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24/05/25

Jupiter 2 fois plus grande qu'aujourd'hui lors de sa naissance


Dans une nouvelle étude publiée dans Nature Astronomy , Konstantin Batygin (Caltech) et Fred Adams (Université du Michigan), fournissent un aperçu détaillé de l'état primordial de Jupiter. Leurs calculs révèlent qu'environ 3,8 millions d'années après la formation des premiers corps du système solaire, moment clé où le disque protoplanétaire se dissipait, Jupiter était deux fois plus grande qu'aujourd'hui...

Comprendre l'évolution primitive de Jupiter permet de mieux comprendre comment notre système solaire a développé sa structure particulière. La gravité de Jupiter a joué un rôle crucial dans la formation des trajectoires orbitales des autres planètes et dans la formation du disque de gaz et de poussière à partir duquel elles se sont formées. Il est donc essentiel de cerner les premières phases de la formation des planètes pour résoudre cette question. Batygin et Adams ont abordé le problème en étudiant deux minuscules lunes de Jupiter, Amalthée et Thébé, qui orbitent encore plus près de Jupiter que Io, la plus petite et la plus proche des quatre lunes galiléennes de la planète géante.

Comme Amalthée et Thébé ont des orbites légèrement inclinées, Batygin et Adams ont analysé ces faibles écarts orbitaux pour calculer la taille originelle de Jupiter. En analysant la dynamique des satellites de Jupiter simultanément avec son bilan de moment angulaire, ils parviennent à déduire le rayon et l'état intérieur de Jupiter au moment de la dissipation de la nébuleuse protosolaire.

Bien que des incertitudes considérables concernant l'intérieur de Jupiter persistent (en partie en raison de l'incapacité des données de gravité à informer pleinement sur la nature du noyau compact ainsi que des incertitudes dans l'équation d'état de l'hydrogène lui-même), au cours des trois dernières décennies, les observations des missions Galileo et Juno ont permis de mieux cerner l'intérieur complexe et multicouche de Jupiter. En particulier, de récents travaux de modélisation ont révélé une région imprégnée de pluie d'hélium, un noyau dilué à haute métallicité pouvant atteindre 25 masses terrestres, ainsi qu'un noyau compact, beaucoup moins massif et plus profond. 

D'une manière générale, les caractéristiques physiques de Jupiter correspondent aux prédictions du modèle d'accrétion du noyau de la formation des planètes géantes. Dans ce cadre, la formation des planètes géantes suit une série distincte d'étapes. Initialement, un noyau à haute métallicité se forme rapidement, laissant place à une période de croissance hydrostatique caractérisée par une lente agglomération d'une atmosphère H/He. Ce processus se poursuit jusqu'à ce que la masse de l'enveloppe gazeuse atteigne celle du noyau. Une fois ce seuil franchi, une période transitoire d'accrétion rapide de gaz s'ensuit, facilitant l'accumulation de la majeure partie de la masse de la planète. Finalement, la planète se sépare de la nébuleuse environnante, s'engageant dans une évolution thermique à long terme qui aboutit à la Jupiter que nous observons aujourd'hui, environ 4,5 milliards d'années plus tard.

Bien que les grandes lignes de ce tableau soient établies depuis des décennies, les subtilités de la séquence évolutive initiale de Jupiter restent imparfaitement comprises. En particulier, l'entropie primordiale de Jupiter qu'on présente souvent comme le problème du démarrage "à chaud" ou "à froid", ainsi que le calendrier exact de ces phases de formation restent incertains. Par exemple, dans le modèle souvent cité de Pollack et al., la transition vers l'accrétion incontrôlable se produit environ 7 millions d'années après la formation du noyau. Mais des calculs ultérieurs ont cependant proposé des chronologies alternatives, avec le modèle récent de Stevenson et al., qui suggère que la croissance incontrôlable se termine après 3 mégannées.

L'approche de Batygin et Adams qui consiste à exploiter la dynamique précoce des satellites de Jupiter, ainsi que la régulation magnétique de son budget de moment angulaire pour en déduire son rayon, contourne largement les limites des modèles existants. Cette approche offre une précision sans précédent aux propriétés du système jovien à son stade de formation.

