L'activité magnétique du Soleil influe significativement sur le flux des rayons cosmiques galactiques qui parviennent jusqu'à la Terre (ou la Lune). On vient encore d'en avoir la preuve avec de nouveaux résultats de suivi sur une longue durée, qui montrent un nouveau record de flux de rayons cosmiques en 2020, qui coïncide avec la période d'activité solaire la moins intense observée depuis 60 ans... L'article de l'équipe chinoise est paru dans The Astrophysical Journal Supplement Series sous le titre Variations of the Galactic Cosmic Rays in the Recent Solar Cycles.
Shuai Fu (Université de Sciences et Technologies de Macao) et ses collaborateurs se sont intéressés à l'évolution temporelle du flux de rayons cosmiques galactiques durant les cycles solaires 23 et 24, sachant que le cycle 25 vient de débuter, faisant suite à une période extrêmement calme concernant l'activité magnétique solaire (le minimum entre la fin du cycle 24 et le début du cycle 25, nommé P24/25), le cycle 24 ayant quant à lui montré l'activité maximale (en 2014) la plus faible depuis plus de 60 ans. Les chercheurs ont exploité les données du satellite ACE/CRIS de la NASA (Advanced Composition Explorer/Cosmic Ray Isotope Spectrometer) ainsi qu'un réseau de détecteurs de neutrons au sol qui permettent de monitorer en continu le flux de rayons cosmiques qui atteignent la Terre. Lorsque des particules du rayonnement cosmique primaire rencontrent la Terre et pénètrent dans l'atmosphère, elles interagissent avec les atomes atmosphériques et génèrent des cascades de particules secondaires (principalement des neutrons et des muons au niveau du sol) qui peuvent être mesurées par des détecteurs de neutrons ou de muons.
Les "rayons cosmiques" se divisent en trois catégories : les protons énergétiques solaires (SEP),
les rayons cosmiques galactiques (GCR) et les rayons cosmiques anormaux (ACR). Les SEP sont des particules qui proviennent du Soleil avec des énergies allant de quelques dizaines de keV à plusieurs GeV. Elles sont fréquemment associées à des éjections de masse coronale (CME) et à des éruptions solaires. On estime aujourd'hui qu'un choc provoqué par une éjection de masse coronale est un site essentiel d'accélération des SEP. Il est à noter que le nombre de CME est lié à l'activité magnétique solaire : il suit exactement le cycle solaire avec un maximum de l'ordre de 5 CME/jour lors du maximum (qui correspond au nombre maximum de taches solaires visibles). Le flux de SEP est donc plus important lors des maximums solaires.
Les GCR quant à eux proviennent des restes de supernova (SNR) galactiques et sont accélérés par les chocs d'explosion des supernovas provoqués par des résidus en expansion. Ils sont constitués de noyaux d'atomes de tous les types.
La troisième catégorie de rayons cosmiques, les ACR, est constituée d'atomes légers (jusqu'à l'argon) initialement neutres mais qui sont ionisés lorsqu'ils atteignent l'héliosphère : à la fois par le vent solaire et par le rayonnement UV du Soleil. Ces atomes sont par la suite accélérés à des énergies supérieures à 10 MeV/nucléon principalement à proximité du choc de terminaison héliosphérique.
Intuitivement, on comprend assez bien que plus l'activité magnétique du Soleil est faible, plus les rayons cosmiques galactiques (GCR ou ACR) peuvent pénétrer en profondeur dans le système solaire. Leur flux est donc à l'opposé de celui des SEP lors des cycles solaires. Le minimum solaire P24/25 a duré un peu plus longtemps que les minimums solaires précédents, et il a surtout produit un nombre de jours record au cours desquels le Soleil était immaculé : 274 jours sans aucune taches en 2019, contre 265 jours en 2008 (précédent record, lors du minimum P23/24), et seulement 165 jours en 1997 lors du minimum P22/23.
Shuai Fu et son équipe observent l'évolution des flux de noyaux lourds énergétiques, dont le numéro atomique est compris entre 5 et 28 (du bore jusqu'au nickel), avec une énergie comprise entre 50 et 500 MeV/nucléon. L'analyse des données montre que l'intensité des GCR n'a jamais été aussi élevée que lors du minimum solaire de 2019-2020, à la fin du cycle 24/début du cycle 25. Elle a augmenté de 6% par rapport à l'intensité mesurée en 2009, et de 25% par rapport à celle mesurée en 1997. Le flux de rayons cosmiques galactiques n'a donc jamais été aussi élevé depuis le début de l'ère spatiale.
En comparant les mesures orbitales obtenues avec le satellite ACE et les mesures au sol des détecteurs de neutrons, les chercheurs chinois observent cependant une différence : le maximum mesuré par les compteurs de neutrons en 2019-2020 est inférieur à celui mesuré en 2009. Ils ne parviennent pas encore à expliquer cet écart.
