L'histoire des sciences, ou au moins l'histoire de la physique des astroparticules, retiendra que c'est le 28 février 2014 que l'hypothèse des WIMPs de faible masse pour expliquer la matière noire est morte. C'est en effet il y a trois jours, ce 28 février, au cours de la conférence Dark Matter 2014 qui se tenait à UCLA en Californie que Lauren Hsu de la collaboration américaine SuperCDMS, a dévoilé les nouveaux résultats de cette expérience de recherche directe de WIMPs.
La collaboration SuperCDMS exploite des détecteurs cryogéniques de germanium permettant de détecter les éventuels collisions de WIMPs avec les noyaux de germanium. Les résultats obtenus par les américains (et quelques collègues anglais et français) sont tout à fait inédits, car ils permettent d'explorer une zone de l'espace [masse-section efficace] encore inexploré par les nombreuses expériences cherchant la même chose et s'avère être très exclusifs...
Mais il faut revenir un instant sur ce que c'est que cet espace que j'appelle l'espace [masse-section efficace]. La recherche d'événements produisant un signal dans les détecteurs, permettent de déduire deux paramètres clés concernant les particules impactantes : leur masse (grâce à l'énergie qui est déposée dans le détecteur) et leur probabilité d'interaction avec le matériau détecteur, ce qu'on appelle la section efficace d'interaction, et qui est déduite du nombre d'interactions observées en fonction de la masse du détecteur et du temps que l'on a utilisé pour compter ces événements d'interaction.
Lorsqu'on ne détecte aucune collision de WIMP dans un détecteur, on peut construire ce qu'on appelle un "plot d'exclusion". Ce "plot d'exclusion", comme son nom l'indique, trace une zone exclue dans le graphe ayant pour abscisses la masse de WIMPs et en ordonnée la section efficace. En effet, quand on ne détecte rien, cela veut dire que la WIMP (qu'on n'a pas vue) doit donc avoir une probabilité d'interagir, pour une masse donnée, plus faible que celle qui aurait fait qu'on aurait vu du signal avec le détecteur utilisé et le temps de comptage appliqué.
On a donc une courbe dans le plot masse-section efficace, la zone exclue se trouvant au dessus, et la zone encore potentiellement intéressante et à explorer se situant en-dessous. On parle de courbe d'exclusion.
Le plot d'exclusion montré par Lauren Hsu lors de la conférence Dark Matter 2014 (SuperCDMS Collaboration) |
L'expérience la plus performante est bien sûr celle qui parvient à exclure la plus grande zone de l'espace [masse-section efficace], jusqu'à trouver un signal...
Et justement, quand des événements apparaissent dans les signaux détectés, avec toutes les caractéristiques de WIMPs, comme ce fut le cas pour différentes expériences ces quelques dernières années, et bien la courbe d'exclusion devient une inclusion, elle se referme sur elle-même pour montrer une "zone" dans le plot bi-paramétrique, avec des frontières à la fois vers le bas et le haut, à droite et à gauche. Les WIMPs potentiellement détectés se retrouvent avec une certaine plage de masses possibles associée à une certaine plage de sections-efficaces.
Les différentes expériences de recherche directe de matière noire donnent toutes leurs résultats sous forme de plots d'exclusion (ou zones d'inclusion). Qui plus est, la plupart ont pris l'habitude au cours des ans de fournir non seulement leur propre courbe d'exclusion dans le plot [masse-section efficace], mais aussi de superposer les courbes d'exclusion des autres expériences concurrentes, histoire de comparer les performances des uns et des autres...
L'expérience LUX, très performante, a produit en 2013 un grand saut dans le domaine, nous en avons parlé abondamment ici. Leur courbe d'exclusion est descendu très bas (dans l'axe des sections efficaces), beaucoup plus bas que toutes les autres expériences semblables, excluant de fait une vase zone de l'espace (masse-section efficace), et excluant du coup des résultats positifs d'autres expériences (des zones).
