jeudi 7 novembre 2019

13 milliards d'années d'évolution galactique simulées pendant un an avec 16000 processeurs


Une équipe germano-américaine vient de rendre publique la simulation cosmologique la plus détaillée à ce jour de la formation et de l'évolution des galaxies, simulées sur une durée de près de 13 milliards d'années. Ils ont utilisé des ressources de calcul monstrueuses correspondant à 16000 ans sur un ordinateur à simple coeur (16000 coeurs pendant un an non-stop). Ces simulations nous fournissent pour la première fois des informations importantes sur les processus en jeu. Ils publient deux articles dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.




Les équipes du Max Planck Institut de Garching et Heidelberg et leurs collaborateurs américains ont frappé un grand coup. Leur simulation nommée TNG50, qui fait partie du projet IllustrisTNG est tout simplement incroyable. Elle combine à la fois les détails nécessaires à l'échelle d'une galaxie et les détails à très grande échelle. Ils ont simulé un cube d'Univers de 230 millions d'années-lumière de côté avec des détails d'à peine 200 années-lumière (85 000 masses solaires).
TNG50 comporte ainsi des milliers de galaxies, qui sont suivies dans le temps durant 13 milliards d'années, via la simulation de 20 milliards de "particules" représentant la matière noire, les étoiles, le gaz, les trous noirs, évoluant au sein de champs magnétiques et de champs gravitationnels.
Ces simulations cosmologiques sont extrêmement gourmandes en temps de calcul. Les astrophysiciens-informaticiens doivent toujours faire face a un dilemme avec ce type de calculs à n corps : avec une puissance de calcul finie, les simulations précédentes parvenaient soit à un espace virtuel très détaillé mais limité à une galaxie ou deux, ou bien à un grand volume d'espace mais sans détails fins sur ce qui se passe au niveau des galaxies, ce qui réduit leur pouvoir de prédiction.

L'équipe de Annalisa Pillepich (Max Planck Institut für Astronomie, Heidelberg) et Dylan Nelson (Max Planck Institut für Astrophysik, Garching) ont réussi la prouesse de faire les deux en même temps : ils allient pour la première fois une simulation cosmologique à très grande échelle avec la résolution des simulations très zoomées. Il leur a fallu pour faire cela un supercalculateur, le Hazel Hen de Stuttgart possédant 16000 coeurs, qu'ils ont fait tourner pendant un an entier, 24h/24....
La vidéo que vous pouvez voir ci-dessous montre un échantillon de la simulation TNG50 centrée sur une seule galaxie massive au cours du temps. L'écran principal montre la densité du gaz (élevé en blanc, faible en noir). La vignette en bas à gauche montre la matière noire à grande échelle puis le gaz, et la vignette en bas à droite montre les distributions à petite échelle des étoiles et du gaz. La galaxie simulée ici aura la taille de la galaxie d'Andromède à la fin de la simulation, à l'époque actuelle. On observe que sa progénitrice subit une rapide formation d'étoiles dans un réservoir de gaz turbulent qui se stabilise en un disque bien ordonné après quelques milliards d'années d'évolution. La galaxie ne subit pas de fusion galactique majeure ici. 


TNG50 est une simulation de magnétohydrodynamique, qui calcule donc à la fois les effets gravitationnels et magnétiques pour chaque particule de la simulation. Le résultat est visuellement bluffant., il permet aux chercheurs d'étudier en détails comment se forment les galaxies et comment elles ont évolué depuis l'époque de formation des premières étoile à T0 + 600 millions d'années. La simulation fournit aux astrophysiciens deux découvertes.

La première découverte numérique qu'offre THG50 concerne la formation des galaxies à disques (à l'image de notre galaxie). En utilisant la simulation comme une machine à remonter le temps de l'évolution cosmique, Annalisa Pillepich, Dylan Nelson et leurs collaborateurs voient comment les belles galaxies spirales bien ordonnées qui sont communes dans l'Univers proche, émergent de nuages de gaz très chaotiques, très désordonnés et très turbulents. Au fur et à mesure que le gaz se stabilise; il faut assez peu de temps pour que les étoiles nouvelles-nées se retrouvent sur des orbites de plus en plus circulaires, jusqu'à former des grandes galaxies spirales 10 milliards d'années plus tard.  Le phénomène est vu quelle que soit l'époque et quelle que soit la masse de la galaxie. L'échantillon de galaxies simulées comporte soit 700 galaxies de plus 10 milliards de masses solaires en étoiles ou 6500 galaxies de plus de 100 millions de masses solaires en étoiles à l'époque de redshift z=1 (quand l'Univers a 6 milliards d'années), mais elles sont suivies sur une période de temps allant de 600 millions d'années après le Big Bang jusqu'à aujourd'hui...


