Comme tous les ans depuis maintenant vingt et un ans, une trentaine de chercheurs parmi les plus influents dans le domaine de la physique fondamentale et de la cosmologie vont se réunir durant la dernière semaine du mois de juin à l'abri des regards dans le petit village de Peyresq (Alpes de Haute-Provence)...
C’est sous l’égide du physicien théoricien belge Edgar Gunzig, que ce bourg perché sur la montagne, loin de toute grande ville, a été choisi en 1996 pour accueillir durant une semaine une rencontre informelle entre chercheurs de très haut niveau afin de réfléchir aux grandes questions actuelles de la physique et de la cosmologie. Au fil des années, cette réunion amicale s’est transformée en un lieu incontournable pour les meilleurs théoriciens qui étudient l’Univers. D’éminents chercheurs américains, européens ou d’Asie ne rateraient pour rien au monde la semaine de réflexion intense - mais aussi de détente - qu’offrent les rencontres de Peyresq. Ces rencontres ont il est vrai des qualités qui sont rarement rencontrées dans les congrès scientifiques de ce niveau. Le grand isolement du lieu confine les participants dans une intimité grâce à laquelle peuvent se nouer des contacts scientifiques et humains inédits qui débouchent fréquemment sur des fructueuses collaborations scientifiques. Peyresq est ainsi une rencontre scientifique rare dont l'aspect confidentiel attire de plus en plus les chercheurs parmi les plus célèbres de leurs spécialités (cosmologie, théorie quantique des champs, physique des particules, interactions fondamentales…).
Ce hameau montagnard a une histoire étonnante. Alors quasi tombé à l’abandon au début des années 1950, un groupe de passionnés belges s’est mis en tête de redonner vie au village en le reconstruisant entièrement afin d’en faire un havre de rencontres pour étudiants, artistes et scientifiques, dans le but avoué de créer un lieu humaniste d’enrichissement mutuel. Et c’est lors de la reconstruction des lieux que les pionniers ont redécouvert que Peyresq n’était autre que le fief qui était administré au début du XVIIème siècle par Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (l’orthographe ayant évoluée depuis), célèbre érudit provençal, savant multidisciplinaire et grand astronome. Le lieu n’a ainsi pas été choisi tout à fait au hasard par Edgar Gunzig.
Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, plus connu sous le simple nom Peiresc qu’il utilisait dans toutes ses correspondances, était ami avec Galilée, comme avec presque tous les savants européens du début du XVIIème siècle. Il avait pour disciple Gassendi, que ce dernier avait appelé le « Prince des Curieux ». Car curieux, Peiresc l’était au plus haut point. Il s’intéressait non seulement à l’astronomie, mais aussi à l’archéologie, la botanique, la géographie, la zoologie, la physiologie et jusqu’à l’égyptologie. Né en 1580 près de Toulon, Peiresc passa sa vie à Aix-en-Provence après avoir voyagé à travers l’Europe durant sa jeunesse. Il devint conseiller du Parlement de Provence en 1607. Peiresc entretenait une correspondance assidue avec les grands esprits européens de son temps : Galilée, Descartes, Rubens et de nombreux autres. Il formait un nœud incontournable dans ce vaste réseau de scientifiques et d’artistes qui communiquaient intensément par des manuscrits.
L’astronome aixois avait vu quelques années auparavant la fameuse supernova de 1604 briller comme Jupiter, mais il était à ce moment-là en voyage est n’avait pas ses cartes du ciel avec lui, lui empêchant de savoir si il s’agissait bien d’une étoile nouvelle, il tomba ensuite malade ce qui ne lui permit pas de l’observer avant son extinction, ce que Kepler et Galilée ne manquèrent pas de faire.
On attribue au grand épistolier Peiresc près de 10 000 lettres. Il permettait ainsi de transmettre et diffuser quantités d’observations et d’idées nouvelles à travers l’Europe de la fin de la Renaissance.
C’est ainsi qu’en mai 1610, le grand érudit gênois Pinelli, quelques semaines à peine après la première observation du ciel par Galilée avec une lunette, apprend à Peiresc la grande nouvelle : des "planètes" tournent autour de Jupiter. Il chercha dès lors coûte que coûte à se procurer une lunette identique à celle de son ami Galilée. C’est finalement en novembre 1610 que Peiresc observe Jupiter avec une lunette de Hollande qu’il a fait fabriquer. Il y redécouvre les quatre satellites galiléens et mesure les instants d’immersion et d’émersion des satellites pour rédiger des tables qui seront plus précises que celles de Galilée. Il ne les publiera pas pour laisser l’honneur à Galilée. Mais Peiresc est le premier à avoir l’idée d’utiliser l’observation des orbites des satellites joviens pour déterminer les longitudes terrestres. Et Peiresc montre également le premier que les satellites de Jupiter satisfont pleinement la troisième loi que Johannes Kepler vient de publier.
