lundi 30 janvier 2023

Détection d'un brutal ralentissement du magnétar SGR 1935 +2154


Le 5 octobre 2020, le magnétar SGR 1935 +2154 a brutalement ralenti sa rotation. Et quelques jours plus tard, il a brusquement commencé à émettre des ondes radio de type FRB. Une équipe de chercheurs a pu tester une nouvelle théorie sur la cause possible du ralentissement rare, ou "anti-glitch", de SGR 1935 +2154. L'étude est parue dans Nature Astronomy.

SGR 1935 +2154 est une étoile à neutrons isolée qui affiche une émission de rayons X pulsée à une fréquence de rotation ν  ≈ 0,308 Hz (une période de 3,25 s) tout en ralentissant à une vitesse nominale d'environ −1,4 × 10−12  Hz s−1. Attribuées au freinage magnétique dipolaire, ces propriétés de rotation impliquent une intensité de champ magnétique dipolaire B  de 2,2 × 1014  G à l'équateur et un âge de ralentissement τ  ≈ 3600 ans. SGR 1935 +2154 est également un érupteur X prolifique, capable d'afficher en quelques minutes des centaines de sursauts de rayons X brillants d'une durée de quelques milliseconde. SGR 1935 +2154 appartient au petit groupe d'étoiles à neutrons isolées appelées magnétars, pour lesquelles le champ magnétique très puissant alimente leurs nombreuses caractéristiques d'émission. Le 28 avril 2020, au cours d'une période d'intense activité de sursaut de rayons X, SGR 1935 +2154 a émis deux sursauts radio rapides (FRB) avec une luminosité proche des FRB extragalactiques. Cette découverte majeure du premier FRB dans notre galaxie a fourni la preuve de la nature de la source d'au moins certains FRB. Depuis cette date, ce magnétar est surveillé quasi quotidiennement, à la fois dans le domaine des rayons X et des ondes radio. 
George Younes (Washington University) et ses collaborateurs ont utilisé les données de rayons X des télescopes spatiaux XMM-Newton de l'ESA et NICER de la NASA pour analyser la rotation du magnétar. Ils montrent que le ralentissement soudain d'une amplitude relative de 5,8 10-6 aurait pu être causé par une rupture semblable à un volcan à la surface de l'étoile qui a craché un "vent" de particules. Younes et ses collaborateurs montrent comment un tel vent peut modifier les champs magnétiques de l'étoile, engendrant les conditions susceptibles d'activer les émissions radio qui ont ensuite été mesurées par le radiotélescope chinois FAST. Les données suggèrent que la rupture de la croûte aurait très probablement eu lieu au niveau ou à proximité du pôle magnétique de l'étoile. Rappelons que les magnétars sont des étoiles à neutrons qui présentent les champs magnétiques les plus intenses de l'univers. Les magnétars émettent un rayonnement intense, y compris des rayons X et occasionnellement des ondes radio et des rayons gamma. La période de rotation des magnétars change généralement lentement, prenant des dizaines de milliers d'années pour ralentir d'un tour par seconde. Ce que les spécialistes appellent un "glitch", c'est une augmentations brusque de la vitesse de rotation qui est le plus souvent causée par des changements soudains au plus profond de l'étoile à neutrons. Dans la plupart des glitches, la période de rotation devient plus courte, ce qui signifie que l'étoile tourne un peu plus vite qu'avant. Avec le temps, les couches externes magnétisées de l'étoile ralentissent, mais pas le noyau interne non magnétisé. Cela conduit à une accumulation de contraintes à la frontière entre ces deux régions, et un glitch signale un transfert soudain d'énergie de rotation du noyau à rotation plus rapide vers la croûte à rotation plus lente. 
