Le pulsar PSR J0453+1559 a été découvert en 2015, il est remarquable car il s'agit d'un système binaire rare composé de deux étoiles à neutrons. Ce qui a rendu PSR J0453+1559 encore plus surprenant, ce sont les masses des étoiles à neutrons. Alors que la première étoile a une masse de 1,559 masses solaires, la seconde atteint seulement 1,174 M☉, ce qui en fait l'étoile à neutrons la plus petite connue, une masse si faible qu'elle est difficile à expliquer. Une équipe d'astrophysiciens ont effectué des simulations et arrivent à produire une étoile à neutrons de 1,192 masses solaires... on y est presque. L'étude est parue dans Physical Review Letters.
Non seulement la petite étoile à neutrons du couple a la masse la plus faible de toutes les étoiles à neutrons observées à ce jour, mais en plus, la différence de masse entre les deux étoiles à neutrons est tout à fait inhabituelle, car les binaires d'étoiles à neutrons ont historiquement été observées avec des masses assez similaires. Bernhard Müller (Monash University, Australie) et ses collaborateurs ont adopté une approche computationnelle pour comprendre comment une supernova a pu former une étoile à neutrons d'aussi faible masse.
C'est la masse initiale d'une étoile qui va déterminer son destin. La théorie générale pour les étoiles de masse comprise entre 8 M☉ et 20 M☉ est que, tout au long de leur vie, elles subissent de multiples cycles de combustion d'éléments de plus en plus lourds, commençant par leurs réserves initiales d'hydrogène et d'hélium, puis formant finalement un noyau de fer et une structure en oignon composée de différentes couches d'éléments de plus en plus légers quand on va vers l'extérieur de l'enveloppe. Une fois que le noyau atteint la masse limite de Chandrasekhar d'environ 1,4 M☉, il s'effondre et produit une supernova à effondrement de cœur (de type II). Les neutrinos emportent alors très rapidement une grande quantité d'énergie hors du noyau, amplifiant l'effondrement gravitationnel.
L' étoile à neutrons résultante a généralement une masse qui ne dépasse pas environ 2 M☉, une valeur théorique obtenue via l'équation d'état de la matière nucléaire ultra-dense des étoiles à neutrons (une relation décrivant le comportement de la pression et de la densité dans des conditions extrêmes) et qui est confirmée observationnellement pour l'instant.
En revanche, l'estimation de la masse minimale d'une étoile à neutrons est complexe, car la formation des étoiles à neutrons est encore mal comprise. Par exemple, les détails de l'explosion d'une supernova, comme la quantité de masse éjectée et celle restante sont mal contraints. Le rôle des champs magnétiques dans leur formation est également un sujet d'étude actuel.
Des simulations d'explosions de supernovas avec une physique précise, notamment la prise en compte de la physique des neutrinos qui entre en jeu ici peuvent ainsi aider les astrophysiciens à déterminer quel type de progénitrice et quel scénario d'explosion pourraient produire une étoile à neutrons aussi légère que celle de PSR J0453+1559.
Müller et ses collaborateurs ont effectué des simulations tridimensionnelles de supernovas à effondrement de cœur sur une gamme de progénitrices potentielles dont les masses s'étendent de 9,45 M☉ à 9,95 M☉. Après des tests initiaux, ils ont sélectionné cinq candidates prometteuses parmi cette gamme.
Après avoir reproduit une supernova avec chacune de ces progénitrices, ils ont déterminé la masse de l'étoile à neutrons résultante. Parmi leurs cinq modèles, celui de 9,9 M☉ semblait le plus prometteur, produisant une masse de 1,313 M☉ (masse baryonique : neutrons + protons). La conversion de cette valeur en masse gravitationnelle (c'est à dire la masse décrite par les observations de 2015, qui doit être plus faible en raison de l'énergie perdue par liaison lors de la formation de l'étoile à neutrons) donne une valeur de 1,192 M☉. On n'arrive pas à 1,174 M☉, mais c'est tout de même beaucoup plus proche que ce à quoi on pouvait s'attendre.
