samedi 14 décembre 2019

MAMBO-9, la galaxie poussiéreuse très très lointaine


Le réseau de radiotélescopes ALMA a encore frappé. Il vient de permettre à une équipe d'astronomes de débusquer une galaxie poussiéreuse formatrice d'étoiles qui est située moins de 1 milliard d'années après la singularité initiale de l'Univers, exactement 970 millions d'années après. La lumière de cette galaxie dénommée MAMBO-9 a donc mis près de 13 milliards d'années à nous parvenir. La prouesse d'ALMA ici est d'avoir identifié cette galaxie pour la première fois sans recours à une amplification de lentille gravitationnelle. L'étude est parue dans The Astrophysical Journal.




MAMBO-9 (aussi appelée MM J1000+0215) fait partie de ce qu'on appelle les galaxies poussiéreuses formatrices d'étoiles (en anglais les DSFG, dusty star forming galaxies) . Il s'agit de galaxies en train de se former à grande vitesse, qui produisent donc beaucoup d'étoiles mais qui possèdent aussi énormément de gaz et de poussière, ce qui a pour effet de les obscurcir considérablement, les rendant très difficilement visibles, en plus de leur distance gigantesque. Elle peuvent fabriquer jusqu'à plusieurs milliers d'étoiles par an. 

MAMBO-9 a été détectée pour la première fois il y a 10 ans par l'instrument MAMBO (Max-Planck Millimeter BOlometer) monté sur le radiotélescope de 30 m de l'IRAM en Espagne associée au radiotélescope du plateau  de Bure en France. Mais ces observations n'étaient pas suffisamment sensibles pour déterminer quelle était la distance de cette galaxie. Et comme elle n'était visible par aucun autre télescope, les chercheurs se posaient des questions sur la réalité de cet objet qui semblait vraiment très lointain.
Caitlin Casey (Université du Texas) et ses collaborateurs ont retrouvé la trace de MAMBO-9 dans un relevé effectué avec ALMA en ondes radio millimétriques (2 mm de longueur d'onde), dédié spécifiquement à la recherche et à l'identification de galaxies poussiéreuses formatrices d'étoiles dans l'Univers jeune. Grâce à une mesure très précise du redshift (le décalage vers le rouge dû à l'expansion), que ALMA permet grâce à ses capacités spectrométriques, la distance de MAMBO-9 a pu être clairement mesurée. Avec un redshift z=5,850 ± 0,001., elle se situe donc 970 millions d'années après le Big Bang, soit 500 millions d'années après le démarrage de la formation des premières galaxies. C'est aujourd'hui la quatrième galaxie la plus lointaine connue.
Au delà de ce record de distance, ce qui est nouveau ici, c'est que c'est la plus lointaine galaxie poussiéreuse qui est détectée directement, sans avoir recours à une lentille gravitationnelle pour amplifier le flux lumineux, en vision directe.


Grâce à ça, la masse et d'autres caractéristiques de la galaxie ont pu être déterminées facilement. La masse totale de gaz et de poussière est absolument énorme. La masse d'hydrogène moléculaire que Casey et ses collègues trouvent est de 170 ± 40 milliards de masses solaires, et la masse de poussière vaut 1,3 ± 0,3 milliards de masses solaires. La masse d'étoiles serait quant à elle de 3,2 ± 1,0 milliards de masses solaires. Il y a donc presque autant de poussière que d'étoiles dans cette galaxies qui montre deux régions probablement en cours de fusion. Il y a surtout beaucoup plus de gaz (qui représente à lui seul 96% de la masse baryonique de cette galaxie).
Les chercheurs estiment également la masse totale de l'ensemble du halo, c'est à dire comprenant la masse invisible (matière noire) : 3300 ± 80 milliards de M ⊙... 

Les deux entités qui forment MAMBO-9 sont séparées de 6 kpc (20 000 années-lumière) et ne sont pas de la même taille et ne forment pas des étoiles au même rythme : la première produit 590 M⊙ d'étoiles par an tandis que la seconde en produit "seulement" 220 M⊙ par an.
Casey et ses collaborateurs calculent qu'à ce rythme, la masse d'étoiles sera multipliée par un facteur 10 dans une durée comprise entre 40 et 80 millions d'années.

L'identification systématique de galaxies poussiéreuses formatrices d'étoiles comme MAMBO-9 sans recours à des lentilles gravitationnelles va devenir un élément-clé pour mesurer la contribution réelle de la formation d'étoiles très obscurcie dans le taux de formation stellaire global aux redshifts très élevés (dans l'Univers âgé de moins de 1 milliards d'années). Cela devra aussi fournir de précieuses indications sur la formation des première galaxies massives qui semblent exister plus tôt que ce que l'on pensait, et aussi pour mieux comprendre la formation de la poussière interstellaire à cette époque reculée. Le challenge est lancé.


Source 

Physical Characterization of an Unlensed, Dusty Star-forming Galaxy at z = 5.85
Caitlin Casey et al.
The Astrophysical Journal, Volume 887, Number 1 (11 december 2019)


Illustrations

1) MAMO-9 imagée par ALMA en ondes radio (ESO/NAOJ/NRAO), C.M. Casey et al.; NRAO/AUI/NSF, B. Saxton)

2) Petite portion du réseau de 66 antennes de ALMA (Atacama Large Millimeter/Submillimeter Array) (ESO)

4 commentaires :

Youx a dit…

Bonjour Eric,
Elle vient d'où cette poussière???
La nucléosynthèse primordiale n'a produit quasiment que de l'hydrogène.
A l'époque, il y a déjà eu des étoiles massives qui ont eu le temps de se former, de brûler leur combustible et d'exploser en supernovae?

Dr Eric Simon a dit…

Les toutes premières étoiles étaient tres massives (100 ou plus masses solaires). Leur durée de vie est de max 10 millions d'années ! Il y avait donc tout le temps pour produire de la poussière de métaux...

Pascal a dit…

Bonjour,

A2744-YD4 est la galaxie poussiéreuse la plus lointaine étudiée, par Alma, et grâce à une lentille gravitationnelle avec un facteur d'amplification modéré (vers 2). son age cosmique n'est que de 600 Ma (z=8.38), à peine les 2/3 de MAMBO 9, soit seulement 200 Ma après le début de la réionisation ; elle a une masse stellaire (2 10^9 Mo) comparable, pour une masse poussiéreuse (0.6 10^9 Mo) et un SFR, vers 20 Mo/an, nettement inférieurs, à priori du fait de la différence d'age. Mais sous des hypothèses raisonnables (0.2% d'étoiles de plus de 8 Mo et 0.5 Mo de poussière produite par chaque SN II), on retrouve le bon ordre de grandeur de poussières produites en 200 Ma. https://arxiv.org/pdf/1703.02039.pdf.

J'ai fait le calcul avec les mêmes hypothèses pour Mambo 9, en prenant un SFR de 400 Mo/an, et un temps d'évolution stellaire de 570 Ma ; on arrive à 2.3 10^8 Mo de poussière, moins que les 1.3 10^9 annoncés, il faut peut-être ajuster les hypothèses de départ.

Pascal a dit…

Erratum : la masse poussiéreuse de A2744-YD4 est de 6 10^6 Mo (et pas 0.6 10^9)...