Shuai Fu et ses collaborateurs remarquent également que le minimum P24/25 n'était pas seulement exceptionnel par la rareté des taches solaires, mais aussi par d'autres paramètres liés à l'activité magnétique de notre étoile : une très faible inclinaison de la feuille de courant héliosphèrique, de très rares éjections de masse coronale, et de très faibles turbulences du champ magnétique. Ces changements sont propices selon eux à la réduction du niveau de la modulation solaire qui peut expliquer le record d'intensité des GCR qui a été observé.
Dans leur suivi multiple, les chercheurs chinois observent également une brusque baisse du nombre de GCR suivie d'une remontée tout aussi rapide en septembre 2017, qui est visible pour toutes les bandes d'énergie observées et pour différents noyaux atomiques. En comparant avec les enregistrements des éjections de masse coronale solaires de 2017, les chercheurs remarquent qu'une série importante de CME a eu lieu entre le 4 et le 10 septembre 2017. Ils font le lien entre les deux événements : les CME ont pu selon eux induire un environnement magnétique interplanétaire très perturbé à même d'influencer la trajectoire des GCR...
Un des objectifs de cette étude et non des moindres est d'estimer l'impact de ces rayons cosmiques galactiques en terme de débit de dose de rayonnement pour des missions spatiales et notamment au niveau de la Lune (c'est une recherche chinoise n'oublions pas). Les GCR peuvent produire de graves dégâts sur l'organisme et les matériels électroniques et sont très difficilement écrantables par des blindages. Une étude américaine de 2010 avait montré que le précédent minimum solaire de 2009 (P23/24) avait produit le débit de dose le plus élevé jamais mesuré sur la surface lunaire depuis 1987.
Shuai Fu et ses collègues sont allés chercher les données de débits de dose qui sont enregistrés quotidiennement par l'instrument CRaTER (Cosmic Ray Telescope for the Effects of Radiation) de la sonde américaine LRO (Lunar Reconaissance Orbiter) qui tourne autour de la Lune depuis juin 2009 à seulement 50 km de sa surface.
Le suivi du débit de dose lunaire sur 12 ans est clair et net : il suit parfaitement l'évolution temporelle du flux de GCR, avec un maximum durant les minimums solaires de 2009 et 2020 et un minimum en 2014. Et il y a encore une plus belle corrélation : entre les deux minimums solaires de 2009 et 2020, le débit de dose au niveau de la Lune a augmenté de 5%, tandis que le flux de GCR observé par les chercheurs chinois augmentait de 6%...
En termes de valeurs absolues, ce n'est pas très joli à voir : la dose déposée est de 140 µGy/jour au minimum (lors du maximum solaire) et 340 µGy/jour au maximum (lors du minium solaire). A titre de comparaison, les débits de dose déposée mesurés dans l'ISS en 2004 et 2014 (lors des maximums d'activité solaire, donc des minimums de flux de GCR) valaient 75 µGy/jour, environ 2 fois moins que sur la Lune. Et ça ce n'est que la part d'exposition aux GCR.
En septembre 2020, nous avions parlé d'une autre étude chinoise qui avait mesuré directement le débit d'équivalent de dose sur le sol lunaire (avec l'atterrisseur Chang'E4) et qui avait pu calculer le facteur de qualité des GCR (le facteur qui prend en compte la puissance d'ionisation des particules), et permet donc de passer de la dose déposée (en Grays) à l'équivalent de dose (en Sieverts). Cette étude trouvait un facteur de qualité égal à 4,3 pour les GCR ce qui menait à un équivalent de dose de 1360 µSv/jour sur la surface lunaire. Avec le même facteur de qualité, les données de LRO à la même époque (2019, le maximum du flux de GCR) atteignent 1460 µSv/jour , donc des valeurs tout à fait cohérentes. La radioactivité naturelle sur Terre, rappelons-le, c'est environ une dose de 6 µSv/jour, environ 250 fois plus faible...
La décroissance d'activité solaire continue qui est observée depuis trois cycles laisse penser que le cycle 25 (dont le maximum est prévu en 2025) pourrait atteindre un niveau record de basse activité, ce qui induirait mécaniquement une augmentation du flux de GCR par rapport aux maximums solaires précédents, avec tout ce que cela implique sur la santé des futurs astronautes et sur leur matériel.
Source
Variations of the Galactic Cosmic Rays in the Recent Solar Cycles
Shuai Fu et al.
The Astrophysical Journal Supplement Series, Volume 254, Number 2 (June 9 2021)
Illustrations
1) Evolution sur 23 ans de l'activité solaire (en haut) et de l'intensité des rayons cosmiques galactiques mesurés par ACE/CRIS (en bas) (adapté de Shuai Fu et al.)
2) Evolution de la dose journalière due aux GCR mesurée au niveau de la Lune par la sonde LRO (Shuai Fu et al.)
2 commentaires :
Merci beaucoup pour tous vos articles. C'est à chaque fois un plaisir.
Bien à vous.
Bonjour,
On peut relier ce que les chercheurs ont observé à l'effet Forbush découvert dans les années 1940-50 : lors d’éruptions chromosphériques ou de CME, le champ magnétique solaire peut temporairement bloquer les rayons cosmiques issus de la Voie Lactée. Cet effet fluctue en fonction du cycle solaire de 11 ans.
Enregistrer un commentaire