La plupart des amas de galaxies possèdent une galaxie plus grosse et plus brillante que les autres, qui se trouve en leur centre. Cette galaxie est appelée simplement la "galaxie la plus lumineuse de l'amas", en anglais abrégé, la BCG (Brightest Cluster Galaxy). Le modèle "standard" de la matière noire prédit que le profil de densité du halo de matière noire dans les amas de galaxie doit être tel que la galaxie BCG doit se trouver exactement au centre de l'amas et ne pas en bouger. Mais des observations sur 10 amas de galaxies viennent de montrer que leur BCG n'est pas exactement au centre, mais semble osciller autour du centre de masse... de quoi remettre en question le modèle "standard" de la matière noire.
C'est en faisant des observations avec le télescope Hubble que des astronomes suisses français et anglais sont parvenus à cette conclusion. David Harvey (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne) et ses collaborateurs, ont analysé des données de dix amas de galaxies massifs (1015 masses solaires en moyenne), connus pour produire de fortes lentilles gravitationnelles. Il s'agit d'amas de galaxies qui ont subi des processus de fusion mais qui sont aujourd'hui revenus dans un état stable. Dans un tel état, le modèle "standard" de la matière noire, qui stipule qu'elle est faite de particules massives n'interagissant pas entre elles, dit que la densité doit former un pic au centre de l'amas, là où se trouve la BCG. Cela implique que la BCG ne peut que rester en place et ne plus bouger. L'influence gravitationnelle de la matière noire devrait y être énorme.
Mais les données d'observations, associées à des simulations numériques de la dynamique des galaxies dans les amas, ne montrent pas des galaxies BCG fixes au centre des amas. Au contraire, elles semblent agitées d'un mouvement d'oscillation autour du centre de masse de leur amas respectif. Pourtant, ces amas sont bien revenus dans un état stable depuis très longtemps.
Harvey et son équipe publient leur étude dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society. Ils montrent que l'amplitude de l'oscillation de la BCG par rapport au centre de masse de l'amas (y compris le halo de matière noire bien sûr), peut aller jusqu'à 11800 parsecs (38500 années-lumière).
Ce phénomène observé sur plusieurs amas de galaxies pourrait avoir deux origines possibles : soit un phénomène astrophysique encore inconnu, ou soit un comportement de la matière noire qui ne colle pas avec son modèle "standard" actuel. En fait, ce type de comportement d'oscillation des BCG autour du centre de masse peut être expliqué, d'après les chercheurs, si les particules de matière noire interagissent entre elles, au lieu de ne pas le faire. Ce simple fait change beaucoup de choses, à commencer par le profil de densité qu'aurait cette matière noire au sein des amas de galaxies. Au lieu de produire une densité très grande au centre, avec des particules interagissant entre elles, le halo de matière noire formerait un coeur dans sa région centrale, avec une densité plus réduite. Il s'ensuivrait que les galaxies BCG ne seraient plus "bloquées" au centre mais pourraient osciller autour du centre de masse.
Des particules de matière noire qui interagissent entre elles bouleversent pas mal de théories et laisse la porte ouverte à toute une nouvelle physique, avec une force "noire" et des médiateurs "noirs" entre particules. Il se trouve qu'un certain modèle de matière noire propose déjà ce type de particules auto-interagissantes, le modèle nommé SIDM (Self Interacting Dark Matter). Nous en avons parlé très récemment, avec une très bonne explication de la diversité des courbes de rotation des galaxies par l'application d'une matière noire de type SIDM... En revanche, la section efficace d'interaction des particules de matière noire (par unité de masse) a été calculée dans ces deux études et elle diffère d'un facteur 30, étant estimée ici à 0,1 cm2/g ...
L'effet collatéral de ces observations inédites, c'est que lors de la reconstruction des lentilles gravitationnelles par ces amas massifs, il ne faudrait plus considérer le centre de masse de la lentille comme étant la galaxie BCG comme ce qui est fait aujourd'hui, mais un point légèrement à côté, ce qui pourrait peut-être modifier des choses sur l'analyse des objets dont la lumière est défléchie par la lentille...
