L'observation d'objets lentillés gravitationnellement variant dans le temps est difficile et rare. Les sursauts gamma (GRBs) offrent une bonne précision temporelle, complétant les observations des quasars et des supernovas. Aujourd'hui, une étude détaille l'observation d'un GRB vu deux fois à 33,3 s d'intervalle du fait d'une lentille gravitationnelle, dont on peut déduire la masse. L'étude est parue dans The Astrophysical Journal Letters.
Le taux de sursauts de rayons gamma qui subissent un effet de lentille gravitationnelle est très incertain, on l'estime à un sur 1000 au maximum. Le télescope spatial Fermi et son détecteur Gamma-ray Burst Monitor (GBM) a observé plus de 3100 GRBs, ce qui en fait l'instrument idéal pour découvrir les sursauts lentillés. Peter Veres (Université de l'Alabama) et ses collaborateurs ont repéré parmi toutes ces données un GRB pas comme les autres, GRB 210812A qui se trouve s'être répété à 33,3 s d'intervalle et avec un rapport de flux d'environ 4,5. Une analyse temporelle et spectrale exhaustive montre que les deux épisodes d'émission ont la même impulsion et la même forme spectrale.
Cette similarité est un indice fort pour une origine de lentille gravitationnelle. En modélisant la courbe de lumière, Veres et ses collaborateurs sont d'ailleurs encore d'avantage convaincus du scénario de lentille car elle est colle très bien pour les deux sursauts avec un sursaut unique.
La durée de la première occurrence du sursaut est de 5,31 ± 0,68 s et celle de la seconde de 3,84 ± 1.64 s. Elles sont donc cohérentes en durée à l'incertitude près. Selon les chercheurs, une telle durée est compatible avec ce qu'on appelle un GRB long (un collapse d'étoile massive) pour 87% mais ce pourrait aussi être un GRB court (une fusion d'étoiles à neutrons) avec une probabilité de 13%.
Dans le cas des modèles de lentilles simples, le rayon lumineux qui se déplace le plus près de la lentille arrive plus tard. Il a un grossissement plus faible que le premier rayon lumineux qui arrive avec le paramètre d'impact le plus grand (la plus faible déflection). Ici, la première impulsion est en effet visiblement plus brillante et donc conforme à ce que l'on attend d'une source lentillée.
Ensuite, en faisant l'hypothèse d'une lentille de masse ponctuelle, les chercheurs peuvent déduire la valeur la masse de l'objet qui est à l'origine de la lentille. Elle est d'environ 1,1 million de masses solaires. Dans une variante de lentille qui aurait une forme sphérique de rayon R et caractérisée par une certaine vitesse de dispersion, un modèle de lentille dit "sphérique isotherme singulière", qui serait typiquement rencontré avec un amas globulaire, les chercheurs trouvent une masse de 800 000 masses solaires pour un rayon de 10 pc et une vitesse de dispersion de 15 km/s. Les deux valeurs sont très proches.
Pour Veres et ses collaborateurs, il est difficile de déterminer la nature de la lentille qui a produit les deux sursauts visibles de GRB 210812A. Pour eux, les objets possibles dont ils explorent la possibilité incluent un trou noir et un amas globulaire. Des populations d'objets peuvent en tous cas d'ores et déjà être exclues sur la base de leur densité et de leur contribution à la probabilité totale de lentille. Pour un à trois événements de lentille et compte tenu du nombre total de GRB détectés par Fermi-GBM, supérieur à 3100, le taux de lentille est compris entre 3 et 9 10-4.
Une masse de trou noir de 106 M⊙ se situe à l'extrémité inférieure de la population des trous noirs supermassifs avec des masses mesurées et à l'extrémité supérieure de la population de trous noirs de masse intermédiaire. En l'absence d'observations détaillées de contreparties, il est difficile de savoir à quel groupe appartient la lentille de GRB 210812A. Les amas globulaires sont également de bons candidats pour les lentilles, et leurs masses peuvent effectivement atteindre le million de M⊙ . Or une étude récente (Paynter et al., 2021) a constaté que les amas globulaires dont la masse est inférieure d'un facteur 10, ∼ 105 M⊙ , n'existent pas en nombre suffisant pour produire le taux de GRBs lentillés observé. Comme ici il faudrait des amas globulaires plus massifs, Veres et ses collaborateurs penchent quand même plutôt vers une lentille de type ponctuelle, donc un trou noir supermassif. Ils déclarent la solution amas globulaire "provisoirement exclue", jusqu'à preuve du contraire... Pour une affirmation plus définitive sur la nature de la lentille qui a dédoublé GRB 210812A dans l'espace-temps, les chercheurs s'en remettent à de futures observations à haute résolution qui pourraient peut-être déceler la faible lumière rémanente du sursaut gamma, elle aussi dédoublée.
Source
Fermi-GBM Observations of GRB 210812A: Signatures of a Million Solar Mass Gravitational Lens
P. Veres et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 921, Number 2 (4 november 2021)
Illustration
Signal gamma de GRB 210812A mesuré par Fermi-GBM (P. Veres et al.)
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