jeudi 19 juillet 2012

La Bataille du Xénon Liquide

XENON1T, retenez ce nom. Ce nom quelque peu barbare est celui d’une expérience de physique des astroparticules, et plus précisément une expérience de recherche de matière noire sous forme de WIMPs.
Pourquoi retenir ce nom ? Parce que cette expérience sera peut-être bien celle qui parviendra la première à détecter des WIMPs pour de bon…

Le nom de cette expérience fruit d’une collaboration internationale à dominante états-unienne vient du type de détecteur qui est utilisé, à savoir du xénon sous forme à la fois liquide et gazeuse. Vous le savez, le xénon c’est ce gaz rare complètement inerte chimiquement (au même titre que ces voisins argon ou krypton). Inerte chimiquement certes, mais ayant des propriétés très intéressantes pour détecter des interactions de particules chargées (ou non).
Schéma du détecteur XENON1T (XENON100 collaboration)
Le détecteur biphasique employé par XENON1T est une chambre à projection temporelle, ce qu’on appelle une TPC. Son principe repose sur la création de lumière et de charges électriques lors du passage de particules à travers sa cavité utile. 

XENON1T n’existe pas encore, mais ce détecteur existe déjà depuis plusieurs années à échelle plus réduite, tout d’abord XENON10, qui utilisait une dizaine de kilogrammes de xénon liquide, puis le célèbre XENON100, qui lui utilise une quantité dix fois plus grande de xénon liquide et qui par ces résultats impressionnants a ouvert la voie royale à son grand frère XENON1T.
Le projet XENON1T vise bien évidemment à décupler encore la masse utile à la détection des WIMPs. Car c’est une course à la masse contre la montre. En effet, le nombre d’interactions d’une particule que l’on peut obtenir dans un détecteur est lié à son flux incident, bien sûr, mais aussi à sa probabilité d’interaction (ce qu’on appelle sa section efficace d’interaction), ainsi qu’à la durée d’exposition, et au nombre d’atomes-cibles (et donc la masse).

Les seuls paramètres sur lesquels les expérimentateurs peuvent jouer sont les deux derniers, c’est-à-dire le temps et la masse. Multiplier la masse de détecteur par 10 revient simplement à réduire par un facteur 10 le temps qui sera nécessaire pour détecter quelque chose. Alors comme les physiciens n’ont pas envie d’attendre 10 ans de plus pour aller chercher un prix Nobel, ils augmentent toujours plus la masse de leurs détecteurs.
http://physics.aps.org/assets/738c0d6c581aeaab
Schéma du principe de détection (Credit: Alan Stonebraker)

C’est d’ailleurs le lot commun de toutes les expériences de recherche de matière noire sous forme de WIMPs, qui cherchent toutes à augmenter progressivement la masse totale de leurs détecteurs.

Comme je le disais, l’étape XENON1T n’existe pour le moment que sur le papier, mais l’expérience actuelle, XENON100, qui a pris la suite de XENON10, est aujourd’hui déjà la plus sensible manip de recherche Directe de WIMPs, celle qui va chercher les plus faibles sections efficaces, en excluant une grande zone de l’espace masse-section efficace.
XENON100 s’est rendu célèbre en éliminant en l’espace de seulement 13 jours d’exposition, les résultats controversés de l’expérience DAMA (zone de section efficace située aux environ de 10-41 cm²). L’objectif ultime de XENON100 est une sensibilité atteignant 2 10-45 cm². Ils en sont aujourd’hui à environ 7 10-45 cm² et plus le temps passe plus la sensibilité descend si aucun candidat WIMP n’est détecté, ce qui est le cas chez XENON…