Leurs calculs et leurs analyses mènent à la plage suivante pour le rayon primordial de Jupiter :
entre 2,02 et 2,59 fois son rayon actuel. Dans la fourchette couverte par cette estimation du rayon, les chercheurs montrent que toute valeur supérieure au rayon orbital d'Amalthée est peu susceptible d'être physiquement significative. Et comme l'inclinaison de Thébé résulte probablement de multiples passages de résonance, c'est la limite inférieure de la plage de rayons qui est privilégiée par les auteurs. Ils évaluent également le taux d'accrétion de masse de la protoJupiter, ce qui donne entre 1,2 et 2,4 masses joviennes par million d'années, ce qui est très intense.  

Avec le rayon planétaire et le taux d'accrétion contraints, les deux chercheurs déduisent ensuite la structure intérieure de Jupiter en utilisant des modèles hydrostatiques. Les profils de température, de densité et de pression correspondants sont déterminés. Ces modèles impliquent qu'au moment de la dissipation de la nébuleuse proto-solaire, l'entropie caractéristique de l'enveloppe convective de Jupiter correspond à une condition initiale de « démarrage à chaud » .

Une dernière pièce du puzzle a consisté pour Batygin et Adams à ancrer leurs calculs à une époque précise, par rapport à un marqueur bien défini de l'évolution du système solaire. Dans cette optique, en 2017, Wang et al. avaient utilisé les données de magnétisation de météorites très anciennnes pour démontrer que la nébuleuse solaire s'est dissipée environ 3,8 millions d'années après la formation d'inclusions de calcium et d'aluminium. Selon les chercheurs, comme l'énergie nécessaire pour transporter une molécule d'hydrogène de quelques rayons joviens au rayon de Hill est approximativement égale à celle nécessaire pour l'extraire du puits de potentiel gravitationnel du Soleil à 5 ​​UA, le front photo-évaporatif responsable de l'élimination de la nébuleuse dans le voisinage orbital jovien a dû simultanément éliminer le disque circumplanétaire de Jupiter. Ils peuvent ainsi  conclure que Jupiter était approximativement 2 à 2,5 fois plus grande qu'aujourd'hui, 3,8 millions d'années après la formation des premiers corps solides du système solaire. Cela correspond à un volume équivalent à plus de 2 000 Terres. 

Ces résultats apportent des précisions cruciales aux théories existantes sur la formation des planètes, qui suggèrent que Jupiter et d'autres planètes géantes autour d'autres étoiles se sont formées par accrétion de noyau, un processus par lequel un noyau rocheux et glacé accumule rapidement du gaz.  Même si les premiers instants de Jupiter restent obscurcis par l'incertitude, cette étude clarifie considérablement notre vision des étapes critiques du développement de la planète géante. Ce nouveau point de repère permettra de reconstituer avec plus de certitude l'évolution de notre système solaire.

Source

Determination of Jupiter’s primordial physical state
Konstantin Batygin & Fred C. Adams 
Nature Astronomy (20 mai 2025)

Illustration

Jupiter imagée avec le télescope Webb (NASA)

23/06/24

Jean-Dominique Cassini n'a pas découvert la Grande Tache Rouge de Jupiter en 1665


La Grande Tache Rouge de Jupiter est le vortex connu le plus grand et le plus ancien de toutes les planètes du système solaire, mais sa durée de vie est débattue et son mécanisme de formation reste mal compris. On dit souvent que c'est Jean Dominique Cassini qui l'a découverte en 1665, mais aujourd'hui, des astronomes démontrent que ce qu'a observé Cassini à l'époque n'est pas la Grande Tache Rouge d'aujourd'hui, mais un autre anticyclone. Ils publient leur étude dans Geophysical Resarch Letters.

Ce qu'on appelle la Grande Tache Rouche de Jupiter, c'est un vortex anticyclonique géant qui comprend deux régions principales, observées aux longueurs d'onde optiques : un ovale rouge (la tache proprement dite) et une zone blanchâtre externe qui l'entoure, plus étendue le long de sa partie nord, et connue sous le nom de "Creux" ("Hollow"). Sa visibilité change en fonction du contraste avec les nuages ​​environnants et se manifeste parfois comme un seul ovale clair, couvrant les deux zones. Les mesures du vent à partir des mouvements des nuages ​​montrent que le bord du Hollow délimite la limite de la circulation associée au vortex.

