Les trous noirs supermassifs qui peuplent le centre des galaxies peuvent grossir par accrétion de gaz, ce faisant ils libèrent une énergie sous forme de vent ou de jets de matière qui peuvent réguler la formation de nouvelles étoiles. Mais la nature de ces réservoirs de gaz à la source du grossissement de ces trous noirs est aujourd’hui mal connue.
Etant mal connus, les réservoirs de gaz des trous noirs supermassifs sont simplifiés dans les modèles sous la forme d’une masse homogène de gaz chaud répartie dans un volume sphérique et tombant vers le trou noir. Mais une récente théorie adossée à des simulations numériques, indique que l’accrétion de matière, pourrait être plutôt dominée, tout à l’inverse, par une distribution aléatoire par paquets de nuages de gaz moléculaire froid. Et aujourd’hui, c’est l’observation directe d’un tel comportement à proximité immédiate d’un trou noir supermassif qui vient d’être rendue publique pour la première fois.
L’équipe internationale, menée par l’américain Grant Tremblay (Yale University), qui comprend des astrophysiciens français, notamment Françoise Combes (Observatoire de Paris et Collège de France), publie sa découverte dans la revue britannique Nature. Les chercheurs se sont intéressés à une galaxie très brillante qui se trouve être au centre d’un amas de galaxies nommé Abell 2597, qui est elle dénommée Abell 2597 BCG (Brightest Cluster Galaxy). Cette galaxie elliptique géante abrite bien sûr un trou noir géant lui aussi (de masse égale à environ 300 millions de masses solaires) et est entourée de gaz chaud et dense. Les astrophysiciens ont utilisé le réseau de radiotélescopes ALMA pour créer une carte en 3 dimensions des positions et des vitesses des masses de gaz froid qui accompagnent également la galaxie (via les raies d’émission submillimétriques du monoxyde de carbone), et que des instabilités thermiques pourraient projeter vers le centre de la galaxie pour y nourrir une nébuleuse moléculaire qui s’y trouve et où se forment de nombreuses étoiles. Le monoxyde de carbone est utilisé comme un traceur de la présence de l’hydrogène moléculaire froid (entre 10 et 30 K), qui est bien plus abondant que le CO mais non détectable directement à cette température.
Or les observations montrent que ces nuages de gaz froid nourrissent aussi l’accrétion du trou noir supermassif central. Elles révèlent des ombres dans la lumière issue du disque d’accrétion du trou noir. Les astrophysiciens identifient trois nuages de gaz froid, tous les trois en train de tomber vers le trou noir à grande vitesse, respectivement à 240, 275 et 335 km/s par rapport à la vitesse locale des étoiles. Ces trois nuages de gaz ne seraient plus qu’à une distance de l’ordre de 100 parsecs (environ 330 années-lumière) du trou noir de Abell 2597 BCG.
D’après les mesures de la quantité de CO, les chercheurs en déduisent la masse équivalente d’hydrogène moléculaire contenue dans ces nuages, et elle vaut pas moins de 1 million de masse solaires pour chacun, avec une taille d’une dizaine d’années-lumière au maximum… La coïncidence spatiale des deux types de gaz, gaz chaud ionisé et gaz froid moléculaire tend à renforcer l’idée selon laquelle le gaz chaud serait en fait comme la couche externe (ou la peau) de grosses bulles plus vastes de gaz froid. Cette surface serait simplement échauffée par l’intense rayonnement environnant.
Si ces nuages de gaz froid tombent directement vers le trou noir au lieu de spiraler lentement autour, ils pourraient induire un taux d'accrétion compris entre 0,1 et quelques masses solaires par an, dépendant de leur distribution tridimensionnelle. Mais si ces nuages restent en orbite elliptique autour du trou noir, l'apport de matière au trou noir dépendrait de leur vitesse de rotation ou moment angulaire et serait associé à un phénomène de torsion produisant des instabilités thermiques et autant de chute de gaz se condensant dans toutes les directions et tombant sur le trou noir comme une sorte de pluie.
L'équipe de Grant Tremblay n'a pu observer que trois nuages de gaz froid en train de tomber vers le trou noir de Abell 2597 BCG, mais ils pensent qu'il peut en exister de très nombreux autres, peut-être des milliers, dans cette seule galaxie. De nouvelles observations sont d'ores et déjà planifiées, dans cette galaxie et dans d'autres, pour savoir si ce phénomène a quelque chose de systématique...
Source :
Cold, clumpy accretion onto an active supermassive black hole
Grant R. Tremblay et al.
Nature 534, 218–221 (09 June 2016)
Image :
Image composite de Abell 2597 BCG, l'image d’arrière-plan (bleu) a été prise par le télescope spatial NASA/ESA Hubble. Au premier plan (rouge) : données ALMA montrant la distribution du monoxyde de carbone à l’intérieur et autour de la galaxie. L’encadré montre l’image réalisée à partir des données d’ALMA de « l’ombre » (noire) produite par l’absorption de la lumière émise dans les longueurs d’onde millimétriques, qui indique la présence des nuages froids de gaz moléculaire tombant sur le trou noir.
B. Saxton (NRAO/AUI/NSF)/G. Tremblay et al./NASA/ESA Hubble/ALMA (ESO/NAOJ/NRAO)
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