La collaboration SuperCDMS (CDMS collaboration, University of Berkeley) |
Ce que vient de montrer l'expérience SuperCDMS il y a trois jours est une nouvelle courbe d'exclusion. Certes, elle ne descend pas aussi bas que celle de LUX, loin s'en faut. Mais elle est la deuxième plus basse et elle est surtout meilleure que celle de LUX dans un autre sens : celui de l'axe des abscisses, vers la gauche, les basses masses de WIMPs! SuperCDMS vient confirmer les résultats de LUX de l'année dernière, avec une technologie très différente.
Aucune expérience avant SuperCDMS n'a été capable de montrer une telle courbe d'exclusion descendant aussi bas en termes de masses de WIMP pour des sections efficaces aussi faibles Et cette nouvelle courbe exclut de fait définitivement toutes les zones déterminées depuis quelques années par les expériences DAMA, CRESST, COGeNT, et ... CDMS II-Si. Plusieurs de ces zones avaient semé le trouble car étant très proches dans le plot, se chevauchant mêmes pour deux d'entre elles (CoGENT et CDMS II-Si), ce qui avait donné des espoirs fous aux physiciens concernés.
Il est également notable qu'une partie des physiciens de SuperCDMS sont les mêmes qui ont produits les résultats de CDMS-Si, ce qui signifie qu'ils viennent simplement d'exclure leurs propres résultats antérieurs, reconnaissant en quelque sorte leur erreur.
Un des détecteurs composant l'expérience SuperCDMS (CDMS coll.) |
Là où pouvait persister un doute sur l'exclusion de COGeNT et CDMS-Si annoncée par LUX, c'est dans le fait que les détecteurs étaient très différents (semi conducteurs germanium et silicium pour les deux premiers et xénon liquide pour le dernier), mais il se trouve que là, SuperCDMS utilise exactement le même type de matériau que COGeNT et CDMS-Si...
On peut dire aujourd'hui que l'hypothèse, née il y a environ quatre ans, d'être en présence de WIMPs de relativement faible masse (de l'ordre de 10 GeV) a maintenant beaucoup beaucoup de plomb dans l'aile, pour ne pas dire qu'elle devrait être définitivement abandonnée. Il reste maintenant à essayer de comprendre d'où vient ce signal détecté qui ressemble tellement à des reculs de noyaux atomiques impactés par des WIMPs, ainsi que cette modulation de l'intensité du signal au cours de l'année, telle qu'elle a pu être observée.
On doit pouvoir affirmer que les résultats exclusifs combinés de LUX de l'année dernière avec ceux de SuperCDMS aujourd'hui font en général des WIMPs une solution pour la matière noire de moins en moins convaincante...
Sources :
La présentation de Lauren Hsu à Dark Matter 2014:
Le papier accompagnant la présentation :
2 commentaires :
Je ne comprends pas très bien. La courbe exclut une zone, a priori en haut à droite, et donc s'il faut chercher des WIMPs ça serait la partie en bas à gauche de la courbe noire.
Est-ce que ça veut dire que que si des WIMPs lourds existent au dessus de 10 GeV, ce sont pour des sections efficaces inférieures à 10^-43 cm² ? Section efficace qui augmente si la masse diminue.
Dans ce cas pourquoi est-ce que les WIMPs comme candidat à la matière noire devient moins convaincante ?
Vous avez bien compris, c'est bien ça, la zone exclue est au dessus de la courbe. Au dessus de 10 GeV il faut même aller chercher encore plus bas car il y a la courbe de LUX (courbe verte) dont on ne voit qu'une partie et qui descend aux environs de 10-46 cm2.
Je dis que les Wimps deviennent moins convaincantes car il existait un réel espoir de voir des wimps de 8-10 GeV en estimant que les manips au xénon n'étaient pas fiables, une solution qui était par ailleurs confortée par des indices de détection indirectes de rayons gamma du centre galactiques qui convergeait vers des wimps de 10 GeV aussi...
Bref, maintenant c'est deux manips très différentes qui excluent les zones de "détection" qui par leur proximité rendait la chose assez convaincante pour le coup...
Ça, associé a la performance exceptionnelle de Lux (qui se trouve de fait conforté par ces nouveaux résultats indépendants) qui donne des sections efficaces vraiment très petites maintenant me fait conclure ce que j'ai conclu... Mais j'espère être trop pessimiste!
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