samedi 10 juillet 2021

Une hypernova magnétorotationnelle à l'origine des éléments lourds d'une très vieille étoile


Les fusions d'étoiles à neutrons ont récemment été confirmées comme sites de nucléosynthèse par capture rapide de neutrons (le processus r). Cependant, dans les modèles d'évolution chimique de la Galaxie, les fusions d'étoiles à neutrons ne permettent pas à elles seules de reproduire les profils d'abondance des éléments des étoiles qui sont extrêmement pauvres en métaux. Aujourd'hui, des astrophysiciens, en mesurant la composition d'une très vieille étoile, parviennent à déduire l'existence antérieure d'une hypernova qui est la seule à avoir pu lui fournir ses éléments lourds par le processus r. Ils publient leur étude dans Nature sous le titre r-Process elements from magnetorotational hypernovae.

Les sites de nucléosynthèse par le processus r peuvent être étudiés en observant les profils d'abondance des éléments des étoiles chimiquement primitives dans le halo de la Voie lactée, car ces objets conservent les signatures de nucléosynthèse de la première génération d'étoiles. C'est le cas de l'étoile extrêmement pauvre en métaux SMSS J2003-1142 dont l'âge est estimé à plus de 12 milliards d'années. David Yong (Université de Canberra) et ses collaborateurs ont scruté cette étoile avec plusieurs télescopes : après que cette géante rouge a été identifiée par le télescope Sky Mapper, les astronomes l'ont observée avec le télescope australien de 2,3 m de l'Observatoire de Siding Spring pour obtenir sa valeur de métallicité (son abondance relative en fer par rapport à l'hydrogène, rapporté à ce qu'elle vaut pour le soleil). C'est cette valeur extrêmement faible [Fe/H]=-3,5 ce qui signifie que l'abondance relative en Fer est 3160 fois plus faible que dans le Soleil, qui a conduit les chercheurs à poursuivre leurs investigations sur elle. Ils ont donc ensuite utilisé le télescope Magellan de 6,5 m pour acquérir des spectres à haute résolution pour la détermination de la composition élémentaire. 

A partir des analyses des spectres du spectrographe MIKE de Magellan, Yong et son équipe confirment la faible métallicité de -3,5 et observent également que l'abondance relative de l'Europium est exceptionnellement élevée, [Eu/Fe] = +1.7 dex. En plus du Fe et de l'Eu, les astrophysiciens ont réussi à mesurer les abondances relatives de 26 autres éléments chimiques et trouvent des augmentations dans les rapports d'abondance par rapport au Fer pour dix éléments formés par capture rapide de neutrons (le processus r) : du Strontium (Z = 38) à l'Uranium (Z = 92).

En voyant ça, Yong et son équipe ont cherché à effectuer une analyse encore plus détaillée de l'abondance chimique, avec des observations supplémentaires s'étendant à des longueurs d'onde plus bleues avec une résolution spectrale et un rapport signal/bruit plus élevés. Ils ont eu la chance de pouvoir bénéficier de temps d'observation sur le Very Large Telescope (8m) de l'ESO et son spectrographe UV et visible UVES. Ils ont alors effectué six séries d'expositions de 1500 s en septembre 2019 en couvrant des plages de longueur d'ondes comprises entre 3300 Å et 4 500 Å et entre 4800 Å et 6800 Å.

L'analyse détaillée de la composition en métaux de SMSS J2003-1142 que font Yong et son équipe permet de remonter à la nature de l'objet ou au phénomène qui est à l'origine de ces éléments lourds, avant que l'étoile se forme. Ils concluent que tous les éléments de SMSS J2003-1142, du carbone à l'uranium (élément du processus r), ont probablement été produits par l'explosion d'une seule étoile progénitrice de métallicité nulle (donc de première génération). Ils trouvent notamment un rapport d'abondance azote/fer élevé ([N/Fe] = +1,07 par rapport à l'abondance du carbone ([C/Fe] < 0,07 ce qui suggère fortement selon eux une étoile progénitrice en rotation rapide. En outre, la forte abondance de zinc ([Zn/Fe] = +0,72) ne peut être expliquée quant à elle que comme provenant de supernova avec une grande énergie d'explosion.

Parmi les étoiles connues montrant une forte augmentation de l'abondance des éléments du processus r, c'est-à-dire celles avec [Eu/Fe] > +1,0, SMSS J2003-1142 est l'objet le plus pauvre en fer par un facteur d'environ deux. Comparée à d'autres étoiles connues, SMSS J2003-1142 présente les rapports d'abondance (relativement au fer) les plus élevés pour le zinc, le baryum, l'europium et le thorium, ce qui souligne la nature inhabituelle de cette étoile.