La présence d'un ovale sombre à la latitude de la grande tache rouge, connu sous le nom de "Tache Permanente" qu'avait remarquée Jean Dominique Cassini en 1665 a par la suite été observé jusqu'en 1713, mais aucune autre mention n'y a été faite au delà par les astronomes jusqu'à la fin du 18ème siècle. Ce n'est qu'en 1831 que l'on retrouve des traces d'observations de ce qui ressemble à la Grande Tache Rouge actuelle.

Afin de clarifier la relation entre la Tache Permanente (TP) et la Grande Tache Rouge (GTR), Agustín Sánchez-Lavega (université du Pays Basque) et ses collaborateurs ont effectué une analyse approfondie de toutes les observations disponibles de la TP et de la GTR, jusqu'au XXe siècle. Ils ont étudié la mesure année par année de leur taille, de leur ellipticité, de leur surface et de leurs mouvements, ainsi que ceux de la zone du Hollow entourant la GTR, et ce depuis les premières observations disponibles et jusqu'en 2023. Cette étude étend et complète des résultats précédents sur le sujet par Beebe et Youngblood (1979), Rogers (1995) et Simon et al. (2018). 

Sánchez-Lavega et son équipe montrent à partir des observations historiques de l'évolution de la taille et des mouvements qu'il est peu probable que la TP corresponde à le GTR. La TP a été signalée pour la première fois par Cassini et d'autres astronomes en juillet-septembre 1665. Et il est possible que la TP ait été observée encore plus tôt par Bandtius, le 2 novembre 1632, qui rapportait la présence d'un ovale d'environ un septième de la taille du rayon de Jupiter. La TP a ensuite été observée par Cassini et d'autres en 1667, 1672, 1677, 1685-1687, 1690-1691, 1694, 1708, et a été signalée pour la dernière fois en 1713 par Maraldi. Cela indique que la durée de vie de la TP était d'au moins 81 ans. Dans toutes ces observations, aucune couleur n’est mentionnée. Mais une peinture de Jupiter en 1711 montre de manière intrigante la TP  avec une teinte rouge, rappelant la GTR actuelle.

Aucun rapport d'observation de la TP ni aucun signe de sa présence n'existent dans les observations de Jupiter entre 1713 et 1831, une période d'environ 118 ans. L'examen des dessins de Jupiter d'astronomes renommés de l'époque comme Messier en 1769, Herschel en 1778, Schroeder en 1785-1786, montre des ceintures et des taches isolées, mais en aucun cas une TP ou une tache similaire à sa latitude. Pour Sánchez-Lavega, il serait surprenant que, si elle existait encore, aucun des astronomes de l'époque n'ait signalé la TP. Compte tenu de la petite taille de la TP dans les dessins de 1672 à 1692, il est fort probable que ce manque d'observations sur une période aussi longue signifie que la TP avait en fait disparue. Les premiers dessins montrant la signature de la GTR actuelle, remontent quant à eux à 1831, et les dessins des années 1870-1871 la montraient comme un ovale clair bien défini entouré d'un anneau elliptique sombre. Cet ovale est devenu rougeâtre et entouré par le "Creux" entre 1872 et 1876. La première photographie disponible montrant une GTR proéminente a été obtenue en 1879. La GTR actuelle existe donc avec certitude depuis au moins 193 ans.

Les chercheurs ont ensuite mesuré la taille de la TP, de la GTR et du Creux, de 1665 à aujourd'hui. La longueur de la TP est 2 à 3 fois plus petite que celle de la GTR de 1879. La longueur de la GTR a diminué au fil du temps à un rythme moyen de -0,18°/an (207 km/an) (augmentant ces dernières années à -0,3°/an). La GTR a connu une augmentation transitoire de sa longueur de 1927 à 1939 à un rythme de +0,07°/an (80 km/an), lorsqu'elle a englouti les nuages ​​d'une importante perturbation tropicale qui s'est développée à l'époque. Le Hollow a suivi un taux de réduction moyen similaire de -0,20°/an (230 km/an). Malgré l'imprécision inhérente à la mesure des dessins du 17ème siècle, la TP semble également montrer une diminution similaire en longueur. Pour les chercheurs, l'extrapolation en fonction du temps par un ajustement polynomial de la diminution de la GTR suggère fortement que la TP n'est pas la  GTR. La TP aurait dû croître régulièrement entre 1713 et 1879 à un rythme de +0,14°/an (160 km/an) pour devenir la GTR. Cela est hautement improbable puisque aucun rapport d'observation de grande tache n'existe au cours de cette longue période et, de plus, aucune croissance continue et soutenue de la taille n'a jamais été signalée dans les vortex de Jupiter.

