25/01/15

Matière Noire : La recherche très indirecte de WIMPs par Fermi-LAT

L'autre façon de détecter la présence de matière noire sous forme de WIMPs (weakly interacting massive particles), concurrente et complémentaire de la méthode directe (par des détecteurs sous-terrains et le LHC), c'est de chercher des signes d'annihilation de ces particules, qui prennent la forme de rayons gamma en provenance de notre galaxie ou des autres. Le télescope spatial Fermi-LAT est justement spécialisé dans la détection de rayons gamma très énergétiques et permet ce type de recherche. La collaboration qui l'exploite vient tout juste de publier ses tout nouveaux résultats...



vue d'artiste du satellite Fermi-LAT (Fermi collaboration)
Ces nouveaux résultats d'observation publiés sur le site de preprints Arxiv dans un article très technique de 43 pages et destiné à être soumis au Journal of Cosmology and Astropaticle Physics concernent la recherche de rayons gamma ayant une énergie particulière au sein de ce qu'on appelle le fond gamma isotrope (isotropic gamma-ray background, IGRB). Ce fond gamma diffus provient non pas de notre galaxie, mais du milieu intergalactique, des autres galaxies. C'est le rayonnement gamma qui reste une fois que l'on a soustrait les rayons gamma des sources individuelles bien identifiées. Il a été découvert en 1978 grâce au satellite SAS-2 puis confirmé 20 ans plus tard par le satellite EGRET. 

Les données consistent en l'accumulation de 50 mois de données d'observations du télescope Fermi-LAT (Large Area Telescope) de photons gamma à partir de 20 MeV et montant jusqu'à une énergie de 820 GeV. La collaboration du même nom, Fermi-LAT, a ainsi pu montrer l'absence de signe d'un signal provenant d'annihilations de WIMPs dans ce fond gamma isotrope. L'annihilation des WIMPs est étudiée ici non par par la production directe de photons gamma dans l'annihilation des neutralinos entre eux (qui seraient leur propre antiparticule), mais via la production au cours de cette annihilation de couples de particules/antiparticules, qui vont ensuite produire des rayons gamma. On est là vraiment dans la détection indirecte. Les "canaux" d'annihilation, comme les appellent les physiciens des particules sont les canaux b/anti-b et tau+/tau-.

Principe de fonctionnement du LAT (CENBG/IN2P3)
Mais bien sûr, ce résultat négatif est très intéressant, car il permet de fixer des contraintes supplémentaires sur les caractéristiques de ces hypothétiques WIMPs, notamment dans ce signal particulier du fond gamma provenant de toutes les directions du ciel. Comme le signal potentiellement attendu (et non vu) dépend à la fois du comportement cosmologique de la matière noire (comment elle se regroupe), et des caractéristiques propres de la particule WIMP, l'information, aussi bien positive que négative est très riche. Elle est ici négative et permet donc de fixer des limites fortes dans les modèles de matière noire.

Les limites que les physiciens des astroparticules parviennent ainsi à fixer s'appliquent pour des masses de WIMPs s'étendant de quelques GeV jusqu'à plusieurs dizaines de TeV et sont les meilleures limites obtenues à ce jour pour ces niveaux d'énergie de l'ordre du TeV. De plus, l'équipe internationale a pu quantifier en détail les incertitudes associées à ce type de signal, ce qui est une avancée majeure.
A une masse de WIMP de 10 GeV, la limite de la section efficace d'annihilation trouvée grâce à ces nouvelles observations atteint celle qui correspond au modèle de WIMP si elle est une relique thermique, ce qui est le modèle le plus couramment admis. 
Pour finir leur article, les physiciens de Fermi-LAT mettent en garde sur l'extrême complexité de ces mesures et des conclusions que l'on en tire. Ils listent l'étendue des incertitudes en jeu, qui sont classées en trois familles : 

  1. la prédiction théorique de l'intensité du signal d'annihilation attendu, qui dépend à la fois du modèle d'accumulation de matière noire (avec un facteur 20 d'incertitude) et aussi du nombre de sous-structures existant dans les galaxies (facteur 3 d'incertitude);
  2. la modélisation de la contribution des sources gamma extragalactiques non-résolues dans le signal d'IGRB, qui peut atteindre un écart d'un facteur 3 à 26 selon la masse de WIMP considérée;
  3. la modélisation de l'émission diffuse galactique, qui peut induire des variations d'un facteur 3 sur les limites dérivées.

Fermi-LAT ne voit donc pas de traces de WIMPs dans le fond gamma isotrope, et permet de déterminer de nouvelles limites contraignantes à partir de ces mesures, mais les incertitudes sont multiples et importantes, ce qui fait dire aux physiciens de la collaboration Fermi-LAT que cette source de rayonnements gamma (l'IGRB, le fond gamma isotrope) ne devrait pas être utilisée seule pour chercher un signal de WIMPs. En complément d'autres types mesures et pour contraindre les modèles, elle s'avère en revanche fort utile, mais il faudra attendre de beaucoup mieux connaître certaines caractéristiques de notre Galaxie et des sources gamma "classiques" pour réduire drastiquement les incertitudes et pouvoir utiliser l'IGRB dans une recherche d’événements gamma en excès, signant sans coup férir la présence d'annihilations de WIMPs.

Source : 
Limits on Dark Matter Annihilation Signals from the Fermi LAT 4-year Measurement of the Isotropic Gamma-Ray Background
The Fermi LAT Collaboration,
Soumis à Journal of Cosmology and Astroparticle  Physics (22 January 2015)

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