Les futurs grands relevés d'observations des amas de galaxies devraient pouvoir trancher, si tout va bien, entre nouveau phénomène astrophysique et nouveau modèle de matière noire. Dans les deux cas, le résultat sera des plus passionnants, ces prémisses le sont déjà.
Source
A detection of wobbling Brightest Cluster Galaxies within massive galaxy clusters
David Harvey, F. Courbin, J. P. Kneib, Ian G. McCarthy
à paraître dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society
Illustration
L'amas de galaxies Abell S1063 imagé par le télescope Hubble (NASA / ESA / J. Lotz, STScI)
7 commentaires :
Plutôt que d'inventer de nouveaux phénomènes "noirs" les scientifiques devraient se pencher sur le modèle cosmologique Janus. Avec ses particules de masses négatives, qui interagissent entre elles et avec notre matière positive, constituant une pression négative qui colle avec l'expansion de l'univers, la repartirons des amas de galaxies en bulles de savons-nous jointives, la stabilites des galaxies spirales, etc. Bref un modèle qui colle parfaitement aux observations sans recourir à des éléments "noirs". La nature des éléments y est clairement détaillée, et avec moins de paramètres d'ajustement que dans le modèle standard. Voir modèle de Janus de Jean-Pierre Petit.
Bonsoir
On sait que la règle MOND n'explique pas les observations des amas, plus exactement qu'elle n'y remplace qu'une partie de la DM.
Cependant elle fonctionne bien dans les galaxies , et la théorie à DM interactive qui rend mieux compte de la diversité ces courbes de rotation aboutit justement à corréler les distributions de DM et de matière visible, comme l'avait observé McGaugh assez récemment dans un article que vous avez exposé et commenté. Or la loi de corrélation qu'il avait trouvé était déjà contenue dans MOND, comme Milgrom l'avait alors rappelé : c'était la "mass-discrepancy-acceleration relation" (MDAR).
Cette nouvelle DM approche donc le comportement prédit par MOND, mais au prix d'au moins un paramètre libre supplémentaire réglant l'interaction de la DM. Et ici, pour la galaxie centrale des amas, l'interaction est d'intensité très différente.
Le principe même des distributions de DM était déjà très ad hoc, soit qu'on la définisse librement soit qu'on l'explique par des modèles (type NFW) eux-même très ajustés. On ajoute donc ici encore plus de complexité et d'adhocité, ce qui est habituellement la marque de l'inefficacité croissante d'une hypothèse ou d'un paradigme.
Ce qui manque sans doute, c'est d'une part pour les galaxies une interprétation claire de la règle MOND qui soit suffisamment simple et pas capillotractée, et qui rende compte du lensing. Et d'autre part, vraisemblablement, une modification de la RG bien distincte de l'explication de MOND et qui la complète pour rendre compte de tout ce qu'elle ne sait pas ou seulement partiellement rendre compte.
Non Popaul, il est hors de question de modifier la RG pour y ajouter un terme ad hoc, la RG marche trop bien pour être modifiée (les ondes gravitationnelles en sont le meilleur exemple). Par ailleurs, il n'y a aucune raison pour que l'explication de la DM soit "simple". Il peut très bien exister de nombreux paramètres (masse, section efficace d'interaction, d'annihilation, de self_interaction, vitesse, profil de densité, et peut-être d'autres), à nous de les trouver. Il n'est pas exclu que ça prenne encore un siècle, mais on finira par trouver. Ce que le papier de McGaugh montrait, c'est que matière noire et matière baryonique semblent corrélées entre elles, or des particules interagissant entre elles produiraient ce type de distribution pouvant être corrélée avec la matière baryonique. Bref, plusieurs indices pointent effectivement vers une matière noire auto-interagissante, dont le résultat dans les galaxies serait donc compatible avec la règle de Milgrom et l'analyse de McGaugh. Donc, tout va bien, on avance. Je rappelle que les fluctuations du CMB montrent la nécessité de l'existence d'une matière non baryonique pour la formation des grandes structures; il n'y a pas que le lensing à mettre en concordance pour une éventuelle alternative.
