mardi 16 avril 2019

Titan : des lacs de méthane complexes


Durant son dernier survol rapproché de Titan le 22 avril 2017, la sonde Cassini a été utilisée pour sonder plusieurs lacs de son hémisphère nord avec son radar. Les résultats obtenus sont étonnants : ces lacs sont remplis de méthane liquide et sont très profonds (plus de 100 m), ils sont en outre très différents du principal lac observé dans l'hémisphère sud du satellite saturnien.




C'était la première fois, et la dernière, que les lacs de Titan étaient sondés en ondes radio centimétriques (radar). Les mers de Titan l'avaient déjà été auparavant. Les lacs de l'hémisphère nord de Titan ont une particularité, outre leur relativement grande profondeur : ils sont situés à plusieurs centaines de mètres au dessus du niveau des mers principales. De plus, le grand lac de l'hémisphère sud, qui est appelé Ontario Lacus, a une composition un peu différente : un mélange d'éthane et de méthane. Les planétologues qui ont analysé les données transmises par Cassini estiment que ces lacs de méthane se seraient formés par un processus de type karstique (le liquide dissolvant la roche où il s'écoule).
Dans ce cas, les lacs doivent subir un écoulement de subsurface qui pourrait atteindre jusqu'à 1 m par année locale (1 année titanesque = 29,5 ans). L'existence de grands réservoirs et d'écoulements importants doit, selon les chercheurs, avoir une influence importante sur l'ensemble de la géochimie de Titan. Cela implique également qu'un cycle hydrologique complet doit avoir lieu sur le satellite de Saturne. 
Marco Mastrogiuseppe (Caltech) et ses collaborateurs américains et italiens publient leurs résultats dans Nature Astronomy. Ils y décrivent Titan comme un monde étonnant d'hydrocarbures où règne une faible gravité, et où des gouttes de méthane de la taille d'une bille peuvent tomber lentement sous forme d'une pluie qui remplit des lacs creusés dans la surface organique de hauts plateaux, formant ensuite des écoulements qui s'épanchent dans de vastes mers aux couleurs improbables et aux vagues quasi absentes (1 cm de hauteur au maximum). Ces lacs de l'hémisphère nord ne sont assurément pas remplis par des écoulements de surface. C'est bel et bien une pluie de méthane liquide qui les a rempli, les planétologues sont formels.
Et comme les lacs semblent stables dans le temps selon l'équipe de Mastrogiuseppe, l'apport de méthane par les pluies doit être compensé par un écoulement souterrain vers la mer. Par certains côtés, Titan ressemble donc à la Terre, avec un cycle géologique du liquide, même si ce n'est pas le même.


Mais une seconde étude, toujours issue des données de Cassini sur Titan, est également parue dans le même numéro de Nature Astronomy et montre elle des résultats différents : la présence d'une instabilité des lacs dans le temps. Cette étude s'est intéressée à l'évolution des lacs de l'hémisphère nord entre deux saisons consécutives. Shannon MacKenzie (Johns Hopkins University) et son équipe ont exploité le même instrument de la sonde, son radar, ainsi que des données spectrales en infra-rouge, pour tenter d'observer des variations saisonnières autour des nombreux lacs de l'hémisphère nord, à l'image de ce qui avait pu être observé quelques années plus tôt autour de quelques lacs de l'hémisphère sud durant l'été local. Ce que Mac Kenzie et ses collaborateurs montrent dans leur étude, c'est que, pour trois lacs de l'hémisphère nord, alors qu'ils apparaissent bien "liquides" durant l'hiver, ils ne ressemblent en revanche plus du tout à des lacs 7 ans plus tard, après l'équinoxe. Les chercheurs en concluent ainsi que ces lacs pourraient ressembler à des étangs peu profonds, en contradiction avec les résultats de Mastrogiuseppe et al.
Ils déduisent également des contraintes concernant les échelles de temps de disparition des surfaces liquides dans les régions septentrionales de Titan, qui doivent affecter la taille et la longévité des réservoirs de méthane liquide. D'après les planétologues, ces évolutions doivent également affecter l'évolution du climat sur Titan. Ils concluent pour finir qu'un lac de courte durée de vie doit nécessairement être pauvre en nutriments et de fait doit n'avoir qu'un très faible potentiel biologique...

La réalité se situe sans doute entre les deux analyses : il est probable que différents types de retenues de méthane liquide soient présentes dans l'hémisphère nord de Titan : à la fois des lacs karstiques profonds et des étendues peu profondes à la géologie différente subissant évaporation ou infiltration.
Titan se révèle ainsi grâce à Cassini comme un monde très riche, le seul dans le système solaire, avec la Terre, à posséder un cycle hydrogéologique complexe.


Sources

Deep and methane-rich lakes on Titan
M. Mastrogiuseppe, V. Poggiali, A. G. Hayes, J. I. Lunine, R. Seu, G. Mitri & R. D. Lorenz 
Nature Astronomy (15 april 2019) 

The case for seasonal surface changes at Titan’s lake district
Shannon M. MacKenzie, Jason W. Barnes, Jason D. Hofgartner, Samuel P. D. Birch, Matthew M. Hedman, Antoine Lucas, Sebastien Rodriguez, Elizabeth P. Turtle & Christophe Sotin 
Nature Astronomy (15 april 2019) 


Illustration

1) La lumière du Soleil se réflétant dans les étendues liquides de l'hémisphère nord de Titan , imagé en infra-rouge par Cassini (NASA/JPL-Caltech/Univ. Arizona/Univ. Idaho) 

2) Image radar des lacs peuplant l'hémisphère nord de Titan (NASA/JPL-Caltech/ASI/USGS)

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