dimanche 16 février 2020

Mars, une planète irradiée aussi par les neutrons


Une nouvelle étude s'est intéressée à l'environnement radiatif de Mars, cette fois-ci centrée sur le rayonnement neutronique qui est induit par les interactions des rayons cosmiques galactiques à la surface de la planète rouge. Des neutrons ont été mesurés à la fois au niveau du cratère Gale par Curiosity et en orbite par Mars Odyssey. Le débit d'équivalent de dose induit par ces neutrons secondaires atteint plus de 15 mSv par an, environ 7% du débit de dose total reçu à la surface de Mars, un débit de dose considérable. Une étude publiée dans Planetary and Space Science.



Il y a quelques années, des études visant à quantifier l'impact des rayons cosmiques sur des missions martiennes ont été produites et avaient fait grand bruit, du fait des valeurs très élevées obtenues, nous en avions parlé abondamment il y a quelques années, voir ici et ). Ces études utilisaient des mesures faites par Curiosity (Mars Science Laboratory) alors en route vers Mars avec son détecteur de particules chargées nommé RAD sur les rayons cosmiques galactiques (GCR) et les protons des éruptions solaires (SEP) de haute énergie. 
On se souvient que les débits de dose qui ont été mesurés atteignaient 1800 µSv/jour durant le trajet Terre-Mars puis 600 µSv/jour une fois arrivé sur la surface de Mars, des niveaux environ 500 fois plus élevés que ce nous subissons chaque jour sur Terre du fait de la radioactivité naturelle tellurique et du rayonnement cosmique, et qui auraient pu être encore plus élevés si une éruption solaire était arrivée durant la période de mesure.
Mais il existe aussi une autre contribution au débit de dose à la surface d'une planète à faible atmosphère comme Mars, que n'avait pas complètement mesurée l'instrument RAD de Curiosity : des rayonnements secondaires, comme les neutrons qui sont produits dans la croûte de la planète quand les particules chargées primaires (notamment les GCR) y interagissent. Ces neutrons sont émis dans toutes les directions après des réactions dites de spallation (un neutron est arraché d'un noyau atomique), ils sont donc aussi émis vers le haut et viennent irradier tout ce qui se trouve à la surface de la planète. L'atmosphère de Mars est si ténue que les neutrons qui ont une énergie suffisante peuvent même repartir vers l'espace et être détectés depuis un vaisseau en orbite (qui est donc lui aussi un peu irradié).

C'est en exploitant des données à la fois au niveau de la surface de Mars avec le spectromètre neutronique de Curiosity (l'instrument DAN (Dynamic Albedo of Neutrons) et en orbite avec le détecteur de neutrons de Mars Odyssey (son détecteur HEND : High Energy Neutron Detector), que des chercheurs russes et américains ont estimé le débit d'équivalent de dose qui est produit par ces neutrons provenant du sol après interaction des rayons cosmiques galactiques. 
Maxim Litvak (Institut des Sciences Spatiales de Moscou) et ses collaborateurs ont modélisé, à partir des mesures effectuées, les phénomènes et la géométrie de détection particulière des deux systèmes de détection pour en déduire le spectre en énergie des neutrons. Car la mesure du débit de dose pour les neutrons est très dépendante de l'énergie des neutrons : un neutron de 20 MeV n'a pas du tout le même effet biologique qu'un neutron de 1 eV. Il ne faut donc pas seulement connaître précisément le flux neutronique total mais aussi leur spectre en énergie. 
Le spectromètre neutronique DAN de Curiosity a été développé par les physiciens russes de l'Institut des Sciences Spatiales de Moscou avec pour objectif initial d'identifier la présence de matière hydrogénée dans le sol martien (c'est à dire de l'eau) via son pouvoir de diffusion neutronique, grâce à l'utilisation d'un générateur de neutrons. Les neutrons générés sont envoyés dans le sol puis sont ensuite ralentis et diffusés par l'eau avant d'être détectés une fois ressortis du sol. Il s'agit dans ce cas d'une mesure neutronique dite "active", mais les détecteurs de l'instrument DAN peuvent aussi être utilisés en mesure "passive", sans mettre en route le générateur de neutrons, pour détecter tous les neutrons qui sortent du sol martien naturellement.
L'instrument HEND de Mars Odyssey qui a commencé à cartographier l'émission neutronique de Mars en février 2002 fonctionne sur ce même principe (en passif) avec le même objectif de détecter la présence de matière hydrogénée à distance. Il a fonctionné pendant plus de 15 ans, ce qui a permis d'observer les variations dans le temps de l'albédo neutronique de Mars en fonction de la variation du flux des GCR, qui est intimement lié à l'activité cyclique du Soleil. Le flux des rayons cosmiques galactiques peut varier d'un facteur 2 entre le minimum d'activité solaire (où il est maximal) et le maximum d'activité solaire (où le flux de GCR est minimal). 