En revanche, les ralentissements brusques de rotation des magnétars, comme celui observé le 5 octobre, qui sont appelés des "anti-glitches", sont très rares. En comptant celui-là, les astrophysiciens n'en ont enregistré que trois. Alors que les glitches peuvent être expliqués par des changements à l'intérieur de l'étoile, les anti-glitches ne le peuvent pas. La théorie actuelle est basée sur l'hypothèse qu'ils sont causés par des changements à la surface de l'étoile et dans l'espace qui l'entoure. Younes et ses collaborateurs ont construit un modèle de vent piloté par un volcan pour expliquer les résultats mesurés de l'anti-glitch d'octobre 2020. Le modèle n'utilise que la physique standard, en particulier les changements de moment cinétique et la conservation de l'énergie, pour tenir compte du ralentissement de la rotation.
Un vent de particules puissant et massif émanant de l'étoile pendant quelques heures pourrait établir les conditions de l'augmentation de la période de rotation. Les calculs ont montré qu'un tel vent aurait également le pouvoir de modifier la géométrie du champ magnétique à l'extérieur de l'étoile à neutrons. La rupture de la croûte pourrait être une formation volcanique, car les propriétés générales de la pulsation des rayons X nécessitent que le vent soit lancé à partir d'une région localisée à la surface. 
Ce qui est surtout très intéressant, c'est qu'à peine 3 jours après le 5 octobre 2020, il y a eu trois sursauts radio rapides provenant de ce magnétar, ainsi qu'une activation d'émissions radio pulsées et éphémères peu de temps après qui ont duré un mois. Mais Younes et ses collaborateurs ne voient en revanche aucun changement dans le comportement des rayons X thermiques ou magnétosphériques de surface persistants de la source, et il n'y a pas non plus de preuve de forte activité d'éruption de rayons X. 
C'est la première fois que nous voyons l'allumage radio d'un magnétar presque contemporain d'un anti-glitch. Pour les chercheurs, cette coïncidence temporelle suggère que les émissions X de type "anti-glitch" et radio ont été causées par le même événement. L'interprétation du rejet impulsif de plasma crustal près du pôle magnétique, qui génère un vent qui balaye les lignes de champ magnétique permet de comprendre pourquoi l'émission radio apparaît, puisque cela permettrait à la fois de réduire rapidement le moment cinétique de l'étoile à neutrons et en même temps de suffisamment altérer la géométrie des champs magnétiques pour que la création de paires de particules/antiparticules puisse produire l'émission radio observée. Younes et ses collègues calculent que la quantité de matière ainsi expulsée devrait avoir au maximum une masse de 0,1 milliardième de la masse de l'étoile à neutrons. 
De tels vents puissants sont bien connus pour façonner les champs magnétosphériques pour devenir presque radiaux. La grande perte de masse du vent implique dans ce cas qu'il provient de la surface stellaire, probablement lié à des réarrangements structurels souterrains dans la croûte externe et ses champs intégrés. Au fur et à mesure que le vent diminue, les lignes de champ torsadées et courbes se rétablissent à leur configuration de pré-glitch de sorte que la création de paires se retrouve supprimée, éteignant probablement le signal radio. Mais de tels ajustements de géométrie de champ ne sont pas suffisants pour modifier l'émission X thermique de surface.
Ces résultats très intéressants qui ouvrent de nouvelles perspectives à la fois dans l'étude des magnétars et dans l'étude de l'origine des FRB, mettent aussi en évidence la nécessité d'études théoriques plus approfondies sur la morphologie du champ associée à la charge de plasma magnétosphérique et son évolution via la dissipation ohmique, en lien avec l'opacité des rayons gamma et les considérations de création de paires, afin de démêler les conditions physiques et les mécanismes qui sont responsables des sursauts rapides de type FRB ainsi que de l'émission radio pulsée (moins rapide) qui semble exister dans les magnétars.

Source

Magnetar spin-down glitch clearing the way for FRB-like bursts and a pulsed radio episode
George Younes et al.
Nature Astronomy (12 january 2023)

Illustration 

Vue d'artiste d'un magnétar éruptif (NASA’s Goddard Space Flight Center)

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