Pour la première fois, un trou noir stellaire a été détecté dans un jeune amas d'étoiles, et qui plus est en dehors de notre galaxie, dans le Grand Nuage de Magellan. Il a été détecté grâce aux mouvements d'une étoile compagne grâce au Very Large Telescope de l'ESO. L'étude est publiée dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.
Sara Saracino (Université de Liverpool) et ses collaborateurs ont repéré ce trou noir dans un très jeune amas d'étoile nommé NGC 1850, qui est situé à environ 160 000 années-lumière dans le Grand Nuage de Magellan, une galaxie satellite de la Voie lactée. NGC 1850 est aussi un amas d'étoiles massif puisqu'il fait pas moins de 100 000 masses solaires. Les chercheurs ont mesuré finement la vitesse des étoiles de l'amas pour déceler une éventuelle anomalie dynamique qui pourrait être expliquée par la présence proche d'un astre compact invisible. Ils ont exploité l'instrument MUSE (Multi Unit Spectroscopic Explorer) monté sur le VLT de l'ESO ce qui permet d'observer des zones très encombrées, comme les régions les plus internes des amas stellaires, en analysant la lumière de chaque étoile mais sur des milliers d'étoiles en une seule fois. MUSE permet de mesurer 10 fois plus de vitesses radiale d'étoiles qu'avec n'importe quel autre instrument Ils ont effectivement observé une étoile massive (4,9 masses solaires) qui avait un comportement dynamique anormal pour une étoile située à 4,47 pc du centre de l'amas dont le rayon effectif est de 4,97 pc. Sa vitesse radiale montre des variations supérieures à 300 km/s, ce qui ne s'explique que par la présence d'un astre compact compagnon invisible, un trou noir.
Les chercheurs ont ensuite utilisé d'autres télescopes comme le télescope spatial Hubble et OGLE pour déterminer la masse du trou noir et l'inclinaison de l'orbite du couple. Ils trouvent que le trou noir qu'ils ont nommé NGC1850 BH1 est un objet massif, plus massif encore que son étoile compagne puisqu'il fait 11,1 ± 2,4 masses solaires. Sous l'hypothèse d'un système binaire semi-détaché, la modélisation des courbes de vitesse radiale et de lumière donne une inclinaison orbitale de la binaire de 38 ± 2°. La période orbitale du couple n'est que de 5,04 jours. Les astrophysiciens estiment le demi grand-axe de l'orbite, qui est quasi circulaire, donc on pourrait dire le rayon, à 31,2 rayons solaires, qu'on peut même exprimer en kilomètres : 21,726 millions de kilomètres., ou si on préfère 6,9 fois moins que la distance Terre-Soleil, ou encore, 2 fois moins que la distance Soleil-Mercure! L'étoile compagne est si proche du trou noir qu'elle commence à remplir son lobe de Roche et à se déformer sous l'action de la gravitation.
Pour compléter leurs observations, Saracino et ses collaborateurs ont recherché la présence de rayons X dans les données archivées du télescope spatial Chandra. L'analyse des données a révélé une source faible mais "marginalement fiable" à l'emplacement du système binaire, comme disent les chercheurs. Ce niveau de signal extrêmement faible (2,7 photons détectés à 0,64 keV!), correspondrait à une luminosité en rayons X de 1033 erg/s, ce qui serait cohérent avec la présence d'un trou noir dans un état quiescent.
Les futures études de la dynamique de l'amas ainsi que de la chimie des étoiles secondaires aideront à éclaircir l'origine de ce trou noir binaire (primordial ou formé dynamiquement). Concernant le destin de la binaire, il est assez incertain selon Saracino et ses collaborateurs. Une fois que l'étoile aura quitté la séquence principale et qu'elle se mettra à gonfler fortement, il y aura un transfert de masse stable vers le trou noir et donc une émission de rayons X significative. Le transfert de masse s'achèvera probablement lorsque la majeure partie de l'enveloppe d'hydrogène de l'étoile donneuse aura été soit transférée vers le trou noir, soit perdue, laissant alors un noyau d'étoile He.
Si c'est le cas, elle connaîtra probablement une autre phase de transfert de masse (et d'émission de rayons X associée) lorsque l'étoile brûlera l'hélium de son noyau, pour finir comme un système binaire trou noir + naine blanche.
En résumé, il s'agit donc de la première détection dynamique directe d'un trou noir dans un jeune amas massif. Les quelques autres détections de ce type avaient été obtenues dans des vieux amas globulaires, de typiquement 12 milliards d'années. Cette nouvelle observation dans un amas très jeune à l'échelle cosmologique ouvre la possibilité d'étudier la fonction de masse initiale et l'évolution dynamique précoce de tels objets compacts dans des environnements à haute densité stellaire. L'étude des caractéristiques démographiques des trous noirs dans les amas d'étoiles devrait notamment améliorer notre compréhension de l'origine des sources d'ondes gravitationnelles qui sont détectées par les interféromètres laser, et pourquoi les trous noirs qui sont détectés par leurs collision ont la masse qu'ils ont, et qui était inattendue par les spécialistes.
Même si la méthode des vitesses radiales utilisée ici n'est pas sensible aux binaires constituées de deux composantes non lumineuses (comme les binaires trou noir-étoile à neutron ou trou noir-trou noir), qui sont les principaux émetteurs d'ondes gravitationnelles, des études similaires sont néanmoins cruciales pour d'une part comprendre toutes les phases d'évolution entre une étoile binaire massive et un trou noir binaire et d'autre part dévoiler la population de trous noirs dans les amas massifs, qui restent leur lieu de résidence le plus probable dans l'Univers en raison des fréquentes rencontres dynamiques qui s'y passent, et où les fusions de trous noirs peuvent se faire en cascade.
Source
A black hole detected in the young massive LMC cluster NGC 1850
Sara Saracino et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, stab3159 (11 November 2021)
Illustrations
1. L'amas NGC 1850 imagé par Hubble (ESA, NASA and Martino Romaniello (ESO)
2. Vue d'artiste du couple binaire dans l'amas NGC 1850 (ESO)
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