vendredi 1 novembre 2019

Nébuleuse du Crabe : détection d'une émission gamma étendue


La nébuleuse du Crabe est le résidu de l'une des premières supernovas a avoir été enregistrée par les Hommes, en 1054. Aujourd'hui, nous voyons ce résidu sous la forme d'une nébuleuse en expansion, qui a été étudiée et imagée sous toutes les longueurs d'ondes... Toutes sauf une : les rayons gamma très énergétiques. Mais c'est désormais chose faite grâce au télescope Cherenkov H.E.S.S. Les résultats sont publiés dans Nature Astronomy.




Dans les rayons X "durs" et les rayons gamma, la Nébuleuse du Crabe (M1) est la source la plus lumineuse, mais on la connait surtout par ces images s'étalant des ondes radio aux rayons X, avec lesquelles de nombreuses images composites plus délicieuses les unes que les autres ont pu être construites, révélant de riches structures internes en évolution. Mais jusqu'à aujourd'hui, le "Crabe" comme l'appellent souvent les astrophysiciens et les astronomes amateurs, n'apparaissait que comme une source ponctuelle en rayons gamma. La collaboration H.E.S.S (High Energy Stereoscopic System) a enfin permis de produire une image de la zone d'émission gamma (ayant une énergie de l'ordre du TeV) dans la nébuleuse. Cette zone s'étend sur environ 50 secondes d'arc et permet aux astrophysiciens de sonder le comportement des électrons de 1 à 10 TeV qui en sont responsables.


Au centre de la nébuleuse du Crabe se trouve le pulsar du même nom, une étoile à neutrons qui a une période de 33 ms, résidu ultime de l'explosion qui eut lieu il y a un peu moins de 1000 ans. Et ce pulsar génère un vent de particules relativistes autour de lui. Ces électrons et positrons, pour la plupart, se retrouvent au sein de la nébuleuse où ils interagissent. Les électrons interagissent à la fois avec les champs magnétiques, produisant au passage des ondes radio lors de la courbure de leur trajectoire (par rayonnement synchrotron), mais aussi avec les noyaux atomiques, produisant des rayons X par rayonnement de freinage (Bremsstrahlung) et avec les photons du milieu, en créant des photons beaucoup plus énergétiques par collision élastique (effet Compton inverse) : les photons gamma détectés par la collaboration internationale qui exploite le grand détecteur atmosphérique situé sur le haut plateau de Khomas en Namibie, à 1800 m d'altitude.


H.E.S.S. est un réseau de 5 télescopes Cherenkov qui détectent la lumière Cherenkov qui est produite dans l'atmosphère quand un photon gamma d'énergie comprise entre 50 GeV et 50 TeV interagit dans la haute atmosphère et crée alors une gerbe de particules secondaires qui se développe dans la couche atmosphérique. Cette détection permet aux spécialistes de reconstruire précisément à la fois l'énergie du photon gamma primaire, mais aussi sa direction d'arrivée. La nébuleuse du Crabe a ainsi été suivie régulièrement par H.E.S.S. pendant plus de 10 ans pour pouvoir en faire une cartographie dans ce domaine énergétique.
Afin de reconstruire précisément les propriétés des sources détectées, pour chaque observation, les chercheurs ont effectué des simulations Monte Carlo prenant en compte une source imaginaire et les conditions de leurs observations, dans le but de déterminer la robustesse de leur analyse de données et l'impact des erreurs statistiques et systématiques.
Ils ont déterminé l'extension spatiale de l'émission gamma de la nébuleuse en comparant les images gamma reconstruites avec les données et celles obtenues par simulation. Les équipes de la grande collaboration ont été obligées de procéder de la sorte car la taille de la source gamma du Crabe atteint la limite de résolution que H.E.S.S. peut offrir.

En faisant l'hypothèse que la source a une forme gaussienne, les chercheurs trouvent une extension de 52,2 secondes d'arc pour des photons d'énergie supérieure à 700 GeV. Pour comparaison, la nébuleuse du Crabe s'étend sur 65 secondes d'arcs en ultraviolet et seulement sur 25 secondes d'arc en rayons X.

En comparant les extensions spatiales aux différentes longueurs d'ondes, les astrophysiciens peuvent étudier comment les électrons accélérés qui sont à l'origine de tous ces rayonnements non thermiques perdent leur énergie en fonction de leur énergie cinétique.
Les observations en radio, infra-rouge, visible, ultraviolet et rayons X avaient déjà révélé l'existence d'une structure de type jet-tore. En modélisant le vent de pulsar (les électrons énergétiques) comme un flux magnétohydrodynamique axi-symétrique à deux dimensions se propageant dans la région proche du plan du tore, les chercheurs de la collaboration déduisent l'intensité et l'orientation du champ magnétique, ainsi que d'autres paramètres. Ils en concluent notamment que c'est la même population d'électrons qui est à l'origine des morphologies visibles en rayons X et en rayons gamma énergétiques.
Ces nouveaux résultats viennent consolider notre compréhension de ce magnifique résidu de supernova qu'est la nébuleuse du Crabe. La prochaine étape sera de résoudre encore mieux la zone d'émission de rayons gamma énergétiques, notamment pour étudier la distribution des électrons dans les riches structures qui sont visibles dans les autres longueurs d'onde, dans le but de révéler les sites d'accélération de particules et d'interaction du vent de pulsar. Il sera aussi très important pour les astrophysiciens d'essayer de voir ce qui se passe avec les rayons gamma au moment où le Crabe se met à produire des "éruptions", étant donné que les mécanismes en jeu ne sont probablement pas tout à fait les mêmes que lors des émissions continues...


Source

Resolving the Crab pulsar wind nebula at teraelectronvolt energies
Abdalla, H. et al. (H.E.S.S. Collaboration) 
Nature Astronomy (28 octobre 2019)


Illustrations

1) Image composite de la Nébuleuse du Crabe (NASA, ESA, G. Dubner (IAFE, CONICET-University of Buenos Aires) et al.; A. Loll et al.; T. Temim et al.; F. Seward et al.; VLA/NRAO/AUI/NSF; Chandra/CXC; Spitzer/JPL-Caltech; XMM-Newton/ESA; and Hubble/STScI)

2) La nébuleuse du Crabe imagée dans différentes longueurs d'onde : radio en rouge (par le Karl G. Jansky Very Large Array), infrarouge en jaune (par le télescope spatial Spitzer ), visible en vert (par  le télescope spatial Hubble), ultraviolet en bleu (par XMM-Newton), et rayons X en mauve (par Chandra) (NASA, ESA, G. Dubner (IAFE, CONICET-University of Buenos Aires) et al.; A. Loll et al.; T. Temim et al.; F. Seward et al.; VLA/NRAO/AUI/NSF; Chandra/CXC; Spitzer/JPL-Caltech; XMM-Newton/ESA; and Hubble/STScI)

3) Le réseau de télescopes de H.E.S.S (CEA)

4) Zone étendue de l'émission gamma de haute énergie observée par H.E.S.S (cercle plein). La zone pointillée est la zone observée en rayons X par Chandra (H.E.S.S Collaboration)

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