C'est un résultat exceptionnel ! Une très vaste étude vient de mesurer la constante de Hubble (H0) par une toute nouvelle méthode, complètement indépendante des deux autres méthodes qui sont en désaccord entre elles : la méthode utilisant les céphéides et les supernovas et la méthode reposant sur la mesure du fond diffus cosmologique. Ce tout nouveau résultat donne une valeur de H0 très précise, qui se trouve cohérente avec les mesures récentes par les céphéides/supernovas. Les mesures issues du CMB par Planck sont donc à nouveau en difficulté, et avec elles le modèle standard de la cosmologie.
On doit cette étude à une grande collaboration internationale appelée H0LiCOW (H0 Lenses in COSMOGRAIL's Wellspring). La méthode qu'ils ont mis en oeuvre pour mesurer la constante de Hubble H0 est simple et géniale sur le papier et très innovante dans sa mise oeuvre: ils ont exploité le phénomène relativiste de lentille gravitationnelle produit par des galaxies et qui produisent un dédoublement des images de quasars situés à grande distance en arrière plan. Cinq lentilles différentes de ce type ont été exploitées. L'idée est la suivante : comme les puits gravitationnels (les cinq galaxies massives étudiées) ne sont pas parfaitement symétriques et que les quasars d'arrière plan ne sont pas parfaitement alignés non plus dans notre ligne de visée, les images multiples qui apparaissent tout autour des galaxies massives montrent bien le même objet astrophysique démultiplié, mais avec un décalage temporel, étant donné que le chemin parcouru par la lumière pour chaque image fantôme n'est pas tout à fait le même. Et comme les quasars d'arrière plan montrant ces images multiples sont des objets qui émettent des rayonnements par bouffées très bien définies dans le temps, il est aisé de mesurer l'écart temporel qui existe entre chaque image fantôme d'un même quasar dans la lentille multiple. Or cet écart temporel dépend directement de la valeur de la constante de Hubble!
L'équipe de HOLiCOW détaille tous ces résultats dans pas moins de 6 articles publiés dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society!... Ils ont utilisés une quantité impressionnante de télescopes du monde entier pour mener à bien leur recherche : le télescope japonais Subaru, les télescopes spatiaux Hubble (logique) et Spitzer, les télescopes américains Keck et Gemini, le Very Large Telescope européen ainsi que les télescopes Victor Blanco, le Canada-France-Hawaï, le "petit" suisse Leonhard Euler Telescope de 1,2 m, et enfin le télescope de 2,2 m de l'ESO/MPG.
L'équipe menée par Sherry Suyu (Max Planck Institute for Astrophysics) parvient, grâce à cette très belle réussite observationnelle, à fournir une valeur pour H0 qui est de 71.9±2.7 km/s/Mpc, avec donc une précision de 3,8%. Vous vous souvenez sans doute que l'année dernière, H0 avait été réévaluée avec une précision accrue à l'aide de mesures de distances de céphéides et de supernovas par l'équipe de Adam Riess (nous en avions parlé ici) et trouvait 73,24±1.74 km/s/Mpc, en contradiction (en tension comme disent les chercheurs) avec la valeur déduite en 2015 des mesures du fond diffus cosmologique par le satellite Planck, qui donnait 66,93±0.62 km/s/Mpc.
L'élément crucial de cette nouvelle mesure est qu'elle est totalement indépendante des deux autres méthodes. Son résultat permet ainsi de départager les deux précédentes en tension. Et ce sont les mesures des céphéides et supernovas qui se retrouvent confortées par cette nouvelle évaluation, les valeurs étant cohérentes dans leurs barres d'erreur respectives. Le problème est que tout le modèle cosmologique standard repose sur les données qui sont déduites des mesures du fond diffus cosmologique, avec une H0 inférieure de 7% à celle mesurée dans l'Univers local... C'est donc comme si la vitesse d'expansion de l'Univers actuel est trop grande par rapport à ce qu'elle devrait être d'après le modèle standard ΛCDM.
Cette différence est inexpliquée et pourrait très bien être un signe de l'existence de nouvelle physique, selon les spécialistes.
La méthode exploitant la mesure du délai temporel de sources lointaines dont la lumière parcourt des distances différentes pour estimer H0 était dans les cartons des astrophysiciens depuis près de 50 ans, mais n'avait jamais pu être mise en oeuvre. L'effort de la collaboration H0liCOW pour y parvenir enfin est tout à fait remarquable et même bluffant.
Les chercheurs de la collaboration sont maintenant à la recherche de nouvelles lentilles gravitationnelles ayant les bonnes caractéristiques et espèrent en trouver plusieurs centaines pour affiner encore la valeur de la constante de Hubble et atteindre une précision de 1%. Peut-être pourra-t-on comprendre bientôt pourquoi l'Univers semble gonfler plus vite que ce qu'il devrait selon la théorie...
