KamLAND est un énorme détecteur de neutrinos situé au Japon. Son but principal est de détecter les neutrinos en provenance du Soleil, de supernovae ainsi que des neutrinos produits dans des réacteurs nucléaires pour étudier leurs oscillations.
Mais KamLAND, comme d'autres détecteurs de neutrinos, peut également détecter d'autres neutrinos, venant non du ciel, mais de l'autre côté, des profondeurs de la Terre.
La radioactivité, qu'elle soit produite par l'Homme
dans les centrales nucléaires ou naturelle par l'existence de chaines
de radioéléments issus de l'uranium et du thorium, naturellement
instables, est une source importante de neutrinos. Un isotope radioactif
qui se désintègre par émission béta moins emet en effet un électron accompagné d'un antineutrino électronique, et un isotope émetteur béta
plus produit un positron accompagné d'un neutrino electronique.
Le détecteur de KamLAND est noyé dans le flux de
(anti)neutrinos en provenance des centrales nucléaires japonaises
situées à proximité. Or, suite à l'événement dramatique de mars 2011,
tous les réacteurs japonais ont été mis à l'arrêt. Les physiciens
japonais ont alors pu voir un très beau signal de neutrinos venant d'ailleurs, de la croûte terrestre.
Ces neutrinos sont appelés des géoneutrinos. Ils
avaient déjà été mesurés en 2005 par KamLAND mais beaucoup plus
difficilement qu'aujourd'hui. Les géoneutrinos sont aussi traqués en Europe par
l'expérience BOREXINO qui est installée dans le laboratoire souterrain
du Gran Sasso en Italie.
Que peuvent nous révéler ces neutrinos des
profondeurs ? Ils sont en fait la seule possibilité que nous ayions pour
mesurer la fraction de la chaleur interne de notre planète provenant de
la radioactivité de l'uranium et du thorium. Nous savons que la
puissance thermique produite dans le manteau et la croute terrestre avoisine les 47
TW. Mais cette chaleur possède deux composantes : la première est une
chaleur résiduelle, rémanante depuis la formation de la planète il y a 4,5
milliards d'années, et la seconde est une chaleur produite par l'énergie
dégagée lors de la décroissance des éléments instables des chaînes radioactives de
l'uranium et du thorium. Ces deux sources tendent bien sûr à s'épuiser,
la première étant soumise au refroidissement thermodynamique, la
seconde par disparition des atomes radioactifs lors de leur décroissance
et leur transformation en isotopes stables.
Quelle est la proportion de ces deux composantes ?
C'est là que les géoneutrinos entrent en jeu, car ils permettent de
fournir une quantification presque directe de la quantité de radioactivité présente
dans le manteau terrestre. Jusqu'à présent, les géologues estimaient que
la Terre contenait la même proportion d'éléments radioactifs que les météorites primitives, mais n'en n'étaient pas très sûrs.
KamLAND, grâce à son détecteur liquide de 1000
tonnes a patiemment collecté 116 géoneutrinos entre 2002 et 2012. De
leur côté, leurs collègues européens, muni d'un détecteur de seulement 300 tonnes, en ont enregistré 14 durant 5 ans.
Grâce à ces flux mesurés, les physiciens et
géologues parviennent à déduire, en faisant l'hypothèse que uranium et
thorium sont uniformément répartis dans le manteau terrestre, que la proportion de la
puissance thermique issue de la désintégration radioactive de ces
éléments se situe entre 11 et 18 TW sur les 47 TW.
Mais plusieurs modèles coexistent : l'uranium et le
thorium peuvent être dispersés uniformément dans la profondeur du
manteau, ou bien préférentiellement à la limite noyau-manteau. La distinction du bon
modèle doit permettre de beaucoup mieux comprendre les flux de chaleur,
et notamment combien de temps ils continueront à s'écouler en produisant tous les
phénomènes géologiques que nous connaissons à commencer par les plus
dévastateurs.
Cela permettrait également de déterminer le plus
précisément possible en combien de temps notre chère Terre va se
refroidir définitivement.
Le problème des physiciens est que la totalité des
laboratoires souterrains actuels où sont chassés les neutrinos se
trouvent sur des plateaux continentaux, que ce soit au Japon, en Chine, en Italie ou au
Canada. Or, les géoneutrinos intéressants sont ceux du manteau, dont
l'origine se situe à plusieurs milliers de kilomètres de profondeur, et la croûte, sur
laquelle nous vivons, contient elle aussi sa quantité non négligeable
d'uranium et de thorium, sources de géoneutrinos qui s'avèrent gênants pour de belles mesures concernant le manteau.
Les spécialistes élaborent ainsi aujourd'hui de
nouveaux concepts de détecteurs de géoneutrinos, non plus enfouis dans
des laboratoires souterrains sur des plateaux continentaux, mais des détecteurs qui seraient
situés au fond des océans, là où la croûte terrestre est bien plus fine
que sur les continents. L'un de ces concepts propose un détecteur de 10000 tonnes qui serait
déposé sur le fond marin à partir d'une gigantesque barge. Il est
aujourd'hui en attente de financement, mais ces initiateurs américains ont de l'espoir.
Les neutrinos apparaissent aujourd'hui comme des
outils incontournables pour de nombreuses branches qui vont au-delà de
la physique des particules ou des astroparticules. Nul doute que la science des géoneutrinos (ou la géoscience des neutrinos) n'en est qu'à ses débuts.
Source :
Detectors zero in on Earth’s heat
Geoneutrinos paint picture of deep-mantle processes.
A. Witze
Nature 496, 17 (04 April 2013)
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire