samedi 18 février 2023

Découverte d'astéroïdes qui se prennent pour des comètes


Des astrophysiciens ont publié au début du mois la découverte d'une accélération non-gravitationnelle d'un astéroïde géocroiseur nommé (523599) 2003 RM, elle a été suivie il y a quelques jours d'une seconde publication qui annonce la découverte du même phénomène sur 6 autres petits astéroïdes. Un dégazage de type cométaire pourrait être en jeu... Les études sont publiées dans The Planetary Science Journal.

En raison de son orbite, 2003 RM connaît des apparitions d'observation favorables tous les 5 ans. Depuis sa découverte, 2003 RM a été largement suivi avec des instruments au sol en 2003, 2008, 2013 et 2018. Davide Farnocchia (Jet Propulsion Laboratory) et son équipe ont ainsi analysé l'évolution de la position de l'astéroïde dans le temps et ils ont constaté que les positions observées du plan du ciel ne peuvent pas être expliquées avec une trajectoire purement induite par la gravitation. L'inclusion d'une accélération transversale non gravitationnelle permet en revanche aux chercheurs de faire correspondre toutes les données d'observation, mais il y a un petit problème : la magnitude de cette accélération additionnelle est incompatible avec les perturbations typiques des astéroïdes telles que l'effet Yarkovsky ou la pression de radiation solaire. L'effet Yarkovsky est un effet thermique : lors de l'orbite d'un astéroïde autour du Soleil, un de ses côtés est plus illuminé que l'autre, il aura une insolation asymétrique et son côté plus chaud va émettre plus de photons infra-rouges que son côté froid, mais pas instantanément, il y aura un certain délai par rapport au moment de l'insolation. La pression de radiation, quant a elle, produit un effet immédiat de pression du rayonnement direct du Soleil. L'effet de cette émission infra-rouge asymétrique ou de cette absorption des photons de toutes longueurs d'ondes par la surface de l'astéroïde doit finalement produire une force de réaction qui se traduit par une accélération dite non gravitationnelle.  
Comme ces effets ne permettent pas d'expliquer le mouvement de 2003 RM, Farnocchia et ses collaborateurs ont étudié la possibilité que les déviations orbitales soient dues à une approche rapprochée ou à une collision avec un autre astéroïde, mais ils rejettent cette hypothèse très peu probable. Ils en arrivent alors à l'hypothèse que cette accélération anormale pourrait être causée par un dégazage de type cométaire, mais invisible. La recherche détaillée de preuves d'activité cométaire avec des observations profondes du télescope Pan-STARR (Panoramic Survey Telescope and Rapid Response System) et du Very Large Telescope ne révèle aucune production de poussière détectable. Mais le meilleur modèle de sublimation d'eau ajusté aux observations permet de produire une augmentation de luminosité dû à l'activité qui serait cohérente avec la dispersion des données. Les chercheurs estiment alors le taux de production nécessaire du dégazage de H2O pour alimenter l'accélération anormale et ils  trouvent que, en supposant un diamètre de 300 m, 2003 RM nécessiterait un dégazage de 1023 molécules.s−1 au périhélie (environ 3 g.s-1).

Davide Farnocchia et ses collaborateurs montrent qu'à partir de l'histoire dynamique récente de 2003 RM, on sait que l'objet provient très probablement de la ceinture d'astéroïdes principale médiane à externe (avec une probabilité d'environ 86%) par opposition à la région des comètes de la famille Jupiter (une probabilité d'environ 11%). Il ne s'agirait donc pas d'un noyau cométaire mais d'un astéroïde, mais qui se comporterait comme une comète, pour une raison encore inconnue. 
Pour comparaison, la limite supérieure du dégazage d'eau des comètes de la ceinture principale près du périhélie se situe entre 1024 et 1026 molécules.s−1 (10 à 100 fois plus élevé). Avec les informations actuellement disponibles, la nature de 2003 RM reste donc une énigme, et pour les chercheurs il n'est pas clair si l'objet doit être considéré comme un astéroïde ou une comète, ou bien comme une nouvelle classe de petit corps dans le système solaire. On se souvient que le premier objet interstellaire découvert, 1I/'Oumuamua, avait également une accélération non gravitationnelle significative mais pas de coma. Des observations supplémentaires de 2003 RM vont être nécessaires pour comprendre l'origine des grandes perturbations non gravitationnelles qui sont détectées, et elle pourraient à leur tour aider à mieux comprendre la nature de 'Oumuamua. 

