19/05/16

Mesure de l'effet d'une naine blanche sur une naine brune

Cartographie de température de J1433, les températures
froides sont représentées par les couleurs sombres
(J. Hernandez Santisteban)
Le rayonnement reçu d’une étoile proche joue un rôle crucial sur la structure atmosphérique d’une planète. Mais qu’en est-il lorsqu’il s’agit d’une autre étoile formant avec elle un système binaire ? Une équipe d’astronomes montre pour la première fois qu’il est possible d’observer des différences entre la face éclairée et la face cachée d’une étoile naine brune en couple avec une étoile naine blanche.




Juan Hernandez Santisteban (chercheur doctorant à l'Université de Southampton) et ses collaborateurs ont étudié ce type de système et parviennent à caractériser l’atmosphère de la naine brune ainsi que la différence de température existant entre les deux hémisphères. Ce système binaire, nommé  SDSS J1433+1011 (J1433 en abrégé), situé à 730 années-lumière, est constitué d’une étoile naine blanche et d’une étoile naine brune, la première étant une étoile compacte, résidu d’une étoile en fin de vie ayant éjecté la plus grande partie de son enveloppe gazeuse, et la seconde étant une étoile « ratée », ne produisant pas de combustion thermonucléaire faute de masse suffisante (sa masse est évaluée à 0,057 masses solaires, ou 60 fois la masse de Jupiter si on préfère). Les deux étoiles sont extrêmement proches l’une de l’autre : elles se tournent l’une autour de l’autre en seulement 78 minutes et la naine blanche est en train de déformer la naine brune en lui accaparant lentement de la matière. Les deux compagnes sont si proches qu’elles ne peuvent pas être observées individuellement, même avec le meilleur des télescopes, mais leur température respective est si différente que les chercheurs parviennent à les étudier séparément en observant leurs spectres émis : 13000 K pour la naine blanche qui émet donc majoritairement dans l’ultra-violet, et 2400 K pour la naine brune qui émet plutôt dans le proche infra-rouge. La naine blanche émet un flux total plus important, mais c’est la naine brune, qui grâce à sa plus grande taille, domine largement le système dans la plage des infra-rouges.

Pour déterminer comment la lumière de la naine blanche affecte la température de surface de la naine brune, Juan Hernandez Santisteban et ses collègues ont suivi l’évolution de l’émission infra-rouge au cours du temps, c’est-à-dire au cours de l’orbite de la naine brune autour de sa compagne à partir d’observations spectroscopiques effectuées avec le Very Large Telescope de l’ESO au Chili. Par chance, le plan orbital du système se trouve presqu’exactement dans la ligne de visée depuis la Terre, ce qui fait que les hémisphères jour/nuit de la naine brune sont visibles successivement tout au long de son orbite. Les chercheurs montrent que la différence moyenne de température entre l’hémisphère éclairé et l’hémisphère à l’ombre vaut 57 K, avec un écart maximum mesuré de 200 K.
Ces observations sont très importantes pour mieux comprendre les atmosphères des exoplanètes qu’on appelle des Jupiters chauds, qui se situent à la frontière entre grosse planète et naine brune, et le plus souvent à proximité immédiate de leur étoile, et donc massivement irradiées. Ces Jupiters chauds doivent avoir des écarts de température entre leurs deux faces de plusieurs centaines de Kelvins, mais comme elles sont environ 10 000 fois moins lumineuses en infra-rouge que leur étoile, leur observation est rendue très difficile. Une naine brune en orbite d’une naine blanche, comme dans le système de J1433, avec son émission infra-rouge discernable, permet aux astrophysiciens de pouvoir mieux déduire les caractéristiques de son atmosphère et ainsi extrapoler les phénomènes aux Jupiters chauds.

La plupart des naines brunes connues sont isolées et ne reçoivent que très peu de rayonnement extérieur. Elles perdent leur chaleur interne progressivement sur plusieurs milliards d’années, essentiellement par convection de leurs couches internes. Cette convection produit une intense circulation atmosphérique qui peut prendre la forme de zones nuageuses variables qui sont autant de sources de variation d’émission infra-rouge. La façon dont ce phénomène peut être affecté par un apport d’énergie extérieur en provenance d’une étoile proche est aujourd’hui totalement inconnue mais le sera maintenant un peu moins grâce aux observations de J1433.

A partir de la cartographie de température qu'ils sont parvenus à établir, les auteurs de cette étude qui est publiée cette semaine dans la revue britannique Nature émettent une hypothèse audacieuse selon laquelle la naine brune de J1433 aurait pu être une étoile normale il y a plusieurs milliards d'années, avant que sa compagne naine blanche ne commence à lui absorber de la matière. La naine brune apparaît en effet très déformée, avec la présence d'une pointe caractéristique d'un phénomène d'accrétion par la naine blanche. Elle est en train de perdre de la masse au profit de la naine blanche. Elle aurait alors perdu tellement de masse (près de 90% de sa masse initiale) qu'elle n'en aurait plus eu suffisamment pour entretenir la pression et la température nécessaires pour nourrir la fusion nucléaire de l'hydrogène dans son cœur.

Quelques autres systèmes binaires naine blanche/naine brune sont connus et pourraient apporter de nouvelles contraintes sur ces couples infernaux et sur le climat subtil de ces naines brunes irradiées, d’autant que la naine brune de J1433, avec sa grande vitesse de rotation intrinsèque, pourrait aussi induire d’autres effets sur sa dynamique atmosphérique. Quant à la naine blanche, si sa masse se trouve être extrêmement proche de la limite de Chandrasekhar (1,44 masses solaires), sa gloutonnerie pourrait lui jouer des tours rapidement en la faisant exploser en supernova...


Source :

An irradiated brown-dwarf companion to an accreting white dwarf
J. Hernández Santisteban et al.
Nature 533, 366–368 (19 May 2016)

2 commentaires :

Pascal a dit…

Je ne comprend pas bien les températures de l'animation : vu leur proximité, la naine brune est nécessairement en rotation synchrone avec la naine blanche, et son bout pointu d'accrétion est à priori tourné en permanence vers la naine blanche, d'ou sa température élevée ; mais alors pourquoi le bout rond, aux antipodes, est-il également chaud ?

Dr Eric Simon a dit…

Non, c'est l'inverse : couleurs sombres = +froid. La pointe est plus froide que l'hémisphère faisant face à la naine blanche. C'est sans doute lié au fait que cette matière en train de quitter la naine brune est moins soumise à sa chaleur interne (la température est produite par deux contributions : chaleur interne + chaleur rayonnée de la naine blanche).