L'origine de la très faible luminosité d'Uranus est inconnue, tout comme la source de la dissipation de marée interne qui est requise pour expliquer les orbites de ses lunes. Des planétologues trouvent que la phase de l'eau sous sa forme solide dans les couches d'Uranus possède une grande viscosité, contrairement à ce que l'on estimait, une viscosité à même d'expliquer le flux thermique anormalement bas de la planète glacée via l'existence d'un noyau de glace en croissance. L'étude est publiée dans The Planetary Science Journal.
Lars Stixrude (Université de Californie) et ses collaborateurs italiens rappellent que la majeure partie de l'intérieur d'Uranus se trouve en dessous de la température de solidification de H2O. Dans Uranus, l'eau est superionique, c'est à dire que les atomes d'hydrogène et d'oxygène forment des sous-réseaux entrelacés. Les chercheurs ont déterminé la conductivité thermique et d'autres propriétés de l'eau superionique avec un modèle d'évolution thermique qui tient compte de la chaleur piégée dans un noyau gelé en croissance. Ils montrent qu'une viscosité élevée permet de piéger la chaleur dans l'intérieur profond de la planète tout en fournissant une source de dissipation par effet de marée. Le noyau gelé doit croître avec le temps selon la modélisation car sa limite extérieure est régie par la transition de phase (solidification de l'eau) plutôt que par une stratification de la composition.
D'autre part, les forces de marée exercées par les satellites sur leur planète font qu'ils s'éloignent, comme c'est le cas de la Lune avec la Terre aujourd'hui. Le taux de recul dépend des propriétés de la planète, notamment de la dissipation résultant de la déformation due aux marées, mesurée par l'inverse du facteur de qualité nommé Q. Le taux de récession dépend également de la masse et du rayon orbital du satellite ; différentes lunes reculent différemment, et des paires de lunes aussi peuvent rencontrer des résonances qui peuvent conduire à des instabilités orbitales. la valeur de Q, a été déterminée dans une étude récente : 15 000 < Q < 20 000 (Cuk et al. 2020). La valeur requise est donc beaucoup plus petite que ce que l'on pourrait attendre de la dissipation de marée due à la viscosité turbulente dans une planète fluide (Q ∼ 10 000 milliards). Les modèles actuels de l'évolution thermique d'Uranus, parce qu'ils sont sans viscosité, sont donc incapables de satisfaire simultanément les contraintes imposées par la dissipation de marée et la luminosité.
Le modèle d'évolution thermique de Stixrude et ses collaborateurs prédit, lui, non seulement la bonne luminosité du fait du piégeage thermique du noyau solidifié, mais également une certaine dissipation de marée variable dans le temps, qui correspond tout à fait aux exigences des orbites de Miranda, Ariel et Umbriel.
Il a souvent été supposé que l'intérieur d'Uranus était entièrement fluide, mais aucune observation actuelle n'exige que ce soit le cas. Et un intérieur entièrement fluide est en contradiction avec des observations expérimentales que la température de solidification de H2O est beaucoup plus élevée que les températures intérieures d'Uranus. Stixrude et ses collaborateurs ont montré que la phase solide stable de l'eau est sa phase superionique, qui a une grande viscosité dominée par le sous-réseau d'oxygène.
Comme la taille du noyau gelé est dictée par les équilibres de phase plutôt que par des couches de composition, la partie solidifiée de la planète croît avec le temps. Sur la base de la détermination des propriétés physiques et des équilibres de phase, le modèle d'évolution thermique prédit que le noyau gelé se forme après 0,8 milliards d'années et croît jusqu'à occuper aujourd'hui les deux tiers du rayon de la planète.
Les prédictions de Stixrude et ses collaborateurs sont testables par des futures missions spatiales, notamment par la mesure du nombre de Love de marée d'Uranus et des caractéristiques des orbites de ses lunes.
Source
Thermal and Tidal Evolution of Uranus with a Growing Frozen Core
Lars Stixrude et al.
The Planetary Science Journal, Volume 2, Number 6 (3 november 2021)
Illustration
Uranus imagée par Voyager 2 (NASA/JPL-Caltech)
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