchard et al. montrent que les emplacements des jeunes étoiles à proximité du FRB rendent les observations de FRB 20250316A compatibles avec un objet compact formé in situ.

FRB 20250316A marque ainsi le début d'une ère de localisations de routine pour des FRB ponctuels à des échelles de dizaines de millisecondes d'arc, ce qui permettra des études à grande échelle de leurs environnements locaux. Et dans cette quête CHIME sera bientôt secondé par d'autres radiotélescopes comme  CHORD (Canadian Hydrogen Observatory and Radio-transient Detector) et DSA (Deep Synoptic Array), de quoi révolutionner l'étude des FRB pour comprendre leur multiples populations et dévoiler leur origine.

Sources

FRB 20250316A: A Brilliant and Nearby One-Off Fast Radio Burst Localized to 13 parsec Precision
CHIME/FRB Collaboration 
The Astrophysical Journal Letters, Volume 989, Number 2 (21 august 25)

James Webb Space Telescope Observations of the Nearby and Precisely-Localized FRB 20250316A
Peter Blanchard et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 989, Number 2 (21 august 25)


Illustrations

1. Vue d'artiste de la détection de FRB par CHIME/FRB (NASA/ESA/CSA/CfA/P. Blanchard et al.; Image processing: CfA/P. Edmonds.)

2. Localisation de FRB 20250316A dans la galaxie NGC 4141 (CHIME collaboration)

26/08/25

Les premières étoiles supermassives de l'Univers peuvent résoudre plusieurs questions brûlantes


Les toutes premières étoiles qui se sont formées dans l’Univers à partir de 200 ou 100 millions d’années après la singularité sont appelées des étoiles de population III.1. La plupart d’entre elles étaient très massives, voire supermassives. Aujourd’hui, un astrophysicien américain propose, analyses et calculs rigoureux à l’appui, que ces premières étoiles supermassives ont pu être les graines des premiers trous noirs supermassifs. Et cerise sur le gâteau, grâce à leur fort effet ionisant sur le milieu qui les entourait, elles pourraient résoudre plusieurs tensions cosmologiques observées aujourd’hui, et non des moindres… L’étude est publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

Les étoiles Population III.1 naissent dans des mini-halos de matière noire d’environ 1 million de M⊙, qui sont définis comme les premières structures effondrées sans métal à se former dans l'Univers, de sorte qu'elles ne sont pas affectées par les rétroactions externes, en particulier les rétroactions ionisantes, provenant de sources astrophysiques. Les mini-halos exempts de métaux qui ont été ionisés ou partiellement ionisés, c'est-à-dire les sources de Population III.2, devraient présenter des abondances élevées d’hydrogène moléculaire, catalysées par la présence d'électrons libres, qui favorisent le refroidissement et donc la fragmentation dans le mini-halo. On sait que le processus d'annihilation de la matière noire à particules de type WIMP dans une protoétoile de Population III.1, peut affecter la structure stellaire, en particulier en maintenant la protoétoile dans un état relativement froid, ce qui peut alors lui permettre d'éviter la rétroaction de photoévaporation qui tronque généralement l'accrétion en cas de contraction. Ainsi, la protoétoile de Pop III.1 pourrait atteindre une masse d'environ 100 000 M⊙.

Le modèle prédit ainsi que tous les trous noirs supermassifs se forment tôt dans l'Univers, c'est-à-dire vers z ∼ 20 (180 mégannées après le Big Bang), sous forme de «graines»  d'environ 100 000 M⊙, et que l’effet ionisant des étoiles supermassives de Population III.1 détermine l'abondance cosmique de ces trous noirs supermassifs, avec des valeurs de l’ordre de 0.1 trous noirs par cMpc3 Il faut noter que d'autres modèles de formation de graines lourdes par « effondrement direct » dans des halos irradiés sans métal ou turbulents refroidis (∼100 millions M⊙) peinent à atteindre ce niveau d'abondance de plusieurs ordres de grandeur.

D’autre part, Jonathan Tan (université de Virginie) rappelle que la formation des trous noirs supermassifs par la population III.1 peut expliquer naturellement pourquoi il semble y avoir une échelle de masse minimale caractéristique dans la population des trous noirs supermassifs, c'est-à-dire une pénurie de trous noirs de masse intermédiaire dans la gamme de masse de 100 à 10 000 M⊙ , ce qui est lié à la teneur en masse baryonique des minihalos de la population III.1.

La théorie stipulant que les étoiles de Population III.1 sont à l’origine de la formation des trous noirs supermassifs prédit aussi qu'une partie importante de l'Univers primitif a été ionisée par ces étoiles supermassives à des redshifts z ∼ 20–30 (entre 100 et 180 mégannées après le Big Bang), une époque que Tan a baptisé l’époque du Flash.

Cette phase aurait été suivie d'une recombinaison vers un état neutre en quelques dizaines de millions d'années. Tan a donc cherché à montrer quelles seraient les implications de cette ionisation très précoce pour la profondeur optique de diffusion du fond diffus cosmologique (CMB), un paramètre qu’on appelle τ. C’est une mesure de la quantité de lumière qui est diffusée lorsqu'elle traverse un milieu, comme une couche d'atmosphère, un nuage, ou tout autre matériau transparent ou translucide. Elle est définie comme étant le logarithme de la fraction de lumière absorbée ou diffusée par les composants de la couche traversée. C'est une grandeur sans dimension, qui vaut 0 si le milieu est parfaitement transparent et 1 si parfaitement opaque.

