vendredi 5 novembre 2021

Découverte de traces d'un impact de comète au Chili il y a environ 12000 ans

Il y a environ 12 000 ans, quelque chose a brûlé une vaste étendue du désert d'Atacama, au Chili, avec une chaleur si intense qu'elle a transformé le sol sablonneux en vastes plaques de verre silicaté. Aujourd'hui, une équipe de chercheurs qui étudie la distribution et la composition de ces verres est parvenue à une conclusion sur la cause de ce brasier : l'impact d'une comète. Une étude parue dans le journal Geology.

Peter  Schultz (Brown University) et ses collaborateurs états-uniens et chiliens ont étudié des échantillons de minéraux de la zone de Pica dans le désert de l'Atacama au nord du Chili. La zone se situe à l'est de la Pampa del Tamarugal, un plateau du nord niché entre la cordillère des Andes à l'est et la chaîne côtière chilienne à l'ouest. 
Ils ont trouvé des verres silicatés tordus et pliés, faisant jusqu'à 50 cm de diamètre. 

Selon Schultz et ses collaborateurs, rien ne prouve que les verres silicatés qui ont été trouvés aient pu être créés par l'activité volcanique. Une autre proposition parfois avancée est celle de vastes incendies de végétation. À l'époque du Pléistocène, il existait dans la région des oasis arborées et des zones humides herbeuses créées par les rivières qui s'étendaient depuis les montagnes à l'est, et il a été suggéré que des feux généralisés auraient pu brûler assez fort pour faire fondre le sol sablonneux en grandes plaques de verre. Mais la quantité de verre présente ainsi que plusieurs caractéristiques physiques clés font de simples feux un mécanisme de formation impossible, selon la nouvelle étude. Les verres montrent qu'ils ont été tordus, pliés, roulés et même probablement projetés alors qu'ils étaient encore en fusion. Ces caractéristiques correspondent à l'arrivée d'un gros météore et à une explosion aérienne, qui aurait été accompagnée de vents de la force d'une tornade.

Selon les chercheurs, la minéralogie du verre jette aussi un doute sérieux sur l'idée d'un feu d'herbe. Ils ont procédé à une analyse chimique détaillée de dizaines d'échantillons prélevés dans les dépôts de verre de la région. L'analyse a permis de découvrir des minéraux appelés zircons qui se sont décomposés thermiquement pour former de la baddeleyite. Cette transition minérale se produit généralement à des températures supérieures à 1500 K bien plus chaudes que celles qui pourraient être générées par des feux d'herbe.


Les chercheurs montrent aussi que les échantillons de verre qu'ils ont trouvés contiennent de minuscules fragments de minéraux que l'on trouve souvent dans les roches d'origine météoritiques. Ces minéraux correspondent même étroitement à la composition des matériaux ramenés sur Terre par la mission Stardust de la NASA, qui a échantillonné les particules de la comète Wild 2. L'analyse a en effet révélé des assemblages de minéraux exotiques que l'on ne trouve que dans les météorites et autres roches extraterrestres. Des minéraux spécifiques comme la cubanite, la troïlite et les inclusions riches en calcium et en aluminium correspondent aux signatures minérales d'échantillons de Wild 2. Observer la même minéralogie que celle des échantillons de Stardust est une preuve puissante d'une explosion cométaire.
L'équipe conclut donc que ces assemblages de minéraux sont probablement les restes d'une comète dont la composition est similaire à celle de Wild 2, qui se seraient déposés après l'explosion à basse altitude qui aurait fait fondre la surface sablonneuse située en dessous. C'est par ailleurs la première fois que nous avons des preuves de la présence sur Terre de verres créés par le rayonnement thermique et les vents d'une boule de feu ayant explosé juste au-dessus de la surface, autre qu'une bombe atomique. Et pour avoir un effet aussi spectaculaire sur une zone aussi étendue (75 km), l'explosion devait être très massive selon les géologues. Ils estiment même qu'a du avoir lieu une série d'explosions espacées de quelques secondes vus les modes dynamiques de mise en place des verres.

La datation provisoire situe l'impact ou les impacts à il y a environ 12000 ans, vers la fin du Pléistocène, ce qui coïncide au moment où a eu lieu une extinction massive de la mégafaune, les grands mammifères, en Amérique du Sud, une extinction dont on sait qu'elle a été plus sévère en Amérique du Sud que sur les autres continents.  Il est encore trop tôt pour dire s'il existe un lien de cause à effet ou non, mais c'est intriguant. C'est aussi l'époque correspondant à un changement climatique rapide dans l'hémisphère sud et l'époque où les premiers hommes chasseurs-cueilleurs venaient d'arriver dans la région, des Homo sapiens qui sont peut-être aussi responsables de la disparition de la mégafaune, et qui auraient pu assister au feu d'artifice... 

Des recherches plus approfondies restent à mener pour mieux contraindre la datation de l'impact du noyau cométaire, et surtout sa taille. 


Source

Widespread glasses generated by cometary fireballs during the late Pleistocene in the Atacama Desert, Chile 
Peter H. Schultz et al.
Geology (2 november 2021)

Illustrations

1. Schéma de la région de Pica où ont été observé les verres silicatés (Schultz et al.)
2. Photographie de la plaine s'étendant sur 75 km où sont trouvés les échantillons (Schultz et al.)

1 commentaire :

Tezcatlipoca a dit…

Bonsoir Doc',

Avant toute chose je souhaite vous remercier pour le formidable effort que vous faites, par l'intermédiaire de ce blog, pour nous donner en partage vos analyses de papiers souvent très pointus et couvrant principalement le large spectre des sciences physique et astronomique. Actif dans ce genre de forum, je donne souvent en lien votre blog lorsqu'il il traite de sujets concernant les discussions que nous ouvrons. C'est un véritable plaisir de vous lire, une vulgarisation sans concessions mais avec le souci constant de rester accessible à notre curiosité.

Je me permets de m'interroger sur l'exactitude de l'assertion contenu dans votre article, selon laquelle, je cite :

"C'est par ailleurs la première fois que nous avons des preuves de la présence sur Terre de verres créés par le rayonnement thermique et les vents d'une boule de feu ayant explosé juste au-dessus de la surface, autre qu'une bombe atomique."

Il me semble que nous avons au contraire d'assez nombreux exemples de trouvailles de ce types et, en ne s'en tenant qu'aux époques récentes où des humains auraient pu être témoins, ou victimes, de ses cataclysmes :

Ainsi du verre fondu est associé aux nombreux vestiges de la destruction de la cité de Tall el Hamman, il y a 3600 ans en Palestine :

https://www.nature.com/articles/s41598-021-97778-3

Et il y a environ 12 800 ans, en Syrie, sur le site de Abu Hureyra :

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7060197/

Tout cela reste assez accessoire, j'en conviens, et n'enlève rien (ou si peu) à l'intérêt de votre article. Je participais à des discussions, sur Astrosurf et sur Futura, dans lesquelles ces liens avaient été donnés récemment.

Cordialement.

Philippe alias Tezcatlipoca.