Désormais muni d’un instrument fabuleux pour découvrir le ciel, Peiresc ne s’arrête pas à Jupiter et c’est lui qui, le 26 novembre 1610, découvre le premier objet qui n’est pas une étoile ou une planète : la nébuleuse d’Orion. Nous devons d’ailleurs à Peiresc le terme de « nébuleuse ». Le 15 janvier 1611, Peiresc tourne sa lunette vers la constellation du Cancer et découvre la richesse de l’amas de la Crèche. A partir de 1611, Galilée et Peiresc font un nouveau bon dans les profondeurs du ciel en dirigeant leur lunette vers la Voie lactée. Ils parviennent simultanément à la même conclusion que la traînée laiteuse est en fait constituée d'une multitude d'étoiles faibles, comme l'avaient imaginé les astronomes grecs de l’Antiquité. Un an plus tard, en 1612, l’astronome allemand Mayer découvrira la nébuleuse d'Andromède (qui deviendra une galaxie seulement au XXème siècle).
Au cours du procès de Galilée, Peiresc n’aura de cesse de le soutenir, ce qui l’amènera à user de son influence auprès du cardinal Barberini, neveu du pape Urbain VIII, pour tenter de faire annuler la sentence, mais en vain.
Bien plus tard, Peiresc reprit l’idée de la détermination des longitudes grâce aux astres, mais cette fois-ci en utilisant une éclipse de Lune, le 28 août 1635. Il parvient à coordonner une équipe d’observateurs pour aller mesurer l’entrée de la Lune dans l’ombre de Terre dans de nombreux lieux d’observation le long de la Méditerranée, d’Aix-en Provence à Carthage en passant par Venise, Rome, Malte, Alep et Le Caire. La campagne d’observations et de mesures est un succès et permet à Peiresc de réévaluer la longueur du bassin méditerranéen et à le raccourcir de près de 1000 km…
Cherchant à affiner encore cette mesure de l’entrée de la Lune dans l’ombre de la Terre, Peiresc pense qu’il lui faut repérer un détail de la surface de la Lune plutôt que simplement son limbe. Il entreprend alors de créer la première carte de la Lune avec l’appui de son ami Gassendi. Plus qu'une carte, Peiresc voulait produire une gravure de la Lune. Il fait alors appel au célèbre graveur Claude Mellan de retour de Rome. Peiresc utilise une lunette offerte par Galilée, et Gassendi une lunette offerte par Hevelius. Ils s’installent avec Claude Mellan au sommet de la Montagne Sainte-Victoire à l’automne 1636. Le graveur produit trois cartes, du premier quartier, du dernier quartier et de la pleine Lune qui parviennent à rendre parfaitement compte des moindres contrastes des différents reliefs lunaires avec une précision remarquable. Ces cartes sont aujourd’hui conservées à la Bibliothèque Nationale.
Durant cette campagne d’observation de l’automne 1636, Peiresc et Gassendi découvrent un phénomène qui n’avait encore jamais été entrevu : la Lune subit un phénomène d’oscillation (libration). Ils parviennent à cartographier les cratères qui apparaissent d’un côté et de l’autre lors des oscillations lunaires et mesurent l’amplitude et la période du mouvement.
Peiresc s’éteint le 21 juin 1637 avant de voir son projet entrepris par le graveur Claude Mellan arrivé à son terme.
Le grand savant n’a laissé aucun ouvrage, ce qui est sans doute une des raisons pour lesquelles il est resté relativement peu connu. La plupart de ses milliers de lettres, ainsi que sa vaste bibliothèque personnelle, de plus de 5000 ouvrages, considérable à l’époque, ont malheureusement été dispersées rapidement par ses héritiers après sa mort. Pierre Gassendi, grand astronome, ami et disciple de Peiresc, a écrit la biographie de Nicolas-Claude Fabri de Peiresc en 1641, sous le titre Vita Peireskii, qui a été traduite en 1992 par Roger Lassale et Agnès Bresson sous le titre : Peiresc, le « Prince des Curieux » au temps du baroque (collection "Un savant, une époque", Belin).
Aujourd’hui, un cratère de la Lune de 61 km s’appelle Peirescius, un buste en bronze de Peiresc orne la place de l’Université à Aix-en-Provence et un collège toulonnais ainsi que le planétarium d’Aix-en-Provence portent fièrement le nom de ce grand humaniste. Et l’esprit de Peiresc est toujours bien vivant, surtout dans un petit village des Alpes de Haute-Provence perdu dans la montagne. Un lieu et un Homme à découvrir ou redécouvrir...
Illustrations :
(1) Vue panoramique du hameau de Peyresq (https://www.pik-potsdam.de)
(2) Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (1580-1637). Dessin à la pierre noire, en 1636, par Claude Mellan. Musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg.
(3) Signature manuscrite de Peiresc
(4) Les gravures de la Lune par Claude Mellan, Peiresc et Gassendi (1636)
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