Le milieu intergalactique ionisé qui est produit à partir des populations de galaxies standard contribue à une profondeur optique de diffusion des photons du CMB qui vaut τgal ≃ 0,06, ce qui correspond aux derniers résultats publiés par la collaboration Planck en 2020, qui trouvait τ = 0,054 ± 0,007. Mais une analyse plus récente de R. de Belsunce et al. (2021) a donné τ = 0,063 ± 0,005. Les histoires de réionisation qui correspondent à ces données du CMB indiquent que la réionisation a commencé à z ∼ 12 (370 mégannées post-BB) et s'est terminée à z ∼ 5 (1,3 gigannées post BB).

Mais il y a quelques mois, trois articles (I. J. Allali et al. 2025; T. Jhaveri et al. 2025; N. Sailer et al. 2025), ont avancé une valeur de τ plus élevée (environ 0,09), c'est-à-dire nettement supérieure aux valeurs déduites du CMB. Et les modèles théoriques indiquent que ces valeurs plus élevées contribueraient à atténuer les tensions sur la constante de Hubble basées sur les mesures du CMB par Planck et des récentes mesures des oscillations acoustiques baryoniques (BAO) effectuées par le Dark Energy Spectroscopic Instrument (DESI). Rappelons que, les résultats de de DESI combinées aux résultats du CMB de Planck, se traduisent par une préférence pour des masses négatives de neutrinos et une énergie noire évolutive. Il faut rappeler néanmoins que, comme l'ont souligné les différents auteurs, la mesure de τ à partir du CMB est confrontée à un grand nombre d'incertitudes systématiques difficiles à résoudre, à savoir les effets systématiques instrumentaux et les premiers plans astrophysiques, qui pourraient encore permettre une compatibilité avec une valeur plus élevée…

Si τ est en réalité plus proche de 0,09, cela aurait des implications majeures pour l'histoire de la réionisation de l'Univers. En particulier, cela nécessiterait une phase supplémentaire d'ionisation qui n'est pas spécifiquement incluse aujourd’hui dans la plupart des modèles astrophysiques. Le gaz intergalactique doit être ionisé pour être transparent.

Étant donné que la fraction d'ionisation du milieu intergalactique qui est observée est proche de l'unité à un redshift de 10 (Tang et al. 2024), les résultats de S. R. Furlanetto & A. Loeb (2005) indiquent qu'une phase précoce d'augmentation de la fraction d'ionisation de l’univers nécessiterait une population très distincte de sources ionisantes à grand redshift. Et il se trouve que, justement, les étoiles supermassives de la population III.1 pourraient être de telles sources d’ionisation, en plus d’offrir une origine pour les trous noirs supermassifs !

Jonathan Tan a donc calculé la paramètre τ qui est directement produit par les étoiles de Pop III.1. Il trouve une contribution de τPopIII.1 d’environ 0,04. En combinant cette valeur avec la contribution des populations galactiques standard à z ≲ 10 (τgal ≃ 0,06), on obtient un total de τ ≃ 0,10.

Le modèle des étoiles de Pop III.1 permet donc de retrouver la valeur de τ récemment mesurée par Allali T. Jhaveri, N. Sailer et leurs collaborateurs.

De plus, Tan explique que l'émission radio provenant de l’époque du Flash devrait augmenter le fond radio cosmique, ce qui pourrait aider à expliquer une autre anomalie : la grande profondeur d'absorption de la raie à 21 cm qui a été rapportée par l'Experiment to Detect the Global EoR Signature (EDGES). Le signal détecté par cette expérience est centré sur un redshift de 17,2 et présente une profondeur d'absorption au moins deux fois plus forte que celle prévue par les scénarios astrophysiques standard du modèle ΛCDM. Une explication possible de cette observation implique un fond radio plus élevé, équivalent à une température de brillance de 67,2 K, c'est-à-dire nettement supérieure à celle du CMB à ces redshifts avec TCMB = 49,5 K.

À l'inverse, la confirmation de la profondeur d'absorption de la raie à 21 cm mesurée par EDGES imposerait des contraintes plus strictes au modèle Population III.1. Cela motive encore plus l'exploration du scénario de réionisation flash par les étoiles de Population III.1, pour Jonathan Tan.



En résumé, les étoiles de Population III.1 supermassives permettraient d’expliquer d’une part la naissance des trous noirs supermassifs et produiraient en outre une intense ionisation précoce de l’univers, une ionisation flash qui n’était jusque-là non prise en compte. Or, cette ionisation supplémentaire, une fois ajoutée dans les modèles, permettrait de réduire la tension sur la constante de Hubble et l’apparente évolution de l’énergie noire en modifiant l’analyse du CMB, et également de résoudre partiellement l’anomalie de l’expérience EDGES. C’est, il faut le dire, une solution très élégante, sans oublier que ces étoiles supermassives ne peuvent exister que par l’existence de particules de matière noire qui peuvent s’annihiler…

 