Dans le sens méridional, la GTR a progressivement diminué sa largeur depuis 1879 à un rythme moyen de -0,03°/an (36 km/an). A noter que cette réduction s'est accélérée depuis 2010 à -0,17°/an et actuellement, le GTR a à peu près la même largeur que le TP. En supposant que la GTR et le Hollow sont des ellipses à demi-axes (a, b), leur excentricité a diminué de 0,92 en 1879 à 0,6 en 2023, c'est-à-dire que les deux deviennent des ovales de forme plus arrondie. Leur aire A=πab a diminué approximativement linéairement et si cette réduction persiste, cela pourrait conduire à l'un des deux cas suivants : la disparition totale de la GTR (comme ce fut le cas de la TP), ou bien l'atteinte d'une taille stable à longue durée de vie. Les chercheurs notent également que l'excentricité et la superficie de la GTR actuelle sont similaires à celles de la TP. 


En ce qui concerne la vitesse, la dérive de vitesse zonale qui avait été observée sur  la TP variait d'environ -10 à -6 m/s alors que celle de la GTR est de -4 à -1 m/s. Cette différence de vitesse peut être due à un décalage de latitude de leurs centres de 1° maximum (par rapport au profil de vent zonal de fond), ou bien être intrinsèque et liée à leurs propriétés dynamiques, ou à une combinaison des deux. Cette vitesse différente est en tous cas un autre argument  indiquant que la TP n'est pas la GTR.

Guidés par ces observations historiques et les données récentes sur la GTR, Sánchez-Lavega et ses collaborateurs ont effectué des simulations numériques de différents mécanismes dynamiques qui auraient pu conduire à la genèse de la GTR. Ils explorent trois scénarios plausibles : une "super-tempête", la fusion de chaînes de vortex plus petits que la GTR, ou sa naissance sous la forme d'une cellule allongée (une proto-GTR) générée par une perturbation des vents zonaux cisaillés méridionalement.

Les résultats de ces simulations, indiquent que les mécanismes de super-tempête et de fusion, bien qu’ils génèrent un seul anticyclone, sont peu susceptibles d’avoir formé la GTR. Les deux phénomènes n’ont jamais été observés à la latitude de la grande tache rouge et, s’ils s’étaient produits, les astronomes de l’époque l’auraient signalé. La cellule allongée, à rotation lente, en revanche, rappelle les premières observations de la GTR au milieu du XIXe siècle, avec cet ovale très allongé. Le mécanisme STrD, qui est une perturbation atmosphérique courante à cette latitude de Jupiter, semble plus plausible pour avoir généré une proto-GTR, selon les chercheurs. Ils expliquent par ailleurs qu'un mécanisme similaire pourrait avoir été à l'origine de la formation des autres grands anticyclones de Jupiter situés entre deux jets plus au sud à 33°S. Enfin, la comparaison de la vitesse de rotation du précurseur de la GTR prédite par les modèles, avec les mesures récentes de la circulation de la GTR effectuées par les missions spatiales, indique que la GTR a augmenté sa vitesse de rotation à mesure qu'elle rétrécissait, acquérant cohérence et compacité, et formant le vortex actuel plus rond.

Il apparaît ainsi que la Grande Tache Rouge n'a pas plus de 360 ans, mais plus modestement environ 200 ans et est en fin de vie. L'étude de Sanchez-Lavega et ses collègues exclut que la GTR se soit formée par la fusion de vortex ou par une super tempête, mais indique qu'elle s'est très probablement formée à partir d'une perturbation d'écoulement entre les deux jets zonaux dans l'atmosphère de Jupiter, opposés entre sa zone nord et sa zone sud. Si tel est le cas, la grande tache aurait dû avoir une faible vitesse tangentielle à sa naissance, qui n'aurait cessé d'augmenter au fil du temps à mesure que sa taille diminuait. Elle finira par disparaître dans quelques décennies, comme la tache ovale qu'avait observé Jean Dominique Cassini sous Louis XIV.

