jeudi 6 février 2020

Analyses de données sur le voyageur interstellaire 2I/Borisov


Le 30 août 2019, une comète pas comme les autres fut découverte, 2I/Borisov avait une orbite bien trop hyperbolique pour provenir (et rester) dans notre système  solaire. C'était donc le second visiteur interstellaire qui passait à proximité du Soleil en l'espace de deux ans (après le premier 1I/'Oumuamua. Aujourd'hui, des observations effectuées avec Hubble ont permis d'obtenir des informations très intéressantes sur cet objet venant d'ailleurs et des analyses de dynamique tentent de trouver l'étoile dont il provient. Deux études publiées dans The Astrophysical Journal Letters et Astronomy&Astrophysics.



2I/Borisov avait atteint son périhélie (son point le plus proche du Soleil) en décembre 2019. Il est depuis reparti vers les confins du système solaire et devrait atteindre l'orbite de Jupiter en juillet 2020 puis celle de Saturne en mars 2021.
2I/Borisov est très différent de 1I/'Oumuamua. On se souvient que ce dernier ne montrait aucun dégazage, et surtout qu'il avait une forme très allongée, très étonnante pour un tel corps. 2I/Borisov, lui, a montré une réelle chevelure de gaz et de poussière comme une comète, et a une forme plus conventionnelle. 

David Jewitt (UCLA) et ses collaborateurs ont observé 2I/Borisov avec le télescope Hubble alors qu'il approchait son périhélie, à une distance de 2,4 UA (unités astronomiques) du Soleil. Pour mesurer la taille du noyau de 2I/Borisov, Jewitt et ses collaborateurs ont utilisé trois contraintes indépendantes : sa brillance de surface, son accélération induite par des forces autres que la gravitation, et sa production de gaz. En considérant un albédo de 0,04, les chercheurs trouvent une taille comprise entre 200 et 500 m, alors que les premières estimations étaient beaucoup plus grandes (entre 2 et 16 km). Ils obtiennent également une valeur minimale pour la densité du visiteur : elle doit dépasser 25 kg/m3 (densité > 0,025), ce qui le différencie encore plus de son prédécesseur 1I/'Oumuamua dont la densité estimée est très faible, inférieure à 0,01.
Jewitt et ses collègues montrent que la rotation de Borisov, du fait de sa petite taille, pourrait être fortement influencée par le dégazage qu'il subit encore à proximité du Soleil (dans la région inférieure à 3 UA du Soleil, là où la sublimation de la glace est non négligeable). Sa vitesse de rotation pourrait augmenter si fortement selon les astrophysiciens, qu'elle pourrait le briser en plusieurs morceaux d'ici la fin 2020 qui correspondra aux dernières observations. Sa brisure pourrait donc être observée si elle a lieu.
Et Jewitt et son équipe ne s'arrêtent pas là, à partir de la visite inopinée de Oumuamua et de Borisov, ils calculent la probabilité que des corps d'origine interstellaire comme ces deux spécimens, dont la taille est de l'ordre de 100 m, impactent la Terre... Le résultat est que ça doit arriver une fois tous les 100 à 200 millions d'années...  


Coryn Bailer-Jones (Max Planck Institut für Astronomie, Königstuhl) et ses collaborateurs, eux, ce sont intéressés à la provenance possible de 2I/Borisov. En connaissant d'un côté sa trajectoire, sa vitesse d'arrivée, et les forces induites par son dégazage qui modifient sa trajectoire, et de l'autre côté la position et la vitesse précises de plusieurs dizaines de millions d'étoiles relativement proches grâce au télescope Gaia, il est possible de faire défiler le film en arrière pour voir si la trajectoire du corps errant ne croiserait pas une étoile dans la passé. Bailer-Jones et ses collaborateurs ont travaillé sur 7,4 millions d'étoiles. Ils trouvent 14 étoiles qui ont croisé d'assez près Borisov (à moins de 1 pc) et parmi elles, effectivement une étoile qui a rencontré Borisov de très près il y a 910 000 ans. Elle est appelé Ross 573, une étoile naine située à 21 pc (65 années-lumière). La trajectoire de Borisov s'approche de l'étoile à une distance de seulement 0,068 pc (14 000 unités astronomiques ou 0,22 années-lumières), avec une vitesse de 23 km/s.
En faisant l'hypothèse que Ross 573 possède un nuage de petits corps du type du nuage d'Oort qui entoure le Soleil, les astronomes calculent le rayon que pourrait avoir ce nuage d'après l'estimation de la masse de l'étoile (0,7 masse solaire) : le facteur d'échelle par rapport au système solaire est de 0,9, ce qui veut dire qu'il serait quasi de la même taille, soit 100 000 unités astronomiques). Borisov pourrait donc largement provenir d'un tel réservoir d'astéroïdes autour de Ross 573.
Les chercheurs expliquent qu'une éjection induite par une interaction à trois corps (l'effet d'une planète ou d'une étoile binaire) est théoriquement possible, mais c'est la grande vitesse acquise par 2I/Borisov qui surprend et qui est mal expliqué. Ross 573 ne montre aucun signe de binarité et aucun passage rapproché d'une autre étoile à proximité qui aurait pu perturber le système ne semble avoir eu lieu durant la plage temporelle utile...

Pour se convaincre, Bailer-Jones et ses collaborateurs calculent la probabilité d'une telle rencontre très rapprochée (à une distance de 0,068 pc)  entre deux objets dans notre région galactique. Ils trouvent une occurence de 0,088 ± 0,010 fois par million d'années, ce qui fait une fois toutes les 11,3 millions d'années. Cette échelle de temps est 12 fois plus grande que le temps qui s'est écoulé depuis cette rencontre, ce qui suggère que la rencontre entre Borisov et Ross 573 n'était pas fortuite selon les chercheurs. On peut aussi calculer la probabilité de cette rencontre avec l'hypothèse de la densité en étoiles (0,1 par parsec cube) et en calculant le nombre de survols ayant lieu à moins de 0,068 pc durant un trajet égal à la distance séparant Ross 573 du Soleil. Bailer-Jones trouve un nombre moyen de tels survols, λde 0,044. La probabilité que l'on en déduit via la statistique de Poisson vaut 1 − exp(−λ) = 0,04. La probabilité qu'il s'agisse simplement du survol d'un objet venant de plus loin est donc très faible. 

Les astrophysiciens notent cependant que si 2I/Borisov vient de plus loin et qu'il est "âgé" de plus de 10 millions d'années (l'âge du voyage), la probabilité pour qu'ils trouvent son système parent est quasi nulle... du fait que l'astéroide-comète parcourt 33 parsecs par million d'années et que les données astrométriques de précision à notre disposition deviennent très rares au delà de la centaine de parsecs...


Sources

The Nucleus of Interstellar Comet 2I/Borisov
David Jewitt et al 
The Astrophysical Journal Letters 888 L23 (13 january 2020 )

A search for the origin of the interstellar comet 2I/Borisov
Coryn A. L. Bailer-Jones et al.
A&A 634, A14 (31 january 2020)



Illustrations

1) 2I/Borisov imagé par Hubble juste après le périhélie en décembre 2019 (NASA/ESA/D. Jewitt (UCLA))

2) Image composite de Borisov prise le 12 Octobre 2019 montrant la chevelure de gaz et de poussière. L'échelle 5” correspond à une distance de 10 000 km. (Jewitt et al.)

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