Source

Flash Ionization of the Early Universe by Population III.1 Supermassive Stars

Jonathan C. Tan

The Astrophysical Journal Letters, Volume 989, Number 2 (19 august 2025)

http://doi.org/10.3847/2041-8213/adf8da


Illustrations

1. Simulation de la bulle de gaz ionisé entourant une étoile de population III.1 (M. Sanati (Chalmers & J. Tan)

2.Jonathan Tan


23/07/25

Des étoiles "immortelles" dans le centre galactique grâce à la matière noire


Le diagramme de Herzprung Russell est une représentation graphique représentant toutes les étapes possibles de la vie des étoiles, en montrant la distribution de leur luminosité en fonction de leur masse qui forme notamment ce qu'on appelle la séquence principale. Une équipe d’astrophysiciens vient de calculer pour la première fois à quoi ressemblerait ce diagramme HR dans les cas où les étoiles baigneraient dans une forte concentration de matière noire qui influerait sur elles en leur apportant de l’énergie additionnelle. On obtient une nouvelle séquence principale avec des températures bien plus basses pour une luminosité équivalente, de quoi faire le lien avec les étoiles apparemment jeunes qui sont observées dans le centre galactique et dont la présence est mal comprise. Et ces étoiles pourraient être éternelles, la matière noire leur fournissant de l’énergie en continu… L’étude est publiée dans Physical Review D.

Au cours de leur vie, les étoiles évoluent le long de trajectoires bien établies au sein desquelles un équilibre entre la force gravitationnelle et la pression de la fusion nucléaire peut être maintenu. Leur spectre de corps noir établit également un lien direct entre leur luminosité, leur température et leur rayon. Ces relations sont visibles sur le diagramme de Hertzprung-Russell, qui représente les luminosités et les températures stellaires observables, traçant les différentes trajectoires que les étoiles empruntent au cours de leur vie en fonction de leur masse.

Cette image standard de l'évolution stellaire suppose que la fusion nucléaire est le seul processus capable de fournir un support de pression à l'étoile. Cependant, dans l'Univers jeune, ou dans les régions très proches du centre des galaxies, où la densité de particules de matière noire devrait être maximale, l'annihilation de ces particules/antiparticules peut constituer une source d'énergie supplémentaire considérable. Dans les cas extrêmes, l'annihilation de la matière noire peut faire reculer les étoiles le long des diagrammes HR vers des configurations protostellaires (ce qu’on appelle la trajectoire de Hayashi) produisant des étoiles qui ont des rayons extrêmement grands et des températures basses par rapport aux étoiles standard. Dans certains cas, l'annihilation de la matière noire peut aussi entraîner la dislocation totale des étoiles.

Isabelle John (université de Stockholm) et ses collaborateurs ont calculé pour la première fois l'évolution de la séquence principale sous l'influence d'une injection significative d'énergie issue de l’annihilation de la matière noire dans le cœur des étoiles. Ils ont construit un nouveau diagramme HR dans lequel apparaît une nouvelle séquence principale, dite séquence principale sombre. Plus précisément, ils y découvrent l’existence d’une nouvelle branche d'étoiles de masse plus élevée, qui se distinguent de la séquence principale standard d'un point de vue observationnel. La stabilité de ces étoiles est analogue à l'équilibre hydrostatique des étoiles standard : lorsque l'étoile se dilate, le taux de capture de matière noire peut diminuer, ce qui provoque une nouvelle contraction de l'étoile. Et l'accrétion continue de matière noire permet à ces étoiles de maintenir l'équilibre éternellement, selon les chercheurs, ce qui fait que la séquence principale sombre domine la population stellaire.

À ce jour, le nombre d'étoiles connues dans le parsec interne du centre galactique est limité, et un plus grand nombre d'étoiles est nécessaire pour détecter de manière robuste tout effet éventuel de la matière noire. John et ses collaborateurs estiment que ce sera possible avec les prochains télescopes de la classe des trente mètres, qui mesureront de nombreuses nouvelles étoiles près du centre galactique. D’après les astrophysiciens, les étoiles du centre de notre galaxie qui sont déjà connues sont en fait déjà très intéressantes car elles révèlent de nombreuses anomalies qui pourraient être résolues par la séquence principale sombre, selon John et ses collaborateurs.

Les modèles de formation stellaire suggèrent que les étoiles ne peuvent pas se former à moins de ∼0,1 pc du trou noir central. Et c’est justement là où se trouvent les étoiles de l'amas S, les étoiles les plus proches de Sgr A*. On pense aujourd’hui que ces étoiles doivent s'être formées ailleurs et avoir migré vers le centre galactique. Mai a contrario, les observations suggèrent que les étoiles de cette région sont jeunes ( ≲15 Mégannées), ce qui indique que ces étoiles pourraient s'être formées plus localement... La tension entre ces deux observations est connue sous le nom de « paradoxe de la jeunesse » : les étoiles du centre galactique sont aussi brillantes que des étoiles jeunes mais présentent des caractéristiques spectroscopiques d'étoiles plus évoluées. En outre, il existe aussi une « énigme de la vieillesse », qui décrit la rareté des étoiles vieilles et évoluées, malgré le fait que les modèles prédisent qu’on devrait détecter de nombreuses étoiles évoluées. Enfin, les observations indiquent que la fonction de masse initiale des étoiles près du centre galactique est étonnamment lourde au sommet (c’est-à-dire biaisée en faveur des étoiles à haute masse). Les observations indiquant que la distribution des naissances stellaires se situe entre dN/DM ~ 𝑀-1,7 et ~𝑀-0,45, alors que l'indice de Salpeter standard dN/DM (la distribution des masses initiales) est ~𝑀-2,35. Ces observations anormales sont propres aux étoiles du Centre Galactique, et ne sont pas bien expliquées par les modèles conventionnels d'évolution stellaire.