Source

The Origin of Jupiter's Great Red Spot
Agustín Sánchez-Lavega et al.
Geophysical Research Letters (16 June 2024)

Illustrations

1. La Grande Tache Rouge imagée 
2. Dessins et photographies de la TP et de la GTR : a) Cassini le 19 Janvier 1672; b) S. Swabe le 10 Mai 1851; c) Photo par A. Common le 3 Septembre 1879: d) Photo de l'Observatoire Lick le 14 Octobre 1890.
3. Jupiter et sa grade tache imagée en infra-rouge par le télescope Webb (NASA)
4. Agustín Sánchez-Lavega 

31/05/24

Nouvelle cartographie des 373 volcans de Io, grâce à Juno


La première carte précise des volcans de Io (satellite de Jupiter) vient d’être publiée par des chercheurs américains après avoir exploité la sonde Juno en orbite jovienne. Au total, 343 sources de chaleur ont été identifiées à la surface du satellite jovien, portant son nombre de volcans connus à 373. Et les chercheurs observent une apparente disparité de la puissance des volcans entre les hémisphères et les pôles… L’étude est publiée dans The Planetary Science Journal.

On connaît depuis longtemps l’origine de l'activité volcanique sur Io : elle est alimentée par la dissipation des marées dans ses couches internes, qui sont induites par son mouvement autour de Jupiter. Io est ainsi le corps le plus volcaniquement actif du système solaire. Mais les estimations de l'énergie thermique totale émise par les sources volcaniques ont souvent été jusqu’à 10 fois plus importantes que celles expliquées par les modèles de chauffage par marée à l'équilibre. Les estimations du flux de chaleur par unité de surface couvrent donc une large gamme d'une région à l'autre.

Il faut se rappeler que l'évolution orbitale d'Io est étroitement liée à celles d'Europe et de Ganymède. La rétroaction cyclique entre l'évolution thermique et l'évolution orbitale devrait entraîner des oscillations synchronisées dans le chauffage par les marées des trois lunes avec des périodes de l'ordre de 100 millions d’années. La compréhension de l'évolution du système nécessite des observations spatiales des processus volcaniques, géophysiques et orbitaux d'Io pour comprendre son évolution thermique et orbitale. En même temps, Io est un laboratoire extraordinaire de la taille d'une planète qui permet d'examiner l'évolution de sa température avec son orbite.

Les données envoyées par la sonde Juno de la NASA depuis son orbite polaire autour de Jupiter ont révélé les volcans polaires d'Io dans l'infrarouge à des échelles spatiales allant jusqu'à 13 km/pixel. Les nouvelles détections de points chauds de son instrument Jupiter Infrared Auroral Mapper (JIRAM) ont été ajoutées par Ashley Davies (Jet Propulsion Laboratory) et ses collaborateurs aux analyses précédentes, pour créer une carte actualisée de l'émission thermique volcanique d'Io.

Les observations JIRAM obtenues entre le 27 mars 2017 (orbite PJ05) et le 1er mars 2023 (orbite PJ49) ont permis d'identifier 273 sources thermiques volcaniques actives et , chose nouvelle, de quantifier l'émission thermique des principaux volcans polaires d'Io. Les données JIRAM fournissent un instantané global de l'endroit où l'activité volcanique effusive à haute température (des silicates fondus) se déroule actuellement sur Io.

Les observations polaires de JIRAM sur Io ont permis de combler les lacunes de la carte de l'activité volcanique qui avait été initialement produite en 2015, pour créer la première carte véritablement globale de l'activité volcanique en cours sur Io, à partir des points chauds détectés.


Davies et ses collaborateurs trouvent de faibles corrélations entre la distribution longitudinale de l'émission thermique volcanique et les modèles de chauffage interne intégrés radialement. Les meilleures corrélations sont trouvées avec un chauffage par marée de l'asthénosphère peu profonde et des modèles d'océan de magma. Les corrélations négatives sont obtenues avec le modèle de chauffage du manteau profond.

