10/10/23

La masse de la Voie Lactée divisée par 5 par une mesure précise de sa courbe de rotation

Une équipe internationale vient de publier une nouvelle mesure de la masse de notre galaxie à partir de la détermination de sa courbe de rotation (la vitesse de rotation des étoiles en fonction de la distance au centre galactique) qui a été obtenue grâce à Gaia. Pour la première fois, les astrophysiciens observent clairement la décroissance de la courbe de rotation à longue distance, qui n’est plus plate au-delà de 19 kpc. La masse totale de la Voie Lactée est ainsi fortement revue à la baisse. Ils publient leurs résultats dans Astronomy&Astrophysics.

Avant les travaux cruciaux de Vera Rubin et Kent Ford à l’orée des années 1970 sur la galaxie d’Andromède puis de nombreuses autres, un autre observateur avait déjà remarqué un comportement étrange de la rotation de notre propre galaxie : Knut Lundmark en 1925, qui avait noté que l’évolution de la courbe de rotation de la Voie Lactée devenait étrangement plate à une certaine distance du centre galactique. 50 ans plus tard, au même moment que Vera Rubin compilait des mesures sur un gros échantillon de galaxies spirales dans le domaine visible, l'avènement de la radioastronomie a permis de sonder la rotation des galaxies au- delà du disque visible. L'augmentation de la sensibilité des radiotélescopes a ainsi permis à Albert Bosma d'obtenir en 1978 le premier échantillon de galaxies observées dans la raie de l'hydrogène neutre et de déterminer leur courbe de rotation. Avec Rubin, ils ont démontré que la plupart des galaxies présentent une courbe de rotation plate jusqu’à de grandes distances, un comportement qui peut être considéré comme une preuve majeure de la présence d'un halo étendu de matière noire autour d'elles.
Les premières recherches efficaces sur les courbes de rotation galactiques ont été effectuées au-delà de notre galaxie car notre position à l’intérieur de la Voie Lactée empêchait une détermination directe de la courbe de rotation, comme il est possible de le faire pour les galaxies externes proches. Mais certains astrophysiciens ont tout de même tenté de le faire en utilisant différentes méthodes, en mesurant les vitesses de régions HII, d’étoiles OB, de nébuleuses planétaires ou de céphéides. De la fin des années 1960 jusqu'à aujourd'hui, de plus en plus de preuves ont été trouvées pour montrer que la courbe extérieure de la Voie Lactée était plutôt plate, bien qu'avec des incertitudes significatives. En 2009, Sofue et al. avaient trouvé une courbe décroissante entre 15 et 23 kpc malgré d'énormes incertitudes.
La connaissance de la courbe de rotation d'une galaxie est importante car à partir de la forme de la courbe, on peut déterminer la quantité totale de masse qui produit cette dynamique des étoiles et du gaz. Et observer la zone où la courbe de rotation commence à s’incliner permet une mesure de masse précise. La masse totale de notre galaxie était auparavant estimée à environ 1000 milliards de masses solaires (matière ordinaire + matière noire), dont 150 milliards pour la masse ordinaire et 850 milliards pour la matière noire.
Trois études sont sorties au début de cette année à quelques mois d'intervalle sur le sujet de la mesure de la courbe de rotation de notre galaxie à longue distance, allant jusqu’à un rayon de 27 kpc (Wang et al., Zhou et al. et Ou et al.) avec des échantillons d'étoiles et des méthodologies différentes. Wang et al. ont déduit les distances à partir des parallaxes mesurées par Gaia d'un très grand nombre d'étoiles du catalogue DR3 pour lesquelles il existe également des vitesses radiales. Ou et al. eux, ont suivi une technique similaire à celle d'Eilers et al. de 2019, à savoir l'utilisation de vitesses spectrophotométriques pour établir la courbe de rotation de plus de 33 000 étoiles de la branche des géantes rouges. Et Zhou et al. ont utilisé une approche similaire à celle de Ou et al. mais avec des vitesses estimées en utilisant 58000 géantes rouges. Ces trois études semblent toutes entrevoir un déclin de la courbe de rotation entre 17 et 20 kpc du centre, mais au-delà de 20 kpc, ce n’était pas bien clair : Zhou n’était pas en accord avec les deux autres entre 20 et 24 kpc, et il n’existait qu’un seul jeu de données entre 25 et 27 kpc (celui de Wang et al.), et on a seulement deux valeurs de vitesse à 27 kpc, qui sont cohérentes entre elles mais avec chacune de grandes incertitudes (Wang et al. et Ou et al.).