Les chercheurs de la collaboration sont maintenant à la recherche de nouvelles lentilles gravitationnelles ayant les bonnes caractéristiques et espèrent en trouver plusieurs centaines pour affiner encore la valeur de la constante de Hubble et atteindre une précision de 1%. Peut-être pourra-t-on comprendre bientôt pourquoi l'Univers semble gonfler plus vite que ce qu'il devrait selon la théorie...
Références :
H0LiCOW I. H0 Lenses in COSMOGRAIL’s Wellspring: Program Overview
S. H. Suyu et al.
à paraître dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society
H0LiCOW II. Spectroscopic survey and galaxy-group identification of the strong gravitational lens system HE 0435−1223
D. Sluse et al.
à paraître dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society
H0LiCOW III. Quantifying the effect of mass along the line of sight to the gravitational lens HE 0435−1223 through weighted galaxy counts ?
Cristian E. Rusu et al.
à paraître dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society
Kenneth C. Wong et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 465 (4) (mars 2017)
https://doi.org/10.1093/mnras/stw3077
H0LiCOW V. New COSMOGRAIL time delays of HE 0435−1223: H0 to 3.8% precision from strong lensing in a flat ΛCDM model
V. Bonvin et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 465 (4) (mars 2017)
https://doi.org/10.1093/mnras/stw3006
H0LiCOW. VI. Testing the fidelity of lensed quasar host galaxy reconstruction
Xuheng Ding et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society 465 (4) (mars 2017)
https://doi.org/10.1093/mnras/stw3078
Illustrations :
1) Les cinq lentilles gravitationnelles de quasars utilisées dans l'étude (ESA/Hubble, NASA, Suyu et al.)
2) La lentille gravitationnelle HE 0435-1223, l'une des lentilles gravitationnelles de quasar les plus emblématiques, qui montre 4 images différentes du quasar quasi symétriques autour de la galaxie massive lentille.(ESA/Hubble, NASA)
7 commentaires :
À noter que la valeur de H_0 de Riess+11 avait été revue à la baisse par Rigault+15 pour descendre à 70.6 km/s/Mpc (disclaimer: je suis co-auteur de Rigault+15), et que cet effet est *certainement* présent dans les dernières mesures de Riess+16.
Merci pour ces précisions.
Est ce que cela ne traduit pas "tout simplement" si j'ose écrire, des valeurs de H mesurées à des instants différents ? D'abord proches, avec les Céphéides et les SN, puis lointaines, avec les lentilles ?
Il est vrai que les différentes observations correspondent à des époques différentes et que le taux d'expansion varie au cours de l'histoire de l'Univers, mais là, on parle bien de la valeur du taux d'expansion actuel, qu'on appelle H0 (le zéro signifie "à z=0"), qui est déduit de ces observations lointaines à différentes époques.
Oui c'est vrai, pardon ! Cela dit je me fais agonir d'injures de la part des pros lorsque j'évoque ces valeurs contradictoires, 67 versus 72... Les gens du milieu me disent, en gros, "circulez, ya rien à voir, tout ça est connu, maîtrisé, et n'a aucune importance". Je suis perplexe...
Connu, oui..., maîtrisé...on dirait pas, aucune importance ?... alors là...
Au contraire, moi je constate qu'il y a un réel problème. Il n'est qu'à lire ce qu'écrivent les spécialistes dans leurs articles, par exemple Adam Riess dans sa publi de 2016 sur les mesures de Céphéides et SN. Ils disent clairement qu'il y a bien un écart significatif entre les évaluations issus du CMB et les autres et ils cherchent ardemment une explication à ces différences. C'est tout sauf maîtrisé d'après ce que l'on voit, puisque tout ou presque est possible Riess et al. utilisent non seulement les termes "tension", mais aussi "conflict between Planck high redshift measurements and our local determination of H0..." Dans leur discussion/conclusion, ils proposent deux pistes permettant d'expliquer l'écart : 1/ des incertitudes systématiques dans les mesures du CMB par Planck d'une part mais aussi WMAP dans une moindre mesure (il faut rappeler que les mesures de H0 de Planck et de WMAP sont aussi en tension entre elles) ou bien 2/ l'existence d'une nouvelle espèce de particule relativiste (neutrinos) dans l'univers primordial, car ils montrent qu'avec un Neff compris entre 3,4 et 4 injecté dans LambdaCDM (contre 3,04 actuellement par Planck), la valeur de H0 remonte miraculeusement à la valeur mesurée par les SN et les lentilles...
Je mets le lien du preprint de Riess et al. : https://arxiv.org/pdf/1604.01424v3.pdf
Le lien vers la version dans ApJ : http://iopscience.iop.org/article/10.3847/0004-637X/826/1/56/pdf
Bonjour,
je n'y ai rien compris mais ça à l'air passionnant,
l'univers est passionnant.
Merci pour votre article
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