Or, le centre de la galaxie est exactement l'endroit où la densité de matière noire serait suffisamment élevée pour que l'annihilation de la matière noire remplace substantiellement la fusion nucléaire comme source d'énergie stellaire, ce qui permettrait aux étoiles de rester éternellement jeunes malgré leur âge avancé. 

Ca expliquerait le paradoxe de la jeunesse (parce que les étoiles ont eu suffisamment de temps pour migrer vers le centre galactique). Et ça expliquerait également l'énigme de la vieillesse (parce que les étoiles continuent à résider sur la séquence principale ou à proximité). L'effet est maximisé dans les étoiles de masse relativement élevée ( ≳5𝑀⊙), alors que les étoiles moins massives ont tendance à évoluer vers l'arrière le long de la bande de Hayashi dans le diagramme ou à être entièrement perturbées. Cela implique mécaniquement que la distribution stellaire devrait avoir une fonction de masse initiale très élevée. Et c'est ce qui est observé aujourd'hui...

John et ses collaborateurs, en prenant en compte l'effet de l'annihilation  de la matière noire à l'intérieur des étoiles, ont en fait simulé une population stellaire complète qui inclut, pour la première fois, les étoiles les plus massives, qui correspondent aux étoiles récemment détectées dans la partie la plus interne de la Galaxie.

Cette nouvelle séquence principale sombre présente donc trois caractéristiques qui la distinguent clairement de l'évolution stellaire standard de la séquence principale classique :

(1) une fonction de masse initiale lourde au sommet, produite par l'élimination efficace des étoiles de faible masse de la séquence principale vers des emplacements sur les bandes de Hayashi ou au-delà,

(2) une bande de Hayashi brillante et densément peuplée, produite par les étoiles de plus faible masse de la séquence principale qui atteignent des équilibres éternellement stables dans des configurations à grands rayons stellaires et à basses températures,

(3) une bande de Henyey brillante et densément peuplée aux masses plus élevées, peuplée d'étoiles pratiquement immortelles (avec une durée de vie typique  >10  Gigannées), des étoiles de grande masse avec des luminosités similaires mais des températures légèrement inférieures à leurs configurations de la séquence principale classique.

Donc les trois anomalies dans les observations stellaires du centre galactique peuvent être expliquées simultanément par l'évolution stellaire le long de la séquence principale sombre. La fonction de masse initiale très dense, le paradoxe de la jeunesse et l'énigme de la vieillesse. Elles peuvent être expliquées si les étoiles de masse relativement élevée sont alimentées indéfiniment par l'annihilation de la matière noire. 

Les prédictions de population stellaire auront des implications importantes pour les observations extrêmement difficiles des étoiles du centre galactique. Vérifier ou infirmer l'évolution de la séquence principale sombre nécessitera la détection de nouvelles étoiles pour un échantillonnage suffisant et une population suffisante de la séquence principale sombre. Cela sera possible grâce à de nouveaux télescopes, ceux de la classe des 30 mètres, ou grâce à des étoiles supplémentaires du groupe S entourant Sgr A*  mesurées avec le Very Large Telescope ou le télescope Keck. En détectant la séquence principale sombre, les futurs télescopes offriraient ainsi une nouvelle voie de découverte de la matière noire.


Source

Dark branches of immortal stars at the Galactic Center

Isabelle John et al.

Phys. Rev. D 112 (18 July, 2025)

https://doi.org/10.1103/PhysRevD.112.023028


Illustration

1. La séquence principale "sombre" (à droite) comparée à la séquence principale standard du diagramme de Herzsprung-Russell

2. Isabelle John

19/07/25

Observation d'un possible trou noir supermassif formé par effondrement direct de gaz


Avec des observations du télescope Webb, une équipe d'astrophysiciens a découvert un objet inhabituel situé à un redshift de z = 1,14,. Ils l'ont surnommé la galaxie (infini). Il s'agit de deux noyaux de galaxies séparés de 10 kpc, au milieu desquels se trouve un trou noir supermassif. L'analyse de ce qui a pu se passer dans ce système mène vers une formation du trou noir supermassif par l'effondrement direct du nuage de gaz compressé formé lors de la collision frontale de deux galaxies à disque. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal Letters.

La lumière proche infrarouge au repos de la galaxie ∞ est dominée par deux noyaux compacts avec des masses stellaires d'environ 100 milliards M. Les deux noyaux sont entourés d'un anneau ou d'une coquille proéminente, donnant à la galaxie l'apparence d'un huit ou d'un symbole ∞. La morphologie ressemble à celle du système nommé II Hz 4, où la collision frontale de deux galaxies à disques parallèles a conduit à la formation d'anneaux collisionnels autour de leurs deux renflements. La spectroscopie avec le télescope Keck, les données radio du Very Large Array et les données X du télescope spatial Chandra montrent que la galaxie ∞ abrite un trou noir supermassif qui est en accrétion active avec une luminosité radio et X de type quasar.

