29/07/24

Découverte de 6 galaxies spirales apparemment sans matière noire

Un duo de chercheurs taïwanais vient de découvrir plusieurs grosses galaxies spirales qui apparaissent totalement dépourvues de matière noire, à partir de la mesure de leur rotation, qui se révèle bien trop faible. La matière noire ne serait donc pas uniformément présente dans les galaxies… Ils publient leur étude dans Scientific Reports.

La matière noire est considérée comme l'élément essentiel de la formation des galaxies. Les galaxies dépourvues de matière noire qui ont déjà été observées, ont connu des mécanismes de formation spécifiques, qui en fait des cas uniques. Dans les galaxies spirales, l’existence de courbes de rotation plates et une vitesse de rotation asymptotique élevée est une observation courante qui indique la nécessité d'une matière noire pour soutenir cette dynamique.

Cheng-Yu Chen et Chorng-Yuan Hwang (National Central University, Taoyuan) ont mesuré les vitesses de rotation de très nombreuses galaxies qu’ils ont tracées en fonction de leur luminosité. La luminosité est un indicateur direct de la masse baryonique d’une galaxie, via son nombre d’étoiles, auquel on peut ajouter la quantité de gaz que l’on en déduit. La vitesse de rotation donne quant à elle la valeur de la masse dynamique. Dans la très grande majorité des cas, ces deux valeurs de masse diffèrent énormément, et c’est pour cela qu’on introduit la matière noire pour recoller les morceaux. Mais Cheng-Yu et Chorng-Yuan ont trouvé 6 galaxies spirales massives (entre 31 milliards et 62 milliards de masses solaires) pour lesquelles la masse baryonique et la masse dynamique sont quasi égales ! Du jamais vu pour des grandes galaxies de ce type.

Ces six galaxies ont été observées dans le cadre du projet Mapping Nearby Galaxies at Apache Point Observatory (MaNGA). Un sous-ensemble de ces galaxies présentait une rotation nettement plus lente que les galaxies comprises dans la relation principale de Tully-Fischer. C’est parmi toutes les galaxies à rotation lente que Cheng-Yu et Chorng-Yuan ont sélectionné des galaxies qui étaient à la fois dominées par la rotation et à l'équilibre dans leurs courbes de rotation stellaire et de gaz, pour une étude plus approfondie.

Les faibles rapports masse dynamique/masse baryonique (1,09 en moyenne sur les 6 spécimens) indiquent que la cinématique de ces galaxies peut être supportée par leur seule masse baryonique. Les chercheurs taiwanais ont dérivé leurs courbes de rotation et leurs distributions de masse, étudié leurs environnements locaux et exploré les explications possibles de ces observations. Ces galaxies présentent des caractéristiques intrigantes, alignant leurs masses dynamiques remarquablement proches de leurs masses baryoniques, laissant penser qu’elles sont dépourvues de matière noire. Les astrophysiciens taïwanais ont exploré l’environnements entourant les six galaxies, pour savoir si il pouvait exister un phénomène lié au voisinage galactique, mais aucune de ces galaxies ne s'est avérée être une galaxie satellite dans leur environnement respectif et le nombre de galaxies dans leur voisinage varie de trois pour la plus esseulée à plus de cent galaxies pour la plus encombrée. Ces six galaxies ne présentent donc aucun effet environnemental perceptible.



Les six galaxies ont des masses baryoniques qui correspondent à la masse typique des galaxies spirales (comprises entre 10 milliards et 100 milliards de masses solaires). Aucune d'entre elles n'entre dans la catégorie des galaxies naines. Pour les chercheurs, cette distinction indique qu'elles ne se sont peut-être pas formées par les mêmes mécanismes que les galaxies satellites de NGC 1052, qui on le rappelle avaient été les premières galaxies sans matière noire à avoir été découvertes. Étant donné que ces six galaxies possèdent des masses typiques et ne démontrent pas de préférence environnementale, Cheng-Yu et Chorng-Yuan proposent que leur formation ne soit pas liée à des voies spécifiques. Ils suggèrent ainsi que les galaxies dépourvues de matière noire pourraient résulter de certains processus universels de formation des galaxies. Par ailleurs, comme ces galaxies présentent des accélérations inférieures à l'accélération caractéristique proposée par la phénoménologie de MOND, une alternative à la matière noire qui pouvait expliquer les courbes de rotation galactiques, leur absence de matière noire observable remet donc gravement en question l'applicabilité universelle de MOND.

Les vitesses de rotation dérivées de l’élargissement de la raie Ha ne retracent la dynamique d’une galaxie que jusqu'au bord du disque stellaire visible, ce qui contraint l’analyse présentée ici. Pour chercher une explication alternative possible de la rotation lente de ces galaxies, les chercheurs taïwanais évoquent le fait que leurs halos de matière noire pourraient être extrêmement étendus, ce qui pourrait alors résulter en un manque apparent de matière noire à l'intérieur des disques visibles. De futures études avec une cartographie du gaz ionisé sont maintenant essentielles pour tracer la dynamique de ces 6 galaxies au-delà du disque stellaire visible, afin d’avoir une image plus complète de la distribution de matière noire, si elle est là.

En attendant, la conclusion de Cheng-Yu Chen et Chorng-Yuan Hwang est que toutes les galaxies ne sont pas forcément associées à de la matière noire…

 

Source

 

Six spiral galaxies lacking dark matter

Cheng-Yu Chen & Chorng-Yuan Hwang

Scientific Reports volume 14 (27 july 2024)

https://doi.org/10.1038/s41598-024-68144-w



Illustrations


1. Les 6 galaxies spirales dépourvues de matière noire (Cheng-Yu