DAN et HEND  mesurent des neutrons d'énergie allant du niveau thermique (quelques dizaines de millieV) jusqu'à 10 MeV. Dans le cas de Curiosity, DAN détecte aussi les neutrons parasites qui émanent du générateur isotopique au plutonium qui équipe le rover pour lui fournir son énergie électrique. Ces derniers doivent donc être soigneusement retirés de l'analyse pour ne conserver que les neutrons provenant du sol et issus de réactions nucléaires de spallation par des rayons cosmiques galactiques. 

A partir des deux types de mesures de flux neutronique dans différentes bandes d'énergie, Litvak  et ses collaborateurs parviennent à calculer le débit de dose sur deux périodes différentes : une première en 2012-2013 lorsque le cycle solaire était entre le minimum et le maximum, donnant donc une valeur moyenne du flux de GCR et donc du flux de neutrons, et une autre quelques années avant (2009-2010), lors du minimum solaire du cycle précédent, qui coïncidait avec le maximum de flux de GCR et donc de flux neutronique. 
Les chercheurs russes et américains trouvent des valeurs de débit de dose de 45 ​± ​7 ​μSv/jour sur la surface de Mars lors du minimum d'activité solaire et 27 ± 4 μSv/jour lors d'une activité moyenne. Des estimations de débit de dose neutronique à la surface de Mars avaient été faites dans le passé avec les données de l'instrument RAD de Curiosity, mais ce détecteur n'est sensible qu'aux neutrons de très haute énergie (plus de 10 MeV). Elles donnaient une valeur de l'ordre de 25 μSv/jour au maximum. Litvak et ses collègues expliquent l'augmentation jusqu'à 45 μSv/jour par le fait que l'évaluation précédente avec RAD avait dû extrapoler ce qui se passe pour les neutrons de basse énergie et avait probablement sous-estimé d'un facteur 2 le flux des neutrons de moins de 1 MeV. 

45 µSv/jour, cela représente une contribution non négligeable au débit de dose total qui est mesuré sur la surface de Mars : environ 7% des 600 µSv qui y sont reçus quotidiennement directement par les GCR. Pour comparer, sur Terre, le débit de dose moyen qui est produit à la fois par le rayonnement cosmique (secondaire, des muons pour la plupart) et par la radioactivité naturelle émanant des roches (uranium, thorium et leurs descendants, dont notamment le gaz radon) vaut environ 2,4 µSv/jour. 
La dose quotidienne de la composante neutronique seule tel qu'évaluée par l'équipe de Maxim Litvak  est équivalente à la dose induite par une radio thoracique (et ça ne représente que 7% du total irradiant la surface de Mars quotidiennement...). 
Si des hommes doivent séjourner un jour sur Mars, la seule possibilité qui s'offrira à eux pour se protéger durablement du rayonnement ambiant sera de s'enterrer très profondément dans le sous-sol, là où les rayons cosmiques galactiques sont suffisamment atténués et où les neutrons secondaires sont suffisamment absorbés, probablement à plusieurs dizaines de mètres de profondeur, une belle exploration en perspective...

Source

Mars neutron radiation environment from HEND/Odyssey and DAN/MSL observations
Maxim Litvak et al.
Planetary and Space Science Volume 184 (May 2020)


Illustrations

1) Vue d'artiste de Mars Odyssey (NASA/JPL/Corby Waste)

2) Schéma de la production de rayonnements secondaires (neutrons et gamma) par interaction de rayons cosmiques galactiques dans le sol martien (NASA)

3) Le rover Curiosity montrant son instrument russe DAN (Dynamic Albedo of Neutrons) (NASA)

5 commentaires :

Anonyme a dit…

Autant dire adieu à une exploration directe de Mars par l homme si je comprends bien...

Hazère-tyuillope a dit…

Autant dire adieu à toute exploration de Mars par l homme ou je me trompe ?

Dr Eric Simon a dit…

Homo Sapiens n'est pas adapté pour vivre ailleurs que sur Terre, il faut s'y faire. En revanche les robots font des merveilles et peuvent être munis d'électroniques durcies aux rayonnements...

Natacha Baïsse a dit…

Francis Rocard qui travaille au CNRS a clairement détaillé lors d'une conférence que c'est IMPOSSIBLE actuellement la conquête de Mars par des hommes. Déjà pour la radiation qu'ils recevraient durant tout le voyage aller ET retour ! Ensuite il faut trouver qui y va ! Au moins 2 médecins, et parait-il que les chinois il ne faut pas leur parler pendant le petit déjeuner, alors imaginez un an à se supporter ! Et il en a évoquer d'autres problèmes ! Les médiats se permettent de diffuser n'importe quoi ! Le public enregistre toutes ces bêtises que après on passe notre temps à contredire lors de soirée grand public !

Dr Eric Simon a dit…

Nous sommes d'accord!...