Mais ce qui est remarquable, c'est que ce trou noir supermassif ne soit associé à aucun des deux noyaux galactiques, mais se situe exactement entre eux en termes de position et de vitesse radiale. De plus, à partir de l'émission excédentaire dans le filtre NIRCAM F150W de Webb, Pieter Van Dokum (Yale university) et ses collaborateurs déduisent que le trou noir est intégré dans une distribution étendue de gaz émetteur Hα , avec une largeur équivalente au référentiel au repos comprise entre 400 Å et 2 000 Å. Le gaz couvre toute la largeur du système et a probablement été choqué et comprimé au site de collision, dans un équivalent à l'échelle galactique de ce qui s'est produit dans l'amas du Boulet. 

Après avoir testé différentes hypothèses pour expliquer cet étonnant arrangement, comme la présence d'une éventuelle troisième galaxie, ou bien un trou noir supermassif qui se serait échappé de sa galaxie d'origine, Van Dokkum et ses collaborateurs en arrivent à la conclusion que le trou noir s'est formé in situ, là où il est encore observé. Ce serait en fait plutôt une conséquence de la morphologie inhabituelle du système et expliquerait également sa position et sa vitesse radiale.

Dans ce scénario, le gaz ionisé entre les noyaux galactiques est choqué et comprimé par la récente collision entre les deux galaxies. Selon les chercheurs, il est possible que le trou noir se soit formé suite à l'effondrement gravitationnel incontrôlable d'un nuage ou d'un filament au sein de ce gaz. Ce scénario relie le trou noir au nuage de gaz dans lequel il est enfoui et explique pourquoi sa vitesse radiale se situe exactement entre celles du gaz dans les deux anneaux galactiques.

Cette idée est qualitativement similaire aux modèles de formation de « graines lourdes » qui ont longtemps été proposés pour l'origine des trous noirs supermassifs au centre des galaxies. Alors que le modèle dominant pour l'origine des trous noirs supermassifs reste celui fondé sur une évolution à partir de trous noirs stellaires d'environ 1000 M⊙ issus de la première génération d'étoiles (population III) , l'effondrement direct de nuages de gaz prégalactiques d'environ 10 000 à 100 000 M⊙ est une alternative importante aujourd'hui. Les simulations montrent en effet que l'absence de métaux dans ces premiers objets baryoniques, combinée aux champs de rayonnement externes et à la dynamique violente des gaz associée à la formation du halo, peut créer des conditions propices à la formation de trous noirs supermassifs. Et récemment, ces modèles ont reçu une attention renouvelée, car les premiers résultats du télescope Webb indiquent que de nombreuses galaxies ont des masses de trous noirs relativement élevées pour leur masse stellaire.

Van Dokkum et ses collaborateurs précisent néanmoins que la similitude avec les modèles d'ensemencement des premiers trous noirs supermassifs n'est que superficielle, car le gaz de la galaxie est riche en métaux et ne se trouve pas au centre du halo. Mais ils rappellent aussi  que des études à haute résolution des conséquences de fusions riches en gaz ont montré que des trous noirs peuvent se former dans les régions centrales du résidu, même si le gaz est riche en métaux (L. Mayer et al. 2010 , 2015 ). Dans ce canal de formation, c'est la turbulence et la pression thermique, plutôt que l'absence de métaux, qui empêchent la fragmentation et la formation d'étoiles. Le gaz de la galaxie est actuellement réparti sur une région d'environ 10 kpc (distance projetée), mais il est concevable que des conditions extrêmes similaires aient été atteintes localement au moment de la collision des deux galaxies progénitrices, selon les chercheurs.

Il faut préciser également que, dans ce scénario, les deux noyaux galactiques ont toujours leurs propres  trous noirs supermassifs. Les dispersions de vitesse stellaire des noyaux galactiques sont d'environ ∼300 km s-1 sur la base de leurs tailles d'environ 1 kpc et de leurs masses d'environ ∼100 milliards de M⊙ . La relation M trou noir – σ implique des masses de trous noirs d'environ ∼1 milliard M⊙ pour des dispersions dans cette gamme. Ils n'ont en revanche pas été détectés par leur activité radio ou X.

Comme nous l'avons dit, la morphologie inhabituelle de la galaxie ∞ peut être expliquée par une collision frontale de deux galaxies à disque, conduisant à la formation d'anneaux de collision autour des deux bulbes survivants. Dans ce contexte, on peut utiliser les propriétés observées de la galaxie pour déterminer sa géométrie 3D approximative. En supposant que les anneaux sont intrinsèquement ronds, leur rapport d'axe observé de b / a  ≈ 0,77 implique un angle par rapport au plan du ciel de ≈40°. La distance physique entre les deux noyaux est alors de ≈15 kpc. 

Les astrophysiciens utilisent alors la géométrie déprojetée pour estimer Δ t , le temps écoulé depuis la collision. La différence de vitesse radiale déprojetée entre les côtés SE et NO du système est d'environ 260 km s-1, et pour une séparation déprojetée de 15 kpc, ils obtiennent Δ t  ∼ 50 Mégannées. Cet intervalle de temps est cohérent avec les échelles de temps typiques pour la formation d'anneaux de collision dans les simulations. 

Dans le contexte du modèle d'effondrement direct, le temps écoulé donne une estimation approximative de la masse initiale du trou noir supermassif. Pour une efficacité radiative standard de η  ≈ 0,1, un trou noir qui accrète au taux d'Eddington augmente sa masse d'un facteur d'environ 3 sur 50 Mégannées. Pour une masse actuelle de 1 million de M⊙, cela donne une masse initiale d'environ 300 000 M ⊙. 

