jeudi 26 mars 2020

Uranus : Un plasmoide trouvé dans des données de plus de 30 ans


Le 24 janvier 1986, la sonde américaine Voyager 2 survolait Uranus 81500 km au dessus du sommet de ses nuages, enregistrant des données précieuses sur la planète de glace. Aujourd'hui, des chercheurs refouillent ces données et dévoilent un secret resté longtemps enfoui. Une étude parue dans Geophysical Research Letters.



Voyager 2 avait permis la découverte de deux nouveaux anneaux, de onze satellites et de faire des mesures de température inédites sur Uranus. Mais ce que montrent Gina DiBraccio et Daniel Gershman (NASA Goddard Space Flight Center), c'est que Voyager 2 avait traversé à l'époque de son survol ce qu'on appelle un plasmoide, une bulle magnétique géante qui semble produire un effet important sur l'atmosphère de Uranus.
On sait qu'à plus ou moins grande échelle, toutes les atmosphères des planètes fuient vers l'espace, avec des grandes échelles de temps; le phénomène  est connu de Vénus à Saturne. Les échappements atmosphériques peuvent à la longue devenir dramatiques, comme le montre l'exemple de Mars après 4 milliards d'années de perte de gaz.
L'échappement atmosphérique est conditionné en grande partie par le champ magnétique de la planète. Le champ magnétique peut protéger la couche atmosphérique en empêchant le vent solaire de la dépleter facilement. Mais le champ magnétique peut aussi avoir un effet inverse et faciliter la perte d'atmosphère comme ce qui est observé sur Jupiter et Saturne lorsque les lignes de champs s'entremêlent, produisant alors des "trous" dans leur protection.
La mesure du champ magnétique d'Uranus in situ était donc extrêmement intéressante à obtenir pour estimer le devenir de ses couches atmosphériques. 
Gina DiBraccio et Daniel Gershman déterminent à la fois la structure globale du champ magnétique autour d'Uranus mais aussi sa dynamique, ou du moins une portion de sa dynamique (le temps du survol de Voyager 2 ayant été très court), à partir des données du magnétomètre embarqué sur la sonde.
Rappelons qu'Uranus est inclinée de quasi 90° par rapport au plan de l'écliptique et tourne sur elle même en environ 17 heures. Son champ magnétique quant à lui possède un axe qui fait un angle de 60° par rapport à l'axe de rotation de la planète, ce qui produit un mouvement d''oscillation très particulier de la magnétosphère, extrêmement difficile à modéliser. 

En réanalysant très finement les anciennes données, DiBraccio et Gershman arrivent à déterminer que les caractéristiques magnétiques qui ont été enregistrées par Voyager 2 sont celles d'un plasmoide, une bulle géante de plasma, un phénomène encore mal connu dans les années 80. Une telle bulle de plasma peut apparaître vers le bout de la queue de la magnétosphère "soufflée" par le vent solaire. Les données correspondantes à la détection ne durent que 60 secondes sur les 2h45 du survol. Une fois traitées et reconstruites, les données magnétiques indiquent une forme cylindrique pour ce plasmoide, avec des dimensions de 204 000 km de long pour 400 000 km de large. Comme pour d'autres plasmoides observés au niveau de Jupiter, Saturne ou Mercure, il semble peuplé de particules chargées, des protons provenant d'Uranus pour la plupart.
Et la traversée du plasmoide d'Uranus par Voyager 2 offre l'opportunité aux planétologues d'étudier son origine A l'inverse des autres plasmoides qui montrent des champs magnétiques internes enroulés, ceux-là apparaissent plutôt "lisses" en formant des boucles fermées sur elles-mêmes. Selon les chercheurs, de telles structures magnétiques sont typiquement formées quand une planète en rotation est en train d'éjecter une partie de son atmosphère via la force centrifuge. DiBraccio et Gershman estiment d'après leur analyse que le plasmoide observé à proximité d'Uranus pourrait être à l'origine de 15 à 55% de la perte de masse atmosphérique de la planète, ce qui est beaucoup plus important que dans le cas de Jupiter ou Saturne.
Les données de Voyager 2 sont bien évidemment très parcellaires sur Uranus, tant spatialement que temporellement, le survol d'Uranus ayant été très rapide. Mais cette nouvelle trouvaille dans des données qui dormaient dans des vieux disques durs permet de mettre en lumière une nouvelle facette de la géante de glace, qui est peut-être en train de perdre son atmosphère plus vite que les autres géantes.

Source

Voyager 2 Constraints on Plasmoid‐Based Transport at Uranus
DiBraccio, G. A., & Gershman, D. J.
Geophysical Research Letters, 46, (2019). 


Illustrations 

1) Uranus imagée par Voyager 2 le 24 janvier 1986 (NASA/JPL Caltech)

2) Reconstruction des lignes de champ magnétique de la magnétosphère d'Uranus; la fléche jaune point vers le Soleil; la flèche bleue est l'axe de rotation (NASA/Scientific Visualization Studio/Tom Bridgman)

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