Le modèle d'abondance observé à Z < 31 (typiquement pour le cobalt et le zinc) est bien reproduit par les supernovas à effondrement de cœur très énergétiques (plus de 1052 erg) provenant donc d'étoiles massives (> 25 M), c'est-à-dire ce qu'on appelle des hypernovas, des explosions qui sont souvent associées à des sursauts gamma de longue durée dans l'Univers proche. En revanche, le modèle pour Z > 37 (à partir du strontium) nécessite le processus r, que l'on trouve dans les supernovas à forte rotation et fortement magnétisées (qui sont appelées supernovas magnétorotationnelles par les spécialistes). Yong et ses collaborateurs proposent donc une hypernova magnétorotationnelle comme source d'enrichissement de SMSS J2003-1142 , en supposant que l'événement de type hypernova (une supernova énergétique produisant 0,017 M de fer) est associé à une éjection de matière riche en neutrons. La masse de cet éjecta riche en neutrons est calculée à 0,00035 M, grâce à la correspondance observée entre le  rapport [Eu/Fe] et les rendements théoriques.

Les chercheurs montrent que le modèle de l'hypernova magnétorotationnelle colle très bien avec les spectres de la géante rouge. Les distributions relatives de nombreux éléments sont très bien reproduites :  rapport [C/Fe] normal, faibles rapports [Mn/Fe] et [Pb/Fe], rapports élevés [(Co,Zn)/Fe] et [(Th,U)/Fe], ainsi que renforcement des premier et deuxième pics des éléments à capture rapide de neutrons. Le faible rapport [Mn/Fe] permet notamment d'exclure une origine par une supernova de type Ia.  

La composition chimique élémentaire de l'étoile SMSS J2003-1142 très pauvre en métaux indique donc que des explosions d'étoiles très massives fortement magnétisées et à rotation rapide se sont produites pendant les premières époques de la formation stellaire dans notre galaxie, il y a 12 milliards d'années environ. Dans les étoiles de première génération (population III), l'absence de vents stellaires entraîne une perte de masse nettement moins importante et une rotation plus rapide, associée à des champs magnétiques accrus. Les hypernovas magnétorotationnelles qu'elles auraient produites pourraient être importantes dans l'Univers jeune et être à l'origine de 90% des éléments les plus lourds que nous connaissons.

Source

r-Process elements from magnetorotational hypernovae
David Yong et al.
Nature vol. 595 (8 july 2021)


Illustration

SMSS J2003-1142 imagée par le télescope Sky Mapper (au centre, repérée par la croix)  (Da Costa/SkyMapper)

7 commentaires :

**** a dit…

Bonjour Éric, connaît-on la masse initiale de cette étoile ? Sa durée sur la séquence principale m'interroge...

Dr Eric Simon a dit…

Ce type d'étoile de première génération peut avoir une masse très grande, on estime jusqu'à 100 masses solaires. Donc une durée de vie très courte, moins de 10 millions d'années !

**** a dit…

Merci Éric, c est ce que je pensais. Don il y a un truc qui m échappe : je suppose qu elle est située dans notre galaxie car les étoiles extra galactiques sont encore extrêmement difficiles à caractériser, n est ce pas ? Comment se fait il qu une étoile si peu loin (dans le temps comme l espace bien sur) ne soit pas déjà explosée ? Je ne sais pas si j exprime correctement le paradoxe qui me préoccupe.

Pascal a dit…

Bonjour,

**** parle-t-il de SMSS J2003-1142, ou de l'étoile de pop III ayant formé ses métaux ? Car dans le premier cas, une géante rouge de 12 milliards d'années a une masse initiale un peu inférieure au soleil, entre 0.9 et 1 Mo.

Brice a dit…

(j'écris depuis un autre poste)

Bonjour Pascal, je parlais de SMSS J2003-1142. Et justement, vu sa masse supposée, et comme le dit Eric, elle ne peut pas avoir 12 milliards d'années sur la séquence principale, son espérance étant plutôt autour de 10 millions d'années. C'est exactement ce que je ne comprends pas. Si cette étoile était située aux confins de l'Univers, aucun souci de compréhension pour moi, mais là, un gros truc m'échappe.

Dr Eric Simon a dit…

Non non, je parlais de l'etoile qui a produit l'hypernova, pas de cette étoile 2003-1142, qui elle, est une population II qui peut vivre très longtemps.

Brice a dit…

D'accord, merci.