L'hypothèse selon laquelle des trous noirs peuvent se former tardivement dans des galaxies en interaction n'est pas nouvelle ; par exemple, K. Schawinski et al. ont suggéré en 2011 que la présence de plusieurs AGN dans une galaxie agglomérée à z = 1,35 pourrait être due à une formation in situ et à un ensemencement tardif. Le trou noir actif de la galaxie se distingue de deux manières importantes : il constitue peut-être l'exemple le plus clair à ce jour d'un trou noir supermassif situé en dehors d'un noyau de galaxie, et le mécanisme spécifique proposé pour sa formation peut être testé par des simulations et des observations complémentaires.

La collision frontale de galaxies peut être simulée avec de fortes contraintes observationnelles sur les conditions post-collision (telles que la position des noyaux, la morphologie des anneaux, la localisation et la morphologie du gaz, et les vitesses radiales observées). Il se pourrait qu'une analyse approfondie des conditions physiques dans les nuages en collision démontre que les trous noirs supermassifs ne peuvent pas se former dans ce scénario. Dans ce cas, nous observerions probablement la réinflammation d'un trou noir supermassif errant ou éjecté lors de son passage à travers le gaz dans les régions centrales de la galaxie . Mais s'il s'avère possible de former des trous noirs supermassifs dans ce type de collision galactique, nous en apprendrons beaucoup sur le processus grâce à cet objet singulier. Par exemple, il se pourrait que l'effondrement soit hiérarchique, avec des fusions d'étoiles massives conduisant à la formation de trous noirs de masse intermédiaire et de multiples trous noirs de masse intermédiaire fusionnant pour former le trou noir que nous détectons actuellement. 

D'autres tests proviendront bien sûr d'observations. La spectroscopie exploité dans cette étude est limitée dans sa résolution spatiale et ne couvre pas les principales raies d'émission optique Hα , [N II ] et [S II ]. Ces raies sont inaccessibles depuis le sol en raison de l'absorption de H2O dans notre atmosphère, mais elles peuvent être observées avec le télescope Webb. Avec NIRSPEC, la présence du gaz émettant des raies entre les noyaux pourrait être confirmée, les vitesses radiales des noyaux pourraient être mesurées directement et la transition prédite entre la photoionisation près du trou noir et l'ionisation par choc plus loin pourrait aussi être observée. De plus, tout décalage de vitesse radiale entre le trou noir et le gaz environnant pourrait être mesuré avec précision. La preuve la plus convaincante d'un effondrement gravitationnel incontrôlable au sein de ce gaz serait l'observation de l'absence de décalage : cela serait difficile à concilier avec un trou noir errant ou éjecté qui possède une vitesse non négligeable, et c'est une prédiction du modèle de formation in situ.

Si le scénario proposé est confirmé, la galaxie fournit une démonstration empirique que la formation de trous noirs supermassifs par effondrement direct peut se produire dans les bonnes circonstances – quelque chose qui n'a jusqu'à présent été vu que dans des simulations et par des observations indirectes...


Source

The ∞ Galaxy: A Candidate Direct-collapse Supermassive Black Hole between Two Massive, Ringed Nuclei

Pieter van Dokkum, et al.

The Astrophysical Journal Letters, Volume 988, Number 1 (15 july 2025)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/addcfe


Illustrations

1. Schéma du scénario proposé pour la formation du trou noir supermassif au centre du système (Van Dokkum et al.)

2. La galaxie imagée avec Webb (Van Dokkum et al.)


04/07/25

Découverte d'une explosion de naine blanche en dessous de la limite de Chandrasekhar


Les supernovas de type Ia jouent un rôle fondamental en tant que "chandelles standard" pour étudier l’accélération apparente de l’expansion de l’Univers et pour mesurer son taux actuel. Le principe de chandelle standard repose en grande partie sur le fait que les supernovas de type Ia, l’explosion thermonucléaire d’une étoile naine blanche, survient toujours lorsque la naine blanche atteint la masse critique de Chandrasekhar (1,4 masses solaires) par apport de masse externe. Mais une nouvelle observation d’un jeune résidu de supernova indique que l’explosion a eu lieu bien en dessous de 1,4 masses solaires… Et si les supernovas de types Ia n’étaient pas les chandelles standard que l’on croit ? L’étude est parue dans Nature Astronomy.

Malgré leur importance capitale, la compréhension complète des systèmes progéniteurs des supernovas Ia et de leur mécanisme de déclenchement reste un problème fondamental encore aujourd’hui. Dans une naine blanche composée de carbone et d'oxygène et approchant la masse de Chandrasekhar, l'augmentation de la densité centrale déclenche inévitablement une combustion nucléaire. La masse d'explosion presque constante que fournit le modèle d'explosion à la masse de Chandrasekhar était une explication de l'homogénéité attribuée aux supernovas de type Ia. Mais des données d'observation de plus en plus nombreuses remettent en question la notion d'homogénéité des supernovas de type Ia, et une masse fixe semble même problématique pour reproduire la relation largeur spectrale-luminosité, qui est vitale pour calibrer les supernovas de type Ia en tant qu'indicateurs de distance cosmologique.

