dimanche 5 février 2023

Quand une étoile naissante engendre d'autres naissances


Une équipe d'astrophysiciens japonais révèle les subtils mécanismes de rétroaction qui apparaissent lors de la naissance des étoiles. L'imagerie à haute résolution obtenue grâce à ALMA montre une étoile en train de naître qui éjecte de la matière et perturbe son environnement proche, facilitant la naissance d'autres étoiles dans le nuage de gaz. L'étude a été acceptée pour publication dans The Astrophysical Journal

Les protoétoiles se forment par l'effondrement de noyaux denses de gaz et de poussière. Dans le même temps, une partie de la matière peut être éjectée par la protoétoile. Ce phénomène est appelé écoulement moléculaire et présente une structure bipolaire et collimatée. L'extension de l'écoulement moléculaire peut être plus d'un million de fois plus grande que la taille de la protoétoile. D'ailleurs, ces écoulements sont beaucoup plus faciles à trouver que la protoétoile compacte elle-même, et la recherche d'écoulements moléculaires peut être un outil puissant pour explorer les lieux de naissance des protoétoiles. On sait que la majorité des étoiles se forment avec d'autres étoiles dans un environnement encombré pour former des amas. Des études théoriques prédisent que les écoulements au sein d'un amas de formation d'étoiles jouent un rôle important et peuvent eux-mêmes déclencher (ou du moins faciliter) une activité de formation d'étoiles supplémentaire. Alternativement, la formation d'étoiles en cours pourrait aussi être perturbée par des écoulements moléculaires voisins. Bien que la formation d'étoiles dans un environnement d'amas soit courante, les études observationnelles qui résolvent spatialement les protoétoiles individuelles au sein de l'amas sont encore limitées car les sources cibles sont situées relativement loin de nous. 
Mais Asako Sato (Université de Kyushu) et ses collaborateurs ont réussi ce petit exploit en exploitant ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) qui est l'un des instruments les plus puissants pour résoudre les distributions de gaz et de poussière et révéler ainsi les processus complexes de formation d'étoiles dans les amas en construction. Les chercheurs ont observé les régions FIR 3 et FIR 4 du nuage moléculaire d'Orion nommé OMC-2. OMC-2 est l'une des régions de formation d'étoiles les plus proches, située à une distance de 1400 années-lumière dans la constellation d'Orion. Ils ont étudié la distribution spatiale de la poussière et du monoxyde de carbone (CO) ainsi que du monoxyde de silicium (SiO).
La poussière est l'un des matériaux fondamentaux pour former un milieu dense, donc un bon traceur des noyaux gazeux denses, où se produit la formation de protoétoiles. Le CO est la deuxième molécule la plus abondante dans l'Univers après la molécule d'hydrogène. Le CO émet des raies intenses dans le régime des longueurs d'onde millimétriques et est un bon traceur des écoulements moléculaires. L'émission de SiO est quant à elle utilisée pour tracer de puissantes régions choquées. Les collisions sont en effet si fortes entre les écoulements moléculaires bipolaires et le matériau environnant qu'elles ont pour effet d'éliminer les atomes de silicium (Si) des grains de poussière, qui vont ensuite réagir avec l'oxygène (O) pour former du SiO. Grâce à la grande sensibilité d'ALMA, Sato et ses collaborateurs ont détecté deux fois plus d'écoulements moléculaires par rapport aux études précédentes dans les régions FIR 3 et FIR 4. 
Les résultats montrent surtout ce qui ressemble à un écoulement  moléculaire géant qui serait entraîné par une protoétoile dans la région FIR 3, entrant en collision avec la région FIR 4, où plusieurs protoétoiles se forment. Les images d'ALMA montrent clairement les couches de choc entre l'écoulement moléculaire et les matériaux denses associés à la région FIR 4. L'écoulement moléculaire part du coin supérieur gauche de l'image et entre en collision avec la région FIR 4 en bas à droite. On voit clairement deux fortes couches de choc dans le gaz SiO. De plus, l'image montre que le gaz CO à l'intérieur de l'écoulement entre en collision avec le « nuage moléculaire filamenteux » et est ensuite compressé. L'équipe a également obtenu des preuves que la poussière dans les nuages ​​moléculaires filamenteux peut être chauffée par une collision avec un écoulement moléculaire. Enfin, au sein des nuages ​​compressés, Sato et ses collègues ont détecté des sources poussiéreuses fragmentées, qui pourraient être les berceaux des futurs sites de formation d'étoiles. 


Il reste tout de même difficile de conclure si les activités de formation d'étoiles dans la région de formation FIR 4, ont été déclenchées par la collision avec l'écoulement moléculaire géant, ou bien si la formation d'étoiles dans FIR 4 avait déjà commencé avant la collision. L'échelle de temps dynamique de l'écoulement géant dans la région FIR 3 est dans la plage 4600 - 25400 ans. Or l'échelle de temps des fragmentations des surdensités dans la région FIR 4 est estimée entre 25000 et 32000 ans, ce qui est effectivement proche de l'échelle de temps dynamique de l'écoulement géant. De plus, l'échelle de temps dynamique de l'écoulement à l'intérieur de la région FIR 4 est estimé dans la plage 2000 - 17000 ans, ce qui apparaît très similaire à celle de l'écoulement à l'intérieur de la région FIR 3 également. C'est ce qui fait dire aux chercheurs japonais que la fragmentation dans la région FIR 4 doit avoir commencé au moment où l'écoulement géant a commencé à interagir avec la région FIR 4, ou juste avant. Curieuse coïncidence.
Même si les deux scénarios différents de formation d'étoiles par fragmentation de la région FIR 4 n'ont pas été complètement démêlés, les observations de Asako Sato et ses collaborateurs indiquent clairement l'existence de forts chocs qui sont causés par l'écoulement qui entre en collision avec la région FIR 4. Cela signifie que cette collision a dû affecter d'une manière ou d'une autre les activités  de formation d'étoiles dans cette zone. Ces observations ont réussi pour la première fois à imager directement l'impact des écoulements moléculaires sur les zones de formation d'étoiles au sein d'un cocon de protoétoiles. Les futures observations du même type feront encore mieux.

Source

ALMA Fragmented Source Catalogue in Orion (FraSCO) I. Outflow interaction within an embedded cluster in OMC-2/FIR3, FIR4, and FIR5
Asako Sato et al.
accepté pour publication dans The Astrophysical Journal


Illustrations

1. Rendu artistique de la région de formation d'étoiles OMC-2/ FIR 3 et FIR 4 (ALMA (ESO/NAOJ/NRAO), A. Sato et al.)
2. Image composite annotée de la région de formation d'étoiles OMC-2/ FIR 3 et FIR 4 par ALMA (ESO/NAOJ/NRAO), A. Sato et al.)

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