01/09/21

Observation en rayons X d'un couple de trous noirs supermassifs via une lentille gravitationnelle


Grâce à une lentille gravitationnelle, des astronomes ont observé trois images en rayons X qui correspondent à deux sources situées dans l’univers jeune, probablement un couple de trous noirs supermassifs séparés de seulement 650 années-lumière et situés 2 milliards d’années après la singularité initiale. L’étude est publiée dans The Astrophysical Journal.  

Les lentilles gravitationnelles, produites par des galaxies ou des amas de galaxies dont la masse dévie le trajet des photons qui viennent de l’arrière-plan fonctionnent pour tous les types de photons, qu’ils soient aux longueurs d’ondes visibles, ou bien radio ou rayons X. En plus de défléchir la trajectoire de la lumière, pouvant dédoubler les images d’une source lointaine, les lentilles gravitationnelles amplifient souvent l’intensité lumineuse des sources éloignées qui les subissent.  

Les astrophysiciens exploitent depuis longtemps ce phénomène, qui leur permet, après modélisation de la masse de la galaxie d’avant-plan qui fait lentille, d’étudier des objets souvent très lointains et qui seraient inaccessibles sans un tel phénomène relativiste. C’est notamment le cas de MG B2016+112, qui est un couple de trous noirs supermassifs émettant en rayons X, et qui serait totalement invisible avec nos télescopes actuels s’il n’avait pas été amplifié (et dédoublé) par une lentille gravitationnelle sous la forme d’une grosse galaxie située sur la ligne de visée.

Dan Schwartz (Harvard Smithonian Center for Astrophysics) et ses collaboratrices européennes prend appui sur une étude antérieure effectuée à partir d’observations en radio et qui avait conclu à la présence de deux trous noirs supermassifs séparés de seulement 650 années-lumière. Ils reprennent le même modèle de lentille qu’avait utilisé Cristiana Spingola en 2019, et qui co-signe cette nouvelle étude.

L’équipe confirme que les trois sources de rayons X qui sont observées avec le télescope spatial Chandra proviennent en fait de deux sources distinctes : l’une des deux se retrouve dédoublée et l’autre fortement amplifiée (un facteur d’environ 300 !) et également dédoublée mais de manière trop proches l’une de l’autre pour former deux images distinctes. Pour les chercheurs, ces deux objets émetteurs de rayons X sont probablement une paire de trous noirs supermassifs en croissance ou bien alternativement (mais beaucoup moins probable) un seul trou noir supermassif en croissance et son jet. La séparation estimée de ces deux sources est cohérente avec les précédentes estimations en ondes radio. Mais ces images d’objets de quelques pixels restent très délicates : les deux premières, notées A et B provenant du premier trou noir sont formées de seulement 11 photons à elles deux (d’énergie comprise entre 818 et 5753 eV) et la troisième (C) contient 13 photons d’énergie comprise entre 1294 et 4313 eV.

La grande nouveauté ici c’est la distance qui nous sépare du couple de trous noirs. Jusqu’à présent, les précédentes mesures par Chandra de paires ou de trios de trous noirs supermassifs en cours d’accrétion concernaient des objets beaucoup plus proches de la Terre, ou avec des séparations beaucoup plus grandes entre les objets. Il existe certes une exception avec l’observation d’un jet émettant des rayons X à une distance encore plus grande qui avait été observé, avec une lumière émise lorsque l'Univers n'avait que 7% de son âge actuel (1 milliard d’années après le Big B), mais l'émission de ce jet est séparée du trou noir par environ 160 000 années-lumière, donc 250 fois plus espacée que ce qui est observé ici dans le cas de B2016+112.

D’ailleurs, une analyse statistique spécifique du signal de cette lentille gravitationnelle a été produite dans le cadre de cette nouvelle étude et elle permet d’atteindre une résolution spatiale sur les sources qui est bien meilleure que ce qu’aurait pu obtenir Chandra sans la présence de la galaxie lentille. L'incertitude sur la position de l'un des objets de MG B2016+112 est de 130 années-lumière dans une dimension et de 2 000 années-lumière dans l'autre dimension. Cela signifie que la taille de la zone où la source est probablement située est plus de 100 fois plus petite que la zone correspondante pour une source typique déterminée par Chandra qui ne serait pas « lentillée ». Une telle précision dans la détermination de la position est inégalée en astronomie X pour une source à cette distance.

L’interprétation des signaux collectés, comme étant un couple de noyaux actifs galactiques, selon les chercheurs, paraît cohérente avec des observations spectroscopiques qui avaient été effectuées en 2001 sur cette même source et qui trouvait une différence dans les propriétés d’ionisation entre les sources A+B d’un côté et C de l’autre. Schwarz et ses collaboratrices estiment que les deux sources doivent être des quasars de type II, de faible luminosité, du fait d’une grande absorption intrinsèque des rayons X.

Dans les prochaines années, les grands relevés dans le domaine visible et radio avec SKA, Euclid ou l’observatoire Vera Rubin devraient trouver des milliers de lentilles gravitationnelles, avec pour certaines d’entre elles à coup sûr des noyaux actifs de galaxies et certainement d’autres systèmes doubles, de quoi espérer pouvoir observer l’étape finale de fusion de trous noirs supermassifs dans un Univers encore jeune…


Source

Resolving Complex Inner X-Ray Structure of the Gravitationally Lensed AGN MG B2016+112
Daniel Schwartz , Cristiana Spingola , et Anna Barnacka
The Astrophysical Journal 917 (10 august 2021)
https://doi.org/10.3847/1538-4357/ac0909


Illustration

Distribution du signal de rayons X de MG B2016+112 (NASA/CXC/M. Weiss; X-ray (inset): NASA/CXC/SAO/D. Schwartz et al.)

2 commentaires :

Jean-Paul a dit…

Bonjour
Questions sans doute naives : comment une dizaine de photons peuvent-il composer une image ? et comment les a-t-on comptés ?
Envoies-moi quelques photons ou plutôt quelques bite pour éclairer ma lanterne.
Et merci encore pour ton blog

Dr Eric Simon a dit…

au mieux, ils déclenchent 10 pixels sur le détecteur pixélisé, mais je pense que pour 10 photons, il y a moins de 10 pixels d'allumés, certains arrivant dans le même pixel. Le détecteur est suffisamment sensible pour détecter les photons énergétiques un par un.