28/06/16

Des millions de trous noirs quasi indétectables dans notre Galaxie


Il va falloir s'y faire, notre galaxie est probablement pleine de trous noirs... C'est ce que conclut une équipe de chercheurs qui vient de trouver un spécimen de trou noir représentant une nouvelle population: des trous noirs presque indétectables.



Les astrophysiciens ont exploité parallèlement le télescope Chandra X-ray Observatory (rayons X), le télescope spatial Hubble (visible), et le Karl Jansky Very Large Array (ondes radio) pour étudier une source radio située apparemment dans l'amas globulaire M15, et qui était estimée être une galaxie très distante en arrière plan de l'amas. Ce qu'ils montrent dans leur étude acceptée pour publication dans The Astrophysical Journal, c'est que cette source (qui n'est en fait pas du tout en arrière plan de l'amas globulaire M15, mais en avant-plan), n'est autre qu'un trou noir dans un système binaire, en couple avec une petite étoile. Cette découverte est importante car là où il se trouve, ce trou noir est inédit, et sa présence dans cette petite zone de la galaxie suggère qu'il en existe de très nombreux autres du même type dans notre Galaxie. 

Cette source d'ondes radio particulière est nommée VLA J2130+12 et a été découverte il y a une vingtaine d'années. Ce n'est que récemment que les astronomes ont compris que VLA J2130+12 était à une distance relativement faible. Des observations récentes ont en effet été effectuées à l'aide plusieurs radiotélescopes comme le European Very Long Baseline Interferometry Network, le Green Bank Telescope, et le radiotélescope d'Arecibo, et ont montré que la source se trouvait à 7200 années-lumière seulement, donc bien dans notre propre Galaxie, et cinq fois plus près que l'amas globulaire M15...


Alors que les observations avec le VLA indiquent une forte émission radio, les observations avec Chandra montrent une très faible émission de rayons X.
Les chercheurs concluent que VLA J2130+12 est un trou noir de quelques masses solaires qui accapare très lentement de la matière d'une étoile compagne qui lui tourne autour. C'est son faible taux d'accrétion de gaz qui masque la vraie nature de ce trou noir. On appelle ses objets des trous noirs binaires calmes.
Bailey Teratenko (Université d'Alberta), auteur principal de l'étude, précise : "Habituellement, nous trouvons des trous noirs lorsqu'ils accrétent beaucoup de matière, qui devient très chaude avant de tomber dans le trou noir, et émet alors énormément de rayons X. Celui-là est si calme qu'il est presque indétectable."
C'est en fait la première fois qu'un trou noir binaire est découvert à l'extérieur d'un amas globulaire dans un état aussi calme. L'étoile qui accompagne le trou noir est toute petite, avec une masse de seulement un cinquième à un dixième de la masse du Soleil. Les données en ondes radio et en rayons X ont permis aux astrophysiciens d'exclure d'autres hypothèses pour VLA J2130+12 comme une étoile naine ultra-froide, une étoile à neutrons, ou une naine blanche dans un système binaire.

A partir du fait que la zone du ciel observée ne représentait qu'une portion très petite de la Voie Lactée, les chercheurs peuvent estimer quelle doit être la fréquence de ce type de trous noirs binaires calmes. Le chiffre est impressionnant : leur nombre se monterait (avec une large barre d'erreur) jusqu'à plusieurs millions, alors que le nombre qui était estimé jusque là ne dépassait pas 3000... On ne parle bien que de notre Galaxie, la Voie Lactée.  Certains de ces trous noirs quasi indétectables pourraient être assez proche de nous, voire à quelques années-lumière. 
Un point notable pour le trou noir de VLA J2130+12 est qu'il ne se situe pas dans le plan du disque galactique. Il se trouve à 3000 années-lumière au-dessus de ce plan, ce qui laisse présager que s'il a été formé à l'origine dans le plan galactique, il aurait dû subir un sérieuse accélération pour l'emmener là où il se trouve aujourd'hui.  

Avec cette observation, on ne peut que repenser à la théorie récente prédisant l'existence d'un halo sphérique de millions de trous noirs primordiaux entourant chaque galaxie... mais avant de faire le lien entre la théorie et cette belle découverte, il faudra poursuivre plus avant la recherche systématique de sources communes d'ondes radio et de rayons X dans la Voie Lactée pour détecter l'indétectable (ou presque).


Source : 

The first low-mass black hole X-ray binary identified in quiescence outside of a globular cluster
B. Tetarenko et al.
The Astrophysical Journal, Volume 825, Number 1 (27 june 2016)

Image

(1) Le Karl Jansky Very Large Array (NRAO/AUI/NSF)

(2) Image composite (visible+rayons X + radio) montrant la localisation de la source VLA J2130+12 (Rayons X : NASA/CXC/Univ. of Alberta/B.Tetarenko et al; Visible : NASA/STScI; Radio: NSF/AUI/NRAO/Curtin Univ./J. Miller-Jones)

4 commentaires :

L6 Atmo a dit…

Bonjour,

Quel est l'impact de ces (possibles) millions de TN sur l'hypothèse de la matière noire?

Dr Eric Simon a dit…

Bonjour,

S'agissant de trous noirs stellaires, des petits trous noirs d'environ 10 à 100 masses solaires, le calcul est vite fait : même si il y en a 10 millions, ils représenteraient une masse totale de 1 milliard de masses solaires (10 millions x 100). A comparer avec les 200 milliards de masses solaires présentes en étoiles dans notre galaxie. On peut dire que c'est peanuts. Rappelons que la masse de la matière noire doit représenter environ 10 fois plus que la masse de toute la matière (étoiles+gaz).

L6 Atmo a dit…

ok mais si on ajoute les étoiles brunes difficilement détectables (qui seraient aussi en grande quantité) et les neutrinos qui finalement auraient une masse (là aussi une quantité faramineuse)?

Dr Eric Simon a dit…

Hélas, on sait qu'il n'y pas assez de naines brunes pour expliquer la masse manquante. On les détecte par effets de microlentille gravitationnelle.
Quand aux neutrinos, on sait qu'ils sont massifs depuis près de 20 ans maintenant, et leur masse est encore pas connu exactement mais on s'en rapproche de plus en plus précisément et elle est très probablement inférieure à 1 eV. Pour comparer les ordres de grandeurs, il faut se rappeler qu'un atome de carbone (qui comporte 6 protons, 6 neutrons et 6 électrons) a une masse au repos d'environ 10 milliards d'electron-volts, donc 1 seul atome est 10 milliards de fois plus massif qu'un neutrino. Et il n'y pas 10 milliards de fois plus de neutrinos que d'atomes... On estime que les neutrinos participent pour environ 1% du budget de la densité d'énergie de l'Univers.