Pour les chercheurs, la présence de volcans polaires soutient, mais ne confirme pas nécessairement, la présence d'un océan de magma sur Io. Davies et ses collaborateurs constatent que le nombre de volcans actifs par unité de surface dans les régions polaires n'est pas différent de celui des basses latitudes, mais que les volcans polaires de Io sont plus petits, en termes d'émission thermique, que ceux des basses latitudes. Les volcans polaires émettent deux fois moins d'énergie que les volcans des basses latitudes (le pôle nord à lui seul émet environ 44 % d'énergie en moins par unité de surface que celle émise aux basses latitudes). Par ailleurs, quand ils comparent les deux pôles, les chercheurs voient que l'émission thermique des volcans de la calotte polaire sud est deux fois moins importante que celle des volcans de la calotte polaire nord. Il existe donc des dichotomies apparentes en termes d'advection volcanique et de production d'énergie résultante à la fois entre les hémisphères subjoviens et antijoviens, entre les régions polaires et les latitudes inférieures, ainsi qu'entre les régions polaires nord et sud.

Les planétologues attribuent ces différences à d’éventuelles asymétries internes ou bien à des variations de l’épaisseur de la lithosphère de Io.

Lorsqu’on utilise le nombre de points chauds, plutôt que l'émission thermique volcanique, cela ne permet pas de différencier les modèles d'océan magmatique et d'asthénosphère. Les distributions des flux de chaleur volcanique et des points chauds ne sont pas compatibles avec les modèles actuels de chauffage par les marées et d'advection volcanique. Il devient clair que le flux de chaleur de Io n'est pas bien pris en compte par ces modèles et que le chauffage intérieur de Io est plus complexe qu'on ne le pensait, impliquant probablement un océan magmatique global ou partiel.

La mesure de la distribution de l'émission thermique de fond (c'est-à-dire qui n'émane pas manifestement de l'activité volcanique actuelle ou récente) est une mesure cruciale qui devrait fournir des contraintes supplémentaires pour la modélisation future de l'intérieur de Io. Dans l'état actuel des choses, la nouvelle carte de l'émission thermique volcanique de Io constitue néanmoins une condition limite importante que les modèles de flux de chaleur de Io doivent reproduire.

 

Source

New Global Map of Io's Volcanic Thermal Emission and Discovery of Hemispherical Dichotomies

Ashley Davies et al.

The Planetary Science Journal, Volume 5, Number 5 (27 May 2024 )

https://doi.org/10.3847/PSJ/ad4346

 


Illustrations


1. Les volcans de Io vus en infra-rouge par Juno (NASA/JPL)

2. Cartographie des volcans établie par les auteurs (Ashley Davies et al.)

3. Ashley Davies

14/03/24

Europe produit moins d'oxygène moléculaire que prévu


Europe, la lune de Jupiter, a une surface principalement constituée de glace d'eau qui est modifiée par l'exposition à son environnement spatial. Les particules chargées brisent les liaisons moléculaires dans la glace de surface, dissociant ainsi l'eau pour produire finalement de l'hydrogène et de l'oxygène, qui fournit un mécanisme d'oxygénation potentiel pour l'océan souterrain d'Europe. Une équipe de chercheur vient de réévaluer la production d'oxygène à la surface d'Europe à partir de mesures directes. Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.

03/11/23

Découverte d'un puissant jet-stream à l'équateur de Jupiter


Les observations de Jupiter par le télescope spatial Webb en juillet 2022 montrent des détails insoupçonnés et révèlent la présence d'un vent équatorial intense (140 m s-1, soit 70 m s-1 plus rapide que les vents zonaux) et qui est confiné à ± 3° de l'équateur. Ce "jet" est situé en dessous des oscillations thermiques stratosphériques qui se répètent en cycles pluriannuels sur Jupiter. Cela suggère que le nouveau jet fait partie intégrante de l'oscillation stratosphérique équatoriale de Jupiter. L'étude est publiée dans Nature Astronomy.