L'un des avantages des simulations 3D plutôt que 2D, c'est qu'une explosion peut présenter une asymétrie qui mieux décrite en trois dimensions. Lorsqu'une supernova à effondrement de cœur explose, l'étoile à neutrons produite par l'explosion est « éjectée » à grande vitesse. Avec une masse minimale de 1,192 M☉, Müller et al. ont obtenu une éjection à environ 100 km/s pour l'étoile à neutrons, ce qui correspond approximativement à l'échelle de l'éjection attendue pour une supernova de ce type.
Les chercheurs ont donc établi un nouveau record pour la plus faible masse d'étoile à neutrons, obtenue grâce à des simulations 3D de supernovas intégrant une physique précise des neutrinos.
Cette étude est importante car elle contribue à apaiser certaines tensions entre théorie et observation. Les supernovas à effondrement de coeur produisent probablement aussi des étoiles à neutrons de faible masse, soit à la place , soit en complément des supernovas à capture d'électrons, un type particulier de supernovas qui sont souvent produites par des systèmes binaires dont on pensait qu'ils produisaient des étoiles à neutrons de faible masse. Müller et ses collaborateurs rappellent qu'il existe toujours une tension de 2σ par rapport à la masse de 1,174 M⊙, et la nature d'étoile à neutrons de la petite composante du système binaire a été remise en question en 2019, par Tauris et al. (voir ici) qui montraient qu'il pouvait s'agir d'une naine blanche. Mais pour eux, la tension est si faible que des variations systématiques ou stochastiques mineures dans l'évolution de l'étoile progénitrice et la dynamique des supernovas pourraient étendre la gamme des masses des étoiles à neutrons d'environ 0,01M⊙ et résoudre cette divergence. En outre, les perturbations convectives de la graine dans l'étoile progénitrice pourraient entraîner un début légèrement plus précoce de l'explosion et réduire encore la masse de l'étoile à neutrons, selon les chercheurs.
L'interprétation de l'étoile à neutrons présente l'avantage que le kick émerge naturellement d'une simulation en 3D, alors que l'interprétation d'une naine blanche repose sur une estimation optimiste de l'anisotropie de la quantité de mouvement de l'éjecta pour expliquer le kick observé. Globalement, les
nouvelles simulations de Müller et al. apportent plusieurs informations importantes. Premièrement,
la nouvelle limite de masse atténue les tensions entre les modèles 3D et plusieurs étoiles à neutrons de faible masse qui ont été observées entre 1,21 et 1,22 M⊙. Deuxièmement, contrairement à ce que l'on pensait depuis longtemps, les masses les plus légères des étoiles à neutrons ne semblent pas forcément produites par des supernovas à capture d'électrons, mais peuvent l'être par des supernovas à effondrement de coeur. De plus, on constate que les étoiles à neutrons les plus légères peuvent provenir d'étoiles situées plusieurs dixièmes de M⊙ au-dessus du seuil de masse pour les supernovas à effondrement de coeur.
Et Müller et ses collègues montrent aussi qu' il n'y a pas de corrélation stricte entre la masse des étoiles à neutrons et les kicks (impulsions natales). Ils prévoient que les étoiles à neutrons les plus légères peuvent encore avoir kicks substantiels (bien qu'inférieurs à la moyenne).
On le voit, combiner des prévisions de plus en plus détaillées et précises de la masse des étoiles à neutrons et de leur kick à l'extrémité de la distribution des faibles masses à partir des modèles d'explosion en 3D est très prometteur pour tester et valider notre compréhension de la physique des supernovas et de l'évolution stellaire.
Source
Minimum Neutron Star Mass in Neutrino-Driven Supernova Explosions
Bernhard Müller et al.
Physical Review Letters vol 134 (21 february 2025)
Illustration
Simulation d'une supernova d'une étoile de 9,9 masses solaires (Müller et al.)
1 commentaire :
Merci encore pour ce très intéressant article.
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