La seconde découverte offerte par la simulation TNG50 est que la géométrie des flux cosmiques de gaz autour des galaxies détermine leur structure, et vice-versa. Cet effet n'avait pas été anticipé, il émerge "naturellement" à partir des ingrédients physiques qui ont été injectés dans les équations nourrissant l’algorithme de leur modèle d'Univers. Les flux de gaz sortant des galaxies sont produits par les explosions de nombreuses supernovas ou l'activité des trous noirs supermassifs, qui sont pris en compte dans la simulation. Ce que l'on voit, c'est qu'au départ, les flux de gaz sont également assez chaotiques et partent dans toutes les directions, mais au fil du temps, ils deviennent de plus en plus focalisés le long d'une direction où il y a le moins de résistance.
Vers la fin du temps cosmologique simulé, les vents de gaz qui sont propulsés en dehors des galaxies forment clairement deux cônes de direction opposée, orthogonalement au disque galactique. Ils peuvent atteindre une vitesse de plus de 3000 km/s et une distance de 65 000 années-lumière. Puis ces flux de gaz ralentissent lors de leur tentative d'échapper au puits gravitationnel de la galaxie et peuvent retomber vers la galaxie en formant une sorte de fontaine de gaz recyclé. Ce processus redistribue le gaz du centre des galaxies vers leurs périphérie, accélérant alors leur transformation vers des formes en fins disques aplatis.  Mais le phénomène n'est pas identique pour toutes les galaxies formées, il est beaucoup plus présent dans les galaxies qui ont une masse en étoiles supérieure à 32 milliards de masses solaires, ce que les astrophysiciens attribuent à l'effet de rétroaction du trou noir supermassif qui doit être présent. Dylan Nelson et ses collègues observent aussi que la vitesse de ces "émissions" gazeuses augmente avec la masse stellaire de la galaxie, et que pour une masse donnée, cette vitesse est plus grande à grand redshift (plus tôt dans l'histoire cosmique), quand les galaxies forment le plus d'étoiles. 

Les chercheurs du Max Planck Institut, de Harvard, du MIT et du Center for Computational Astrophysics ont d'ores et déjà annoncé qu'ils partageront leurs données de simulation avec la communauté scientifique et avec le public. Cela pourrait permettre de faire de nouvelles découvertes de phénomènes émergents, produisant de la beauté à partir du chaos, grâce aux équations de la physique.

Sources

First results from the TNG50 simulation: the evolution of stellar and gaseous discs across cosmic time 
Annalisa Pillepich et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 490, Issue 3, (December 2019), https://doi.org/10.1093/mnras/stz2338

First results from the TNG50 simulation: galactic outflows driven by supernovae and black hole feedback 
Dylan Nelson, et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 490, Issue 3, (December 2019)
https://doi.org/10.1093/mnras/stz2306


Illustrations

1) Echantillon de 16 galaxies produites par simulation, vues de face et par la tranche (D. Nelson (MPA) and the IllustrisTNG team)

2) Evolution sur quelques centaines de millions d'années des flux de gaz éjectés autour d'une galaxie, en grande partie par le trou noir central : les 4 colonnes montrent de gauche à droite : la vitesse d'éjection, la température, la densité, et la composition en éléments lourds (D. Nelson (MPA) and the IllustrisTNG team)

2 commentaires :

Youx a dit…

Bonjour Eric,
Impressionnante, la simulation!
On peut voir que les inhomogénéités se forment et se dissipent en permanence.
Deux questions me viennent en tête:
Quel processus différent engendre les galaxies elliptiques, qui ont l'air parfaitement homogènes?
Qu'est-ce qui maintient la cohésion des amas globulaires? Les grumeaux les plus compacts que l'on voit arriver sont dilués en quelques secondes.

Pascal a dit…

Bonjour,

Je suis aussi très impressionné par cette simulation, pour diverses raisons.

Il me semble que la réponse aux 2 questions de Youx tient à la même constatation : le gaz est collisionnel, pas les étoiles aux densités galactiques. Les elliptiques sont le résultat de fusions majeures, avec peu de gaz résiduel.

Quant aux grumeaux qu'on voit se diluer, il s'agit de gaz turbulent (image principale) pas d'étoiles (vignette en bas). Les amas stellaires assez denses pourront évoluer, par évaporation/relaxation, vers les amas globulaires, sans gaz, et assez compacts pour résister aux effets de marée.

Les choses se compliquent avec le troisième larron, la MN, non collisionnelle mais qui tend à maintenir les baryons dans ses puits de potentiel. Les collisions d'amas galactiques (cf le Boulet) sont une bonne illustration du comportement respectif du gaz, des étoiles, et de la MN.