Une équipe internationale a utilisé les observations du télescope spatial James Webb pour obtenir une vue inédite d'un nuage interstellaire dense. Ces observations révèlent la composition de glaces de l'univers primitif, fournissant de nouvelles informations sur les processus chimiques de l'un des endroits les plus froids de l'univers ainsi que sur les origines des molécules qui composent les atmosphères planétaires. L'étude est parue dans Nature Astronomy.
La nouveauté de ces observations est qu'elles concernent des molécules de glaces qui existent sur des grains de poussière situés dans les régions les plus sombres des nuages moléculaires interstellaires. Ces nuages sont si denses que ces glaces ont été pour la plupart protégées du rayonnement violent des étoiles proches, elles sont donc relativement vierges. Melissa McClure (université de Leiden) et ses collaborateurs fournissent les premiers résultats du programme "Ice Age" qui entre dans le cadre du programme Early Release Science du télescope Webb. Ils révèlent la riche composition de ces glaces dans le nuage moléculaire dense Chameleon I. Ils ont pour cela observé les spectres infra-rouges de deux étoiles situées derrière ce nuage dense (NIR38 et J110621) pour en extraire les raies d'absorption caractéristiques de nombreuses molécules. On y trouve notamment les glaces de CO2 , OCN- , CO, OCS, SO2 et les groupes fonctionnels de molécules organiques complexes comme CH3OH, NH3, NH4. Le profil des glaces de 12CO2 indique une croissance modeste des grains glacés. Les densités des espèces majeures et mineures indiquent que les glaces contribuent entre 2 % et 19 % des bilans des éléments clés C, O, N et S. Les résultats suggèrent donc que la formation de molécules simples et complexes pourrait commencer tôt dans un environnement riche en glace d'eau.
Les chercheurs estiment que les molécules détectées correspondent aux premières glaces qui se sont formées et ils notent qu'elles contiennent des éléments biogéniques, qui sont importants pour la vie. Ces observations fournissent de nouvelles informations sur les processus chimiques dans l'un des endroits les plus froids et les plus sombres de l'univers pour mieux comprendre les origines moléculaires des disques protoplanétaires, des atmosphères planétaires et d'autres objets du système solaire.
La plupart des glaces interstellaires contiennent de très petites quantités d'éléments comme l'oxygène et le soufre. McClure et ses collaborateurs remarquent aussi que les glaces détectées grâce au spectromètre NIRSpec, l'imageur NIRCam ainsi que l'instrument MIRI du JWST sont pauvres en soufre, alors qu'on pouvait s'attendre à en trouver beaucoup plus.
La prise en compte de la quantité de C, O, N et S dans les glaces est essentielle pour déterminer le bilan global de volatils dans les systèmes stellaires et planétaires qui se formeront dans ce nuage moléculaire. En comparant les densités de colonne des glaces détectées pour les deux étoiles NIR38 et J110621 avec les abondances cosmiques attendues pour C, O, N et S, McClure et son équipe voient au plus 19 % des budgets totaux d'O et de C, 13 % du budget total de N, et seulement 1% du budget du Soufre dans ce nuage dense.
Ces chiffres sont similaires à ce qui a été rapporté précédemment pour les protoétoiles mais ce qui est nouveau ici, c'est qu'on peut retracer les budgets de ces éléments jusqu'à leurs conditions initiales dans des nuages denses. Selon les chercheurs, les quantités manquantes doivent être constituées d'espèces réfractaires, notamment des silicates et des carbones amorphes, ou d'autres glaces telles que N2 qui ne présentent pas de caractéristiques spectrales aux longueurs d'onde étudiées.
Il apparaît en revanche qu'au plus 46 % et 33 % du gaz CO disponible a gelé dans les glaces vers NIR38 et J110621, respectivement. Bien que NIR38 échantillonne une colonne totale de poussière plus petite, sa ligne de visée semble passer plus près de la protoétoile. Selon les chercheurs, si cette région contient de la poussière localement plus dense ou plus froide, cela pourrait expliquer la plus grande fraction de CO total qui est gelée sur les grains.
Une modélisation détaillée pour quantifier la taille, la forme et la porosité maximales des grains de ces glaces est déjà prévue par Melissa McClure dans un futur travail annoncé. Une analyse plus approfondie des voies de réaction et des abondances relatives de glaces nécessite à la fois une modélisation chimique et de futures observations de nuages moléculaires. Des observations moléculaires complémentaires en phase gazeuse confirmeront notamment dans quelle mesure le CO s'est gelé dans cette région. Les astrophysiciens ont déjà obtenu des centaines de spectres de glace dans la même région de Chameleon I avec les nouvelles capacités multi-objets de NIRCam. En combinant ces ensembles de données, la sensibilité exceptionnelle, la résolution spectrale et la couverture de longueur d'onde de Webb permettent désormais de sonder pleinement les conditions initiales de toutes les principales glaces dans les noyaux de nuages moléculaires, juste avant leur effondrement pour former des protoétoiles.
Source
An Ice Age JWST Inventory of dense moleculen cloud ices
Melissa McClure et al.
Nature Astronomy (23 january 2023)
Illustrations
1. Le nuage moléculaire dense Chameleon I imagé par le télescope Webb (NASA / ESA / CSA / M. Zamani/M. K. McClure)
2. Spectres mesurés par NIRSpec et MIRI sur l'étoile NIR38 révélant la présence de nombreuses molécules dans le nuage de gaz en avant plan. (NASA / ESA / CSA / M. Zamani/M. K. McClure)
Aucun commentaire :
Enregistrer un commentaire