dimanche 4 février 2018

Plongée au coeur de deux galaxies en fusion


Arp 220 est une galaxie à la forme étrange, ultra-lumineuse en infra-rouge. C'est la galaxie la plus proche de ce type, à 250 millions d'années-lumière. Il s'agit en fait du résultat de la collision de deux galaxies spirales, encore en cours de fusion, et elle possède ainsi deux coeurs. Ces derniers viennent d'être observés en infra-rouge lointain par ALMA, avec à la clé une jolie petite découverte.




Le début de la fusion des deux galaxies spirales qui a produit cette forme sans forme a été datée à il y a environ 700 millions d'années. La fusion des galaxies à produit une bouffée de formation de nouvelles étoiles résultant en près de 200 énormes amas d'étoiles dans la région centrale très poussièreuse qui s'étend sur 5000 années-lumière de diamètre. La quantité de gaz dans cette petite région (équivalant à 5% de la taille de notre galaxie) est égale à la quantité totale de gaz de la Voie Lactée. Des observations antérieures effectuées avec Hubble dans le proche infra-rouge avaient réussi à percer cet épais brouillard astrophysique et avaient révélé que les deux cœurs n'étaient plus séparés que de 1200 années-lumière. Des observations en rayons X avec le télescope spatial Chandra, avaient quant à elles révélé que chacun des deux cœurs possédait un trou noir supermassif.  

Bien que Arp 220 ait été abondamment observée dans le passé, les observations étaient fortement limitées par la compacité de sa région centrale et surtout par le fort obscurcissement qui y règne. Mais ALMA permet de détecter des longueurs d'ondes peu absorbées par la poussière et le gaz environnant, et offre une résolution spatiale inégalée. Loreto Barcos-Muñoz (National Radio Astronomy Observatory) et ses collaborateurs ont réussi à imager les deux cœurs de Arp 220 de manière très détaillée et montrent la présence de deux jets, visibles en infra-rouge, émanant de l'un des deux cœurs. Qui plus est, les astrophysiciens obtiennent non seulement une cartographie plane, mais aussi une cartographie de vitesses grâce aux décalages spectraux par effet Doppler. Les jets observés sont bien sûr en direction opposées, l'un venant vers nous et l'autre s'en éloignant.  La vitesse maximale de l'éjection de matière que les chercheurs mesurent vaut 840 km/s.

Loreto Barcos-Muñoz et son équipe ont également découvert une chose surprenante qu'ils dcrivent dans leur article paru cette semaine dans The Astrophysical Journal Letters : les jets observés semblent plus abondants en gaz HCN qu'en CO (deux molécules bien détectables en infra-rouge lointain par ALMA). Ils s'attendaient à voir le contraire. Cette inversion remet en cause notre connaissance actuelle des propriétés des éjections de gaz extragalactiques, d'après les chercheurs.

La présence d'une éjection avait déjà été déduite par d'autres observations, mais c'est la toute première fois que le jet bipolaire est imagé et ses caractéristiques morphologiques et cinématiques mesurées. L'éjection apparaît très collimatée, alors que les astronomes s'attendaient plutôt à voir un jet élargi. Cette observation laisse augurer des observations futures très intéressantes sur les noyaux actifs de galaxies, puisqu'elles offrent un point de vue descendant à l'échelle de quelques centaines d'années-lumière seulement, de quoi voir des détails inédits. Les phénomènes de rétroaction induits par les jets de trous noirs supermassifs dans les galaxies très obscurcies vont ainsi pouvoir être étudiés.


Source
Fast, Collimated Outflow in the Western Nucleus of Arp 220
Loreto Barcos-Muñoz, Susanne Aalto, Todd A. Thompson, Kazushi Sakamoto, Sergio Martín, Adam K. Leroy, George C. Privon, Aaron S. Evans, and Amanda Kepley
The Astrophysical Journal Letters, Volume 853, Number 2 (2 février 2018)


Illustration

1) Arp 220 imagé par ALMA; les coeurs sont représentés en jaune Les deux jets sont en rouge et bleu, en fonction de leur vitesse apparente. Credit: L. Barcos-Muñoz, N. Lira, J. Pinto - ALMA (NRAO/NAOJ/ESO)

2) Arp 220 par le télescope Hubble (STScI/AURA)-ESA/Hubble Collaboration and A. Evans (University of Virginia, Charlottesville/NRAO/Stony Brook University))

Aucun commentaire :