Et il s'avère que cette découverte sur 2003 RM a très vite été rejointe par d'autres observations du même type, rapportées une semaine plus tard dans le même journal de planétologie, et par certains chercheurs de cette même équipe. Darryl Seligman (Cornell university) et ses collaborateurs (dont Davide Farnocchia) annoncent en effet la découverte d'accélérations non-gravitationnelles dans 6 autres astéroïdes d'un coup, des petits astéroïdes qui sont proches de la Terre. Ils ont observé des accélérations non gravitationnelles statistiquement significatives dans des données astrométriques des astéroïdes 1998 KY26 , 2005 VL1, 2016 NJ33, 2010 VL65, 2016 RH120 et 2010 RF12, tous de petite taille, comprise entre 3 et 16 m. Là encore, les amplitudes des accélérations non gravitationnelles sont supérieures à celles qui seraient induites par l'effet Yarkovsky, et selon les chercheurs, il n'existe pas d'effet non radial basé sur le rayonnement qui puisse être aussi important. Ils émettent donc l'hypothèse que ces accélérations soient entraînées par un dégazage et calculent le taux de production de H2O pour chaque objet. Seligman et ses collaborateurs essayent surtout de concilier l'accélération induite par un dégazage avec l'absence de coma visible et l'absence d'activité photométrique, qui signifient l'absence de poussière de surface et de faibles niveaux de production de gaz. Bien que ces objets soient petits et que certains tournent rapidement, les forces de cohésion de surface sont plus fortes que les forces de rotation, et une rotation rapide ne peut pas à elle seule expliquer l'absence étonnante de poussière de surface. 
Les chercheurs expliquent toutefois qu'il est possible que la poussière de surface ait été éliminée auparavant, peut-être via une activité de dégazage qui aurait augmenté les taux de rotation jusqu'à leur valeur actuelle. Ils calculent ainsi des taux de production de poussière associée de l'ordre de 10−4 g.s−1 dans chaque objet, en supposant que les noyaux sont nus aujourd'hui. Cette production correspond à des variations de luminosité de l'ordre de 0,0025%, ce qui est indétectable dans les données photométriques existantes. Si l'absence de poussière de surface est due à un dégazage d'eau qui pourrait expliquer l'accélération observée, on ne peut malheureusement pas le prouver avec nos données actuelles. 
Bien que la nature de ces astéroïdes reste incertaine, un mécanisme de dégazage pourrait donc expliquer de manière plausible l'accélération non gravitationnelle qui est observée sans produire de coma de poussière visible. Cela pourrait être dû à la petite taille des corps, selon les chercheurs, ce qui implique que des taux de production de gaz relativement faibles seraient nécessaires pour expliquer les accélérations, et ensuite, que les noyaux peuvent ne pas avoir de poussière de surface, probablement en raison du nettoyage continu du dégazage.
Pour les objets qui ont perdu leur poussière de surface, la seule contribution à l'activité de la poussière serait l'entraînement de la poussière depuis le sous-sol lors de la sublimation de la glace. Sur la base des taux de production de gaz déduits pour les corps, Seligman et ses collaborateurs montrent que la production de poussière par entraînement est extrêmement faible et bien en deçà des limites d'observation.
Des observations de suivi seront donc essentielles pour comprendre la nature de ces objets inhabituels, potentiellement membres d'une nouvelle classe d'objets que Seligman et ses collaborateurs surnomment des "comètes sombres" ("dark comets"). Les astrophysiciens estiment que des observations spatiales à rapport signal/bruit élevé dans l'infrarouge proche et moyen pourraient être sensibles à l'activité de dégazage de H2O, CO2 et CO même en l'absence de particules de poussière micrométriques. Ils pensent évidemment à des observations avec le télescope spatial Webb. Il pourrait révéler si les accélérations non gravitationnelles sont dues à un dégazage de volatils (H2O, CO2 ou CO notamment) ou bien si un nouveau mécanisme est nécessaire pour expliquer les propriétés particulières de ces astéroïdes. Par chance, parmi ces 6 astéroïdes, 1998 KY26 est la cible de la mission étendue de la sonde japonaise Hayabusa2 qui l'atteindra en juillet 2031, et il présente une géométrie de visualisation qui sera favorable pour Webb avant 2025. On pourrait donc en savoir beaucoup plus dans les années qui viennent. 

Sources

(523599) 2003 RM: The Asteroid that Wanted to be a Comet
Davide Farnocchia et al.
The Planetary Science Journal, Volume 4, Number 2 (9 février 2023)

Dark Comets? Unexpectedly Large Nongravitational Accelerations on a Sample of Small Asteroids
Darryl Z. Seligman et al.
The Planetary Science Journal, Volume 4, Number 2 (15 février 2023)


Illustrations

1. Modèle 3D de 1998 KY26 (NASA's JPL Digital Image Animation Laboratory)
2. Evolution de la luminosité de 2003 RM au cours du temps et ajustement avec le modèle de dégazage d'H20 (Farnocchia et al.)

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