En fait, il apparaît que la relation largeur-luminosité s'explique plus naturellement par une masse variable des naines blanches et qui serait inférieure à la limite de Chandrasekhar. En outre, la capacité de faire croître les naines blanches jusqu'à la masse de Chandrasekhar limite les paramètres du système binaire progéniteur à une gamme étroite, de sorte que le taux de supernovas de type Ia qui est observé aujourd’hui est difficile à concilier avec le nombre attendu de systèmes compatibles avec le scénario d'explosion à la masse de Chandrasekhar. Il faut donc envisager d'autres scénarios impliquant des explosions d'étoiles naines blanches carbone-oxygène bien en deçà de la limite de Chandrasekhar.

La collision frontale de deux naines blanches peut sembler prometteuse pour produire des explosions de supernovas de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar, mais ce scénario n'est pas privilégié par les astrophysiciens car les taux d'occurrence prévus sont trop faibles. Le scénario actuellement le plus prometteur pour l'explosion d’une naine blanche de masse inférieure à 1,4 masses solaire, c’est celui dit de la « double détonation ». Dans ce scénario, une naine blanche carbone-oxygène recueille de la matière riche en hélium provenant d'une compagne (d'une étoile à hélium ou d'une autre naine blanche riche en hélium, ou de la fine couche d'hélium préexistante au sommet d'une naine blanche carbone-oxygène lors d'événements de fusion). Dans cette couche d'hélium, une détonation thermonucléaire est déclenchée soit par un chauffage par compression lorsque la couche d'hélium devient suffisamment massive, soit par des instabilités dynamiques. Cette première détonation se propage ensuite à travers la fine couche d'hélium et provoque une onde de choc dans le noyau carbone-oxygène, où elle se concentre sphériquement dans un petit volume. La compression et l'échauffement du cœur de carbone-oxygène déclenchent une seconde détonation dans le cœur et font exploser complètement la naine blanche de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar.

Bien que de nombreuses simulations indiquent que le mécanisme de double détonation est possible, elles n'ont pas encore permis de déterminer les échelles spatiales sur lesquelles la détonation primaire de l'hélium doit apparaître. Même si elles sont incapables de déterminer les détails de l'allumage des détonations nécessaires, ces simulations fournissent tout de même des informations essentielles sur la structure, la morphologie et les spectres précoces d'une supernova de type Ia à double détonation.

En termes de nucléosynthèse par double détonation, les explosions dans le noyau de carbone-oxygène et dans la couche externe riche en hélium donnent des produits qualitativement différents. En effet, le type de combustible (carbone-oxygène ou hélium) et les densités (densité plus élevée dans le cœur et plus faible dans la couche externe) diffèrent considérablement, d'environ deux ordres de grandeur. Dans le cœur, la densité du combustible est le paramètre clé qui détermine l'issue de la combustion nucléaire explosive. Pour les densités supérieures à 7 × 106 g cm-3, la combustion est presque complète et les éléments du groupe du fer, en particulier le noyau radioactif 56Ni, dominent les rendements de la nucléosynthèse. Aux densités « intermédiaires », plus éloignées du centre du noyau, l'échelle de temps de la fusion nucléaire devient de plus en plus longue et l'expansion rapide de la supernova conduit à un gel des réactions nucléaires avant que la combustion en éléments du groupe du fer ne soit achevée. En conséquence, la synthèse d'éléments de masse intermédiaire domine dans ces régions, les éléments intermédiaires les plus lourds comme le calcium étant relativement plus abondants à l'intérieur et les éléments les plus légers comme le silicium ou le soufre devenant relativement plus abondants à mesure que la densité du combustible diminue vers l'extérieur. Finalement, la densité devient trop faible (3 × 106 g cm-3) pour que l'oxygène puisse brûler et seul le carbone continue à brûler pour donner des éléments légers comme l'oxygène, le néon et le magnésium. Une structure en couches se forme dans le résidu.

À des densités encore plus faibles, la composition du combustible change rapidement, là où commence la couche d'hélium. Il faut rappeler qu'en raison de sa barrière de Coulomb plus faible, l'hélium 4 est plus réactif et que des détonations dans l'hélium sont possibles jusqu'à des densités beaucoup plus faibles. Comme dans le cas du noyau carbone-oxygène, les détonations à enveloppe d'hélium produisent une progression en couches radiales de la masse atomique des produits de combustion, les éléments les plus lourds comme le chrome, le fer ou le nickel étant synthétisés de préférence dans les parties internes et plus denses de l'enveloppe d'hélium ; les éléments plus légers comme l'hélium non brûlé, le carbone ou l'oxygène se trouvent dans les parties externes et moins denses de l'enveloppe d'hélium, et les éléments de masse intermédiaire comme le silicium ou le soufre se trouvent entre les deux.

Compte tenu de ces modélisations des signatures nucléosynthétiques du noyau de CO et de la coquille d'He, les modèles de double détonation prévoient notamment  que le calcium soit concentré dans deux couches distinctes : une couche interne provenant de la région du noyau, correspondant à la combustion incomplète de la détonation de CO (à des densités de combustible de l'ordre de quelques 106 g cm-3), et une couche externe correspondant à la détonation de l'He (à des densités de combustible de l'ordre de quelques 106 g cm-3). Cette couche externe doit avoir une vitesse plus élevée dans l'éjecta de l'explosion en expansion, correspondant à la base de la coquille de He. Les modèles d'explosion de Collins et al. prédisent une telle morphologie de double coquille de Calcium, avec des éléments de masse intermédiaire plus légers que Ca, tels que S ou Si, situés entre les deux coquilles.

