mardi 17 septembre 2019

Observation de nuages de gaz moléculaires imposants dans le Serpent Cosmique


Les nuages de gaz moléculaire (du dihydrogène : H2) dans les galaxies contemporaines sont des structures de relativement petite taille malgré le nom de ‘nuages moléculaires géants’ qu’on leur donne : entre 15 et 350 années-lumière pour une masse n’excédant pas 10 millions de masses solaires. Observer de tels nuages, qui vont donner naissance à des étoiles, mais dans des galaxies très lointaines est un beau challenge. Un challenge qui vient d’être réussi sur une galaxie éloignée de 8 milliards d’années par une équipe internationale impliquant des astrophysiciens français. Et il ne s’agit pas de n’importe quelle galaxie : le Serpent Cosmique. Une étude parue dans Nature Astronomy.




Le Serpent Cosmique doit son surnom à la forme extrêmement particulière qu’elle montre en forme de serpentin longiligne. Mais il s’agit d’une illusion. Cette galaxie qui est une galaxie similaire à la nôtre, en plus jeune, apparaît extrêmement déformée par un fort effet de lentille gravitationnelle produit par un amas de galaxie plus proche (MACS J1206.2–0847) qui se trouve presque sur la ligne de visée. L’image de la galaxie lointaine se retrouve alors démultipliée en 4 images qui se chevauchent partiellement, déformées et amplifiées jusqu’à former l’illusion de ce serpent cosmique. La galaxie possède 40 milliards de masses solaires en étoiles, une fraction massique de gaz moléculaire de 25% (par rapport à la masse stellaire) et un taux de formation d’étoiles soutenu de 30 masses solaires par an.

C’est grâce à la forte amplification de sa lumière par l’effet de lentille gravitationnelle que cette galaxie peut être étudiée à haute résolution après que son image réelle ait été reconstruite. Pour étudier le gaz moléculaire d’hydrogène, les astrophysiciens utilisent l’émission d’un autre gaz, le monoxyde de carbone et son émission (4-3) qui est accessible au réseau de radiotélescopes ALMA (Atacama Large Millimeter Sumillimeter Array), dont la puissance de résolution atteint ici 0,2 secondes d’arc.

Miroslava Dessauges-Zavadsky (Université de Genève) et ses collaborateurs dont Françoise Combes, Johan Richard et Frédéric Boone en France, parviennent à identifier 17 nuages moléculaires géants dans le Serpent Cosmique avec une résolution équivalente à celle qui serait obtenue dans des galaxies proches : une centaine d’années-lumière. Et ce que les astrophysiciens et ciennes ont découvert, c’est que ces nuages moléculaires géants ont une masse, une densité et une turbulence entre 10 et 100 fois plus élevées que ce qu’on observe dans des nuages de gaz similaires dans des galaxies proches.

Les nuages moléculaires géants du Serpent Cosmique sont si turbulents qu’ils sont qualifiés de « hautement supersoniques » (avec un nombre de Mach de 80, soit 10 fois plus grand que dans des nuages de gaz proches).

L’efficacité de formation stellaire apparaît, de plus, bien supérieure dans le Serpent Cosmique avec un taux de conversion du gaz en étoiles proche de 30% (contre 6% dans des galaxies proches). Les chercheurs attribuent cette différence à la forte turbulence qui est observée. En effet, les amas d’étoiles se forment par effondrement gravitationnel de surdensités de gaz issues des chocs et des compressions qui sont générées par la turbulence supersonique dans les nuages. Ces observations mettent en tous cas en question l’universalité du comportement des nuages de gaz moléculaire. Dessauges-Zavadsky et ses collaborateurs estiment que les différences observées sur ces nuages de gaz moléculaire dans une galaxie plus jeune de 8 milliards d’année seraient liées au milieu interstellaire environnant. Le fort cisaillement et effet de marée qui est observé dans le disque galactique du Serpent Cosmique semble, d’après Dessauges-Zavadsky, réguler la formation d’étoiles en stabilisant les nuages géants de gaz moléculaire en les empêchant de s’effondrer totalement mais en laissant tout de même des étoiles se former, apportant une sorte de modération dans le taux de formation stellaire.

Par ailleurs, les chercheurs observent que la masse des nuages de gaz moléculaire est similaire à celle des amas d’étoiles qui sont observés dans la galaxie, en même nombre. Ils en concluent que cela conforte l’idée que les nuages de gaz moléculaire se forment par fragmentation du gaz turbulent du disque galactique, menant ensuite à l’apparition de groupes d’étoiles comme ceux qui sont observés un peu partout dans les galaxies à la même époque cosmique.


Source

Molecular clouds in the Cosmic Snake normal star-forming galaxy 8 billion years ago
Miroslava Dessauges-Zavadsky, Johan Richard, Françoise Combes, Daniel Schaerer, Wiphu Rujopakarn, Lucio Mayer, Antonio Cava, Frédéric Boone, Eiichi Egami, Jean-Paul Kneib, Pablo G. Pérez-González, Daniel Pfenniger, Tim D. Rawle, Romain Teyssier & Paul P. van der Werf
Nature Astronomy (16 september 2019)


Illustrations

1) La galaxie du Serpent Cosmique imagée par le télescope spatial Hubble (NASA / ESA / Hubble)

2) Image reconstruite (à gauche) de la galaxie du Serpent Cosmique et identification des nuages de gaz moléculaire (à droite) (Dessauges-Zavadsky et al.).

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