Et concernant XENON1T, en l’absence de signal positif, l’expérience pourra exclure des sections efficaces supérieures à 2 10-47 cm² pour des WIMPs de 50 GeV, ce qui veut dire que cette courbe d’exclusion englobera la totalité de la zone prédite théoriquement où on attend de voir des neutralinos dans  l’extension minimale supersymétrique contrainte du modèle standard. En d’autres termes, si la théorie est correcte, XENON1T verra des WIMPs. S’il ne les voit pas, il renverra les théoriciens des particules dans leurs pénates et à leurs tableaux noirs.
Plot comparatif masse-section efficace
La mise en service de XENON1T est prévue pour 2017, c’est-à-dire demain…

Il semble donc que la technologie des chambres à projection temporelle au Xénon ait le vent en poupe et soit plus efficace que la technologie concurrente utilisant du germanium cryogénique. Elle a d’ailleurs tellement le vent en poupe depuis les résultats de XENON100 qu’une concurrence directe s’est mise en place avec d’autres expériences reprenant le même concept du Xénon liquide pour essayer de coiffer sur le poteau l’expérience initiale et éponyme. Une manip concurrente porte le nom subtil de LUX pour Large Underground Xenon et est en cours d’installation à Sanford Underground Laboratory dans une mine d’or désaffectée du Sud Dakota.

Alors que XENON100 embarque environ 60 kg de Xénon, LUX quant à elle possède déjà 350 kg du précieux liquide. Grâce à cette quantité intermédiaire entre XENON100 et XENON1T, LUX pourrait peut-être mettre quelques bâtons dans les roues de XENON1T. 
Détecteur LUX (LUX collaboration)

LUX multiplie donc théoriquement par 3 la sensibilité accessible aujourd’hui et devrait donc atteindre les mêmes niveaux que XENON100 en trois fois moins de temps.
Le but de LUX est non seulement de descendre les limites accessibles mais aussi de préparer le futur comme l’avait fait en son temps XENON10, et les physiciens américains parlent déjà de l’étape 10 tonnes…
Mais les américains ne sont pas les seuls à avoir compris le très grand potentiel du xénon liquide pour la détection des WIMPs. Les japonais se sont également lancés dans la course, et vont vite tout en restant très discrets. Ils ont conçu une expérience tout à fait similaire aux autres, qui s’appelle XMASS et qui elle, offre déjà 1 tonne de Xénon liquide !

XMASS est implanté dans le laboratoire souterrain de Kamioka. Elle a débuté ses opérations de comptage en 2011 et doit être en train de fonctionner en silence à l’heure où j’écris ses lignes… Rien ne dit que ce ne soient pas les japonais qui rafleront les lauriers en fin de course… Les physiciens japonais évoquent même déjà une prochaine étape avec 20 tonnes de xénon.

détecteur XMASS (XMASS coll.)
LUX comme XENON100, XENON1T ou XMASS exploitent les caractéristiques du xénon liquide pour obtenir un bruit de fond extrêmement bas. Le volume actif de détection permet de reconstruire à la fois l’énergie déposée par une particule incidente ainsi que sa position. Les événements détectés dus à du bruit de fond radioactif sont supprimés très efficacement par le blindage fournit par les couches externes de xénon.
De plus, dans les trois manips décidément très similaires, l’ensemble du conteneur de xénon est plongé dans un énorme réservoir d’eau, qui blinde de façon excellente contre les neutrons venant de l’extérieur ainsi que ceux générés par des interactions de muons cosmiques (800 tonnes d’eau pour XMASS). 

Il fallait y penser mais un blindage d’eau de grandes dimensions est peut-être le meilleur blindage contre les différents types de radioactivité naturelle… et permet une très grande souplesse lorsque l’on veut changer de volume de détection, il suffit juste d’avoir suffisamment de place dans le laboratoire.

On peut imaginer aisément la guerre du xénon qui va avoir lieu d’ici quelques années entre XMASS, XENON1T et LUX, puis pourquoi pas entre un LUX-10T, un XMASS-20T et un XENON50T, etc… à celui qui comptera le plus (ou le moins) de WIMPs dans le délai le plus court en faisant ainsi avancer la connaissance de l’Univers toujours plus vite.


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