13/10/23

7 nouvelles éruptions volcaniques observées sur Io


Une étude publiée dans The Planetary Science Journal détaille 170 nuits d'observation du satellite jovien Io avec le télescope infrarouge IRTF de la NASA. Au cours de cette période, les astronomes ont pu observer 7 nouvelles éruptions volcaniques sur le petit satellite, augmentant le nombre total d'éruptions observées de 18 à 25. 

06/09/23

L'énigme de l'oxygène de Callisto


L'oxygène moléculaire (O2) a été détecté dans l'atmosphère de Callisto, satellite de Jupiter, à partir d'observations réalisées sur plus de deux décennies par trois instruments distincts utilisant chacun des techniques de mesure différentes. C’est l'exposition de la surface glacée de Callisto aux ions et aux électrons piégés dans le champ magnétique de Jupiter qui serait à l’origine de ce dioxygène. Mais une équipe de chercheurs américains vient pour la première fois de quantifier ce processus, et il apparaît très insuffisant pour expliquer l’oxygène de Callisto. L’oxygène de Callisto reste donc énigmatique, comme le dit le titre de cette étude parue dans Journal of Geophysical Research : Planets.

29/08/23

Première analyse des rayons gamma de Jupiter, à la recherche de matière noire...


Pour la première fois, des astrophysiciens ont analysé l’émission gamma de Jupiter. Cette recherche est importante car elle pourrait indiquer des traces de phénomènes très particuliers comme des annihilations de particules de matière noire qui se seraient accumulées dans la géante gazeuse. La détection des rayons gamma par le télescope Fermi-LAT montre la présence d’un signal à basse énergie mais qui n’est pas statistiquement significatif, menant donc à la détermination de limites drastiques sur la probabilité d’interaction de la particule de matière noire hypothétique avec les protons. Jupiter est ainsi devenue notre plus gros détecteur de matière noire et le plus sensible à basse énergie. L’étude est parue dans Physical Review Letters.

11/12/22

Un océan de magma sous la croûte de Io


Il existe plus de 200 lunes dans le système solaire, mais aucune n'est comparable à Io, la troisième plus grande des 80 lunes de Jupiter. Io est volcanique. Elle est parsemée de centaines de puissants volcans actifs, qui sont alimentés par l'échauffement intense de ses couches internes provoqué par les effets de marée induits par le champ gravitationnel de Jupiter. Un duo d'astronomes s'est penché sur l'origine de ce magma qui peut en dire long sur l'intérieur de Io, ils publient leur étude dans The Planetary Science Journal.

26/09/22

La stabilité des cyclones polaires de Jupiter


Une étude des cyclones polaires de Jupiter a été menée durant cinq ans avec la sonde Juno et montre la très grande stabilité de ces structures étonnantes. Que ce soit au niveau du pôle nord ou du pôle sud de Jupiter, les huit vortex du nord et les 5 du sud sont restés presque imperturbables durant toutes ces années. L'étude est publiée dans Journal of Geophysical Research: Planets.

06/08/22

Un grand coeur dilué pour Jupiter (aussi)


La sonde Juno a mesuré le champ de gravité de Jupiter pour déterminer la forme et la dimension du noyau de la planète géante. La modélisation effectuée à partir des mesures conduit à un noyau de type dilué contenant des éléments lourds, jusqu'à environ 63% du rayon de la planète, confirmant des résultats qui allaient dans le même sens concernant Saturne. L'étude est publiée dans The Planeterary Science Journal.

22/06/22

Jupiter a une enveloppe inhomogène qui révèle le scénario de sa formation


Une équipe d'astronomes a exploité les données de la sonde Juno en orbite de Jupiter pour modéliser l'intérieur de la planète géante et comprendre pourquoi elle contient autant d'éléments lourds révélés par Juno. Ils en arrivent à la conclusion que Jupiter aurait grossie en absorbant de grosses roches de l'ordre de 1 km de diamètre lors de sa formation. L'étude est parue dans Astronomy&Astrophysics.

