mardi 6 juillet 2021

Palomar 5, un amas globulaire disloqué par ses trous noirs


Palomar 5 (Pal 5) est un amas globulaire découvert en 1950. Il se trouve à une distance d'environ 80 000 années-lumière et fait partie des 150 amas globulaires qui gravitent autour de la Voie lactée. Il est âgé de plus de 10 milliards d'années, comme la plupart des autres amas globulaires. Mais il est environ 10 fois moins massif et 5 fois plus étendu qu'un amas globulaire typique et il est en train de se dissoudre. Aujourd'hui, des astronomes démontrent que Pal 5 doit contenir une très grande population de trous noirs, trois fois plus élevée que ce qui était attendu... Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.

Mark Gieles (Université de Barcelone) et ses collaborateurs européens ont cherché à mieux comprendre cet amas globulaire atypique qui est en train de laisser derrière lui une grosse trainée d'étoiles. Pal 5 est non seulement très étendu en surface (plus de 65 années-lumière de rayon), mais il est littéralement en train de se disloquer en perdant de nombreuses étoiles (une trainée d'étoiles qui s'étend sur plus de 20° dans le ciel). Pour l'étudier, les chercheurs l'ont simulé, afin de pouvoir jouer sur différents paramètres pour voir comment ils pouvaient réussir à reproduire son histoire et sa situation actuelle.

Les courants de marée sont des courants d'étoiles qui ont été éjectées d'amas d'étoiles ou de galaxies naines en rupture. Ces dernières années, près de trente courants ont été découverts dans le halo de la Voie lactée. On ne sait pas encore exactement comment se sont formés ces courants mais l'idée dominante est qu'il s'agit de résidus d'amas d'étoiles perturbés, même si aucun des courants récemment découverts n'est aujourd'hui associé à un amas d'étoiles. Palomar 5 est le seul cas pour lequel on peut clairement associer un amas globulaire et un courant de marée. ce qui en fait une sorte de pierre de Rosette pour comprendre la formation des courants et l'évolution des amas globulaires. C'était donc une cible de choix pour Gieles et son équipe. 

Les chercheurs ont simulé les orbites et l'évolution de chaque étoile de l'amas depuis sa formation il y a 10 milliards d'années jusqu'à sa dissolution finale dans 1 milliard d'années. Pal 5 est relativement peu massif pour un amas globulaire, avec seulement 10000 masses solaires, et montre une densité parmi les plus faibles de tous les amas globulaires qui entourent la Voie Lactée : 0,1 M pc–3. Il s'agit d'une densité qui est comparable à la densité stellaire de la région qui entoure le Soleil dans le disque galactique. Il a été découvert par Walter Baade au milieu du siècle dernier uniquement parce qu'il se trouvait en dehors du disque galactique... On sait qu'une faible densité facilite l'apparition d'un dépouillement par effet de marée gravitationnelle et l'apparition de queues de marée, mais Pal 5 a-t-il toujours été peu dense ? Pour tenter de répondre à cette question, les chercheurs ont fait varier les propriétés initiales de l'amas jusqu'à ce qu'ils trouvent une bonne correspondance avec les observations du courant et de l'amas. Gieles et ses collaborateurs ont alors découvert que Palomar 5 a dû se former avec une fraction de trous noirs plus faible que la normale, mais que les étoiles se sont ensuite échappées de l'amas plus efficacement que les trous noirs, de sorte que la fraction de trous noirs a progressivement augmenté dans l'amas.

Les simulations montrent que les trous noirs ont eu pour effet de faire gonfler dynamiquement l'amas lors d'interactions gravitationnelles multiples avec les étoiles, ce qui a ensuite entraîné l'échappement d'un plus grand nombre d'étoiles et la formation du courant de marée. Juste avant sa dissolution complète, estimée dans environ un milliard d'années, l'amas sera entièrement constitué de trous noirs, d'après Gieles et ses collaborateurs.  Aujourd'hui, le nombre de trous noirs dans Pal 5 est environ trois fois plus élevé que ce qui est attendu d'après le nombre d'étoiles présentes dans l'amas, ce qui signifie que plus de 20 % de la masse totale de l'amas est constituée de trous noirs.... 2000 masses solaires de trous noirs stellaires. Cette centaine de trous noirs auraient chacun une masse d'environ 20 masses solaires et se seraient formés lors d'explosions de supernova à la fin de la vie d'étoiles massives, lorsque l'amas était encore très jeune puis auraient grossis pendant 10 milliards d'années. Les simulations à N corps de Gieles et son équipe montrent  que les amas qui sont plus denses au départ maintiennent une fraction de trous noirs plus faible, gardent une taille plus petite et ne produisent pas de queues de marées d'étoiles. 

Ce travail est important car il ouvre des perspectives sur la formation et le devenir des amas globulaires. Il dit aussi que Pal 5 ne doit pas être unique en son genre. Il est très probable selon les astrophysiciens que de nombreux autres amas gonflés dynamiquement et dominés par des trous noirs se sont déjà désintégrés dans les marées de la Voie lactée pour former les minces courants stellaires qui ont été  récemment découverts. La présence d'une grande population de trous noirs peut donc être commune à tous les amas qui ont formé des courants d'étoiles. Cette étude a également des implications importantes pour la détection des ondes gravitationnelles. On pense en effet qu'une grande fraction des fusions de trous noirs binaires ont lieu dans des amas globulaires où la densité stellaire est la plus grande. Mais une grande inconnue dans ce scénario est le nombre de trous noirs présents dans les amas, qu'il est très difficile de contraindre par l'observation, car ils ne sont évidemment pas visibles s'ils n'accrètent pas de matière. L'observation d'une dissolution d'un amas peut donc être un élément clé pour savoir approximativement la quantité de trous noirs que recèle l'amas et donc le taux de fusions de trous noirs qu'il pourrait produire.


Source

A supra-massive population of stellar-mass black holes in the globular cluster Palomar 5
Mark Gieles et al.
Nature Astronomy (5 july 2021)


Illustration

Palomar 5 (Sloan Digital Sky Survey)

3 commentaires :

Pascal a dit…

Bonjour,

Je me demande si au moins certains des amas de trous noirs (100% BH clusters) prévus par la simulation de l'article et futur possible de PAL 5 pourraient être gravitationnellement stables sur de longues durées (les plus massifs ?), et donc exister en nombre significatif dans le halo galactique. En l'absence d'étoiles visibles, ils seraient difficiles à détecter. Ce serait un cas extrème des "dark star clusters" de la référence 37 de l'article ( Banerjee, S. & Kroupa, P. A New Type of Compact Stellar Population: Dark Star Clusters).

Youx a dit…

Bonjour,
Il manque un peu l'explication de comment un trou noir de 20 masses solaires aurait un effet gravitationnel différent d'une étoile de 20 M☉

Au cours de l'histoire, la voie lactée a fusionné plusieurs fois avec d'autres galaxies. À ce moment, les bras fouettent dans tous les sens. Il n'est pas plus simple d'imaginer que Pal5 s'est retrouvé balayé?

Dr Eric Simon a dit…

Mais comme tu es assidu, tu dois savoir qu'une étoile de 20 masses solaires ça ne vit que 10 millions d'années !

La Voie Lactée a fusionné principalement avec des galaxies naines, jamais avec des grosses galaxies très perturbantes. Et même si, je ne pense pas que ça fasse un effet destructeur sur les amas globulaires (mais je peux me tromper).