Pour illustrer le commentaire d'Eric, je conseille la lecture du dernier hors série de pour la science consacré à la cosmologie (PLS No 97, 11-12/2017), en particulier l'article de B. Dobrescou et D. Lincoln : les auteurs y examinent des scénarios de secteur sombre complexe, en partant du constat que des désaccords résiduels (nombre de petites galaxies satellites, profil de densité centrale du halo) et l'absence de détection de Wimps met en difficulté le scénario classique à une particule de MN. Ils envisagent une nouvelle interaction agissant sur au moins 2 types différents de particules sombres échangeant des "photons sombres". L'intensité de cette nouvelle charge doit cependant être limitée car elle impliquerait sinon un aplatissement en disque du halo de MN, alors qu'il est sphérique ; toutefois rien n’empêche d'imaginer une MN principalement constituée de wimps classiques avec une composant minoritaire sensible à la force sombre, et constituant un disque aligné sur le disque baryonique, avec des atomes, voire des molécules sombres... Les théoriciens ne sont pas en panne d'imagination, et il n'y a pas de raison à priori pour que le secteur sombre soit moins complexe que le baryonique, mais il existe des conséquences observationnelles accessibles (par exemple le photon sombre pourrait osciller avec l'ordinaire, ou modifier les interactions neutrinos/électrons).
"Au lieu de produire une densité très grande au centre, avec des particules n'interagissant pas entre elles"?
Non, il n'y a pas de coquille. Si les particules interagissent entre elles, le profil de densité est différent.
Bonjour
J'ai lu l'article de Pour la Science. Comme dit Eric, rien n’empêche en effet d'imaginer des DM complexes , et rien ne garantit qu'on puisse les détecter directement rapidement. Mais c'est pour l'heure de l'adhocité au carré puisque, encore une fois, la DM simple et déjà extrêmement ad hoc par ses répartitions libres. Si cependant ces DM complexes permettaient de réduire le caractère ad hoc des répartitions, se serait un progrès. Mais ce n'est pas le cas : le fait de se rapprocher des résultats de MOND ne supprime pas le caractère libre des distributions de DM.
Oui les fluctuations du CMB ne sont pas expliquées par MOND , et nécessitent un effet DM additionnel dans le cadre théorique actuel. Mais des théories de gravité modifiées comme la MOG de John Moffat - aux paramètres ajustés, il faut bien le dire - parviennent à en rendre compte. Il n'est peut-être pas exclus qu'une modification plus naturelle de la RG y parvienne aussi.
Car pour la RG, je suis bien d'accord qu'il est hors de question de la bricoler de façon ad hoc. Une modification acceptable devrait conserver toutes ses conséquences confirmées par les observations, et être naturelle, physiquement expliquée. Et si cette modification supprimait en plus les singularités mathématiques de la RG, elle serait désirable pour ce seul motif. En attendant que l'EHT nous révèle quelque surprise sur les horizons de TN, qui nous ouvre de nouveaux horizons.
Mais je pense que ce n'est pas cette modification qui expliquerait MOND. Elle ne ferait que la compléter là où elle ne suffit pas. Si le a0 de MOND est lié à l'accélération de l'expansion, l'origine de MOND est à rechercher dans la cosmologie. Je suis bien curieux de savoir ce que donneront les observations des galaxies spirales situées autour de 8 AL qui correspond au moment où l'accélération était nulle ou plus faible qu'aujourd'hui. Selon cette hypothèse, le a0 devrait de MOND devrait s'annuler...et la DM galactique disparaitre.
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