Arrive don aujourd'hui cette quatrième étude, par Yongjun Jiao (Observatoire de Paris) et ses collaborateurs, qui ont donc refait le même type d’analyses à partir des données astrométriques de Gaia. Ces données sont celles du troisième catalogue Gaia publié en 2022, qui fournit des données complètes pour 1,8 milliard d'étoiles, englobant les trois composantes spatiales et les trois composantes de vitesse dans un espace à six dimensions au sein de la Voie Lactée. Et Jiao et al. mettent tout le monde d’accord,  en ajoutant des points là où il en manquait et en en fournissant là où existaient des écarts, ainsi qu'en corrigeant les distances d'un certain nombre de géantes rouges qui avaient été exploitées par les autres équipes. 

Les chercheurs obtiennent des valeurs de vitesse en fonction de la distance qui, avec celles des autres études, montrent maintenant clairement un déclin de la courbe de rotation entre 19,5 kpc et 26,5 kpc, avec une diminution de vitesse de rotation de 30 km/s sur cette plage de distance. Ils en déduisent ainsi une valeur pour la masse totale de notre galaxie, qui vaut selon leur calcul 199 [+9 -6 ] milliards de masses solaires (seulement!). L'évaluation utilisant la courbe de rotation de Ou et al. donne quant à elle une masse de 213 [+17 -12] milliards de masses solaires. Jiao et ses collaborateurs concluent que la masse totale de notre galaxie doit être la moyenne des deux valeurs, soit 206 [+24 -13] milliards de masses solaires

Cette nouvelle estimation est environ cinq fois inférieure aux estimations précédentes. Si l’on considère que la matière ordinaire (étoiles et gaz froids) de la Voie lactée est généralement estimée à un peu plus de 60 milliards de masses solaires, elle représente environ un tiers de la matière totale. Cela constitue une petite révolution en cosmologie, puisque jusqu’à présent il était admis que la matière noire devait être au moins six fois plus abondante que la matière ordinaire.
Si la majorité des autres grandes galaxies spirales ne présentent pas de courbe de rotation avec un déclin képlérien à longue distance, qu’est-ce qui rend notre Galaxie si différente ? Une explication possible selon les chercheurs pourrait venir du fait que la Voie Lactée a connu relativement peu de perturbations dues à de violentes collisions entre galaxies. Sa dernière fusion majeure a eu lieu il y a environ 9 milliards d'années, contre 6 milliards d'années en moyenne pour les autres galaxies spirales. Une deuxième possibilité pourrait se trouver dans les différences méthodologiques utilisées entre cette courbe de rotation dérivée des données tridimensionnelles des étoiles obtenues par le satellite Gaia, et les courbes de rotation qui sont déduites de mesures du gaz neutre pour d'autres galaxies.... 

Ce qui paraît sûr maintenant, c'est que ces travaux vont ouvrir la voie à une réévaluation des courbes de rotation des grandes galaxies spirales et de leur contenu en matière ordinaire et noire... 

Source

Detection of the Keplerian decline in the Milky Way rotation curve
Y.-J. Jiao, F. Hammer, H.-F. Wang, J.-L. Wang, P. Amram, L. Chemin, Y.-B. Yang
Astronomy&Astrophysics (21 september 2023)

Illustrations  

1. Courbe de rotation de la Voie Lactée mesurée par les auteurs comparée à celle obtenue par Wang et al. ( Jiao et al.)
2. Courbe de rotation de la Voie Lactée mesurée par les auteurs comparée à celle obtenue par Ou et al. et d'autres études  ( Jiao et al.)
3. Profils des différents types de matières reproduisant la courbe de rotation mesurée (la matière noire est le profil Einasto)  (Jiao et al.)
4. Calcul de la masse totale circonscrite en fonction du rayon galactique, elle culmine à 200 milliards de masses solaires environ à 20 kpc. (Jiao et al.)

1 commentaire :

LUXORION a dit…

Il semble que les auteurs (les équipes de Jiao et Ou) ont calculé la masse dynamique de la Voie Lactée (et non virielle) et dans un rayon de seulement 30 kpc. Ce qui peut expliquer la faible valeur de masse (~200 milliards de Ms). D'autres études (depuis 2009) ont calculé la masse virielle sur ~300 kpc soit 1 million d'années-lumière et obtiennent une valeur qui oscille entre ~700 et ~1540 milliards de Ms selon les études. De toute évidence, les résultats sont très différents car on ne compare pas les mêmes données ni le même volume galactique.