Depuis 40 ans, des aurores polaires émettrices de rayons X sont observées sur Jupiter sans être pleinement comprises. Mais aujourd'hui, grâce à des observations conjointes effectuées avec le télescope spatial européen XMM-Newton et la sonde américaine Juno, leur origine vient d'être déterminée. Une étude parue dans Science Advances sous le titre Revealing the source of Jupiter’s x-ray auroral flares.
Pour la première fois, une collaboration d'astronomes et de planétologues, menée par le chinois Zhonghua Yao (Institut de géologie et de géophysique de l'Académie des Sciences Chinoise) a réussi à suivre le mécanisme complet qui produit les spectaculaires aurores de Jupiter à l'origine d'émissions de rayons X. Pour les chercheurs, ces éruptions aurorales de rayons X sont un diagnostic précieux des processus les plus énergétiques qui régissent les magnétosphères des planètes, mais qui semblent aujourd'hui uniques à Jupiter. Ces spectaculaires aurores quasi périodiques ont également été observées à de multiples reprises dans d'autres longueurs d'ondes, en ultraviolet, en infrarouge, et en radio.
Pour les étudier de près, Yao et ses collaborateurs ont enregistré le spectre en énergie des rayons X avec XMM-Newton, simultanément à des mesures de fluctuations du champ magnétique et de flux d'ions in situ avec la sonde Juno et ses instruments MAG (MAGnetometer) et JEDI (Jupiter Energetic Particle Detector Instrument). On ne comprenait pas comment les ions pouvaient atteindre l'atmosphère jovienne, mais les instruments de la sonde américaine ont pu détecter comment les trajectoires des ions étaient intimement liées aux lignes du champ magnétique de la planète géante.
Sur Terre, les aurores ne sont visibles que dans une ceinture entourant les pôles magnétiques, entre 65 et 80 degrés de latitude. Au-delà de 80 degrés, l'émission aurorale disparaît car les lignes de champ magnétique quittent la Terre et se connectent au champ magnétique lié au vent solaire, les particules chargées électriquement qui sont éjectées par le Soleil. Ces lignes de champ sont appelées des lignes de champ ouvertes. Classiquement, on s'attendrait à ce que Jupiter se comporte de la même façon, avec une absence d'aurores au niveau des pôles. Or ce n'est pas le cas, et spécialement dans le cas des aurores qui produisent des rayons X. Elles apparaissent au-delà de la ceinture aurorale principale. Par ailleurs, ces aurores polaires énergétiques montrent des pulsations régulières. Elles peuvent également être différentes d'un pôle à l'autre. Ces caractéristiques d'aurores pulsantes ressemblent fortement à un champ magnétique fermé, pour lequel les lignes de champ connectent directement un pôle à l'autre.
Des résultats récents de simulations numériques ont par ailleurs montré que les champs magnétiques proches du pôle de Jupiter paraissent fermés et hélicoïdaux, ce qui peut effectivement déclencher des précipitations de particules pulsantes via des interactions onde électromagnétique-particule (interactions de type cyclotron).
Il y a 4 ans, les 16 et 17 juillet 2017, Zhonghua Yao et ses collaborateurs ont pointé XMM-Newton vers Jupiter en continu pendant 26 heures, au moment même où la sonde Juno se déplaçait au-dessus de la zone de Jupiter que les simulations pointaient comme étant là où devaient naître les aurores pulsantes. Les chercheurs ont pu détecter des bouffées de rayons X avec une pulsation de 27 minutes. Et simultanément, Juno détectait des fluctuations du champ magnétique jovien.
Les astrophysiciens montrent que le champ magnétique de Jupiter est comprimé par le flux de vent solaire, ce qui a pour effet de chauffer les particules qui sont piégées par la champ magnétique. Il apparaît alors un phénomène de conduction des particules chargées le long des lignes de champ : les ions "surfent" sur l'onde électromagnétique cyclotron en suivant les lignes de champ et viennent alors frapper de plein fouet les pôles nord et sud de Jupiter.
Les données de Juno permettent de voir se produire la compression du champ magnétique, suivie de l'apparition de l'onde cyclotron périodique, puis le développement d'une impulsion d'ions qui se déplace le long d'une ligne de champ. Et à peine quelques minutes plus tard, XMM-Newton, en orbite terrestre, détecte une bouffée de rayons X en provenance du pôle de Jupiter.
La majeure partie des ions qui sont ainsi projetés vers les pôles de Jupiter sont des ions de soufre et d'oxygène qui sont crachés par les centaines de volcan du satellite Io. Les résultats montrent que ces aurores ioniques partagent des mécanismes communs à tous les systèmes planétaires, malgré des échelles temporelles, spatiales et énergétiques qui peuvent varier de plusieurs ordres de grandeur. Sur Terre, les seuls ions qui impactent l'atmosphère sont des protons, qui ne transportent pas suffisamment d'énergie pour produire des aurores à rayons X significatives. Mais sur une planète comme Saturne, où Encelade injecte une grande quantité d'eau dont les molécules sont facilement ionisées, le même phénomène devrait se déclencher (mais n'a encore jamais été détecté).
L'étude de Yao et ses collaborateurs soulève des questions importantes sur la cartographie et les origines des aurores de Jupiter. Les corrélations entre les rayons X et les ondes électromagnétiques observées se produisent toujours dans le secteur d'avant l'aube de la magnétosphère externe de Jupiter. Des études précédentes avaient déjà essayé de cartographier l'emplacement de la source des rayons X, mais elles ne trouvaient pas les mêmes localisations spatio-temporelles, alors que la position radiale semble pourtant cohérente. Ces différences pourraient être liées à une forme des lignes de champs plus "tordue" que ce qu'on pensait, selon les chercheurs.
Mais Yao et ses collaborateurs notent également que l'énergie nécessaire des ions lourds pour qu'ils génèrent les rayons X observés ne peut pas être atteinte uniquement par leur accélération par le mécanisme cyclotron ionique dans le champ magnétique jovien : il doit exister une source d'accélération supplémentaire permettant d'atteindre une énergie de l'ordre d'un MeV par nucléon. Cela aurait été trop simple...
Source
Revealing the source of Jupiter’s x-ray auroral flares
Zhonghua Yao
Illustration
Schéma de l'origine des aurores pulsantes à rayons X sur Jupiter (ESA)
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