28/02/22

Confirmation de la présence de sel de mer sur la surface de Europe


Une équipe de chercheurs vient de mettre en évidence la présence de sel (chlorure de sodium) à la surface de Europe, le satellite de Jupiter qui possède un océan liquide sous sa croûte. Après une première détection d’une raie d’absorption dans le bleu à 450 nm, ils trouvent une nouvelle raie d’absorption caractéristique mais dans l’UV et qui correspond bien à du sel irradié. Cette absorption se trouve au même endroit sur Europe que la trace précédente. Des expériences en laboratoire confirment l’origine de la raie spectrale inconnue observée sur Europe. Cette confirmation de la présence de chlorure de sodium dans des régions géologiquement jeunes a des implications importantes pour la composition de la subsurface d'Europe. Ils publient leurs études dans trois articles parus dans The Planetary Science Journal.

12/02/22

Détection de rayons X de haute énergie dans les aurores de Jupiter


Les aurores polaires de Jupiter sont connues pour produire des rayons X de faible énergie. Une nouvelle étude vient de montrer qu'elles produisent aussi des rayons X de beaucoup plus haute énergie, grâce à une observation avec le télescope spatial NuStar. L'étude publiée dans Nature Astronomy permet de comprendre leur origine. 

30/10/21

Plongée dans les vortex de Jupiter avec Juno


Sur Jupiter, la façon dont les caractéristiques des vortex atmosphériques, dont le plus célèbre d'entre eux, la Grande Tache Rouge, changent avec la profondeur est encore inconnue. Une équipe de recherche à grande majorité états-unienne vient de publier des observations inédites effectuées avec le radiomètre à micro-ondes de la sonde Juno, ce qui permet d'en savoir plus... Ils publient leur travail cette semaine dans Science.

16/08/21

L'atmosphère de Jupiter fortement échauffée par ses aurores polaires


Avec la lumière solaire qu'elle reçoit, la haute atmosphère de Jupiter devrait avoir une température moyenne de 200 K (-73°C), mais au lieu de ça, elle est de 700 K (427°C)! Cette forte anomalie thermique qui interroge les planétologues depuis très longtemps vient de trouver une réponse : ce seraient les aurores polaires qui produiraient un échauffement de toute l'atmosphère de Jupiter. L'étude est parue dans Nature.

12/07/21

Les aurores à rayons X de Jupiter expliquées (en partie)


Depuis 40 ans, des aurores polaires émettrices de rayons X sont observées sur Jupiter sans être pleinement comprises. Mais aujourd'hui, grâce à des observations conjointes effectuées avec le télescope spatial européen XMM-Newton et la sonde américaine Juno, leur origine vient d'être déterminée. Une étude parue dans Science Advances sous le titre Revealing the source of Jupiter’s x-ray auroral flares.

18/03/21

Jupiter : la Grande Tache Rouge attaquée et sauvée par une série d'anticyclones


La Grande Tache Rouge (GTR) de Jupiter, cet énorme anticyclone vieux de plusieurs siècles s'est fait attaquer par plusieurs plus petits anticyclones ces dernières années. une équipe d'astronomes vient d'étudier ce phénomène en détail et montre comment la GTR, bien que perturbée, a surmonté les coups de boutoir et pourrait même en profiter. Une étude publiée dans Journal of Geophysical Research.   

24/10/20

L'impact atmosphérique des volcans de Io mesuré avec ALMA


Le grand réseau de radiotélescopes ALMA n'est pas utilisé seulement pour étudier les galaxies les plus lointaines que l'on connaisse, les systèmes planétaires en formation dans notre galaxie où le disque d'accrétion du trou noir central, il peut aussi être exploité pour étudier des objets du système solaire comme des satellites de Jupiter. Une étude inédite de ce type s'est intéressée aux gaz émanant des nombreux volcans de Io, satellite de Jupiter unique en son genre du fait de son activité volcanique incessante. Une étude acceptée pour publication dans Planetary Science Journal.


08/05/20

Jupiter mise à nue dans toutes les longueurs d’onde



Des nouvelles images en multilongueurs d'ondes, UV, visible, infra-rouge et ondes radio, obtenues conjointement avec le télescope spatial Hubble, le télescope Gemini North et la sonde Juno durant 3 ans, offrent des nouvelles informations sur les orages et tempêtes de Jupiter, au premier rang desquelles la grande tache rouge que nous observons depuis quatre siècles. Les chercheurs publient leur étude dans The Astrophysical Journal Supplement Series.