Alors que les simulations numériques ne peuvent à elles seules confirmer que le mécanisme de double détonation existe dans la nature, une observation confirmée de la structure à deux coquilles révélatrice fournirait une preuve directe de son fonctionnement dans les supernovas de type Ia.

À ce jour, la supernova SN 2018byg est largement reconnue comme l'un des cas les plus convaincants liant le mécanisme de double détonation à une explosion de supernova de type Ia et est mieux expliquée par un modèle qui incorpore une couche d'hélium plutôt massive.

En raison de la petite taille angulaire aux premiers instants de la supernova, la structure unique de l'« empreinte » du Ca (la morphologie à double coquille) reste spatialement non résolue aux époques proches du pic de luminosité (15 à 20 jours après l'explosion), c'est pourquoi toute déduction d'une structure d'éjecta à double coquille à partir d'observations à ces phases dépend fortement de l'interprétation des caractéristiques spectrales.

Heureusement, ces caractéristiques changent avec le temps, car la supernova se dilate continuellement. Priyam Das (University of New South Wales,  Australie) et ses collaborateurs se sont intéressés à un jeune résidu de supoernova de type Ia situé dans le Grand Nuage de Magellan qui est nommé SNR 0509-67. Ils ont réussi l'exploit de prendre un instantané spatialement résolu d'une double coquille de calcium présente dans le résidu de supernova, grâce à l'instrument MUSE (Multi Unit Spectroscopic Explorer) du Very Large Telescope. Il leur aura fallu une pose totale de 29 h 15 min sur 39 nuits réparties entre novembre 2019 et février 2021. 

La morphologie à double coquille qu'ils ont observée est constituée de calcium hautement ionisé [Ca XV] et ils ont également isolé une coquille unique de soufre ionisé [S XII], qui est observée dans l'éjecta à chocs inversés. L'analyse des chercheurs révèle que la coquille externe de calcium provient de la détonation de l'hélium à la base de l'enveloppe externe, tandis que la coquille interne est associée à la détonation du noyau carbone-oxygène. Cette distribution morphologique d'éléments intermédiaires correspond qualitativement à la signature prédite de la double détonation d'une naine blanche de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar par les simulations d'explosions hydrodynamiques. Comme les observations de Das et ses collaborateurs révèlent deux pics distincts et spatialement séparés dans la luminosité de surface de [Ca XV], cela fournit des preuves substantielles que des explosions de naines blanches de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar par le mécanisme de double détonation peuvent bel et bien se produire dans la nature. 

Cette preuve implique que certaines supernovas Ia de type 1991T s'expliquent de manière plausible par des doubles détonations de naines blanches de masse inférieure à celle de Chandrasekhar. Les chercheurs précisent que le modèle d'explosion à double détonation de masse la plus élevée prédite par Gronow et al. en 2021 a produit 0,84 M⊙ de 56Ni, ce qui se situe dans la plage prédite pour les supernovas Ia de type 1991T. Par ailleurs, des observations récentes de SN 2022joj et SN 2020eyj suggèrent la possibilité d'un événement de type 1991T à partir de la double détonation d'une naine blanche CO. Et d'autres analyses d'observations de SN 2020eyj qui montre des preuves de matière circumstellaire riche en hélium, ont également pointé l'année dernière vers le mécanisme de double détonation.

Malgré les capacités de simulation tridimensionnelle limitées et le fait qu'à ce jour, aucun modèle d'explosion ne puisse expliquer de manière adéquate les supernovas Ia de type 1991T, les récentes simulations de transfert radiatif qui intègrent la physique de l'équilibre thermodynamique non local sont plus prometteuses. Il a notamment été rapporté récemment que les éléments lourds dans des états d'ionisation plus élevés devaient réduire les effets d'absorption, ce qui permettrait à une plus large gamme de masses de couches d'He de mieux concorder avec les spectres des supernovas Ia observées.

De récentes simulations multidimensionnelles de double détonation montrent aussi que, dans le scénario de la fusion de naines blanches, en plus de la naine blanche primaire subissant une double détonation, la naine blanche compagne peut elle aussi également subir une double détonation  lorsqu'elle est impactée par les éjectas de la naine blanche primaire en explosion. Cela résulte donc en une « quadruple détonation » dans le système. Une telle double double détonation pourrait également conduire à la structure à double coquille observée du calcium selon les chercheurs.

Bien qu'ils ne soient actuellement pas en mesure de différencier de manière concluante les différentes variantes de doubles détonations, Das et ses collaborateurs avec leur découverte peuvent dire avec assurance qu’une certaine forme de double détonation conduit bien à des supernovas de type Ia, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur l'idée de les utiliser comme des chandelles standard...


Source

Calcium in a supernova remnant as a fingerprint of a sub-Chandrasekhar-mass explosion

Priyam Das, et al.

Nature Astronomy (2 juillet 2025)

https://doi.org/10.1038/s41550-025-02589-5


Illustrations

1. Image du résidu SNR 0509-67 obtenue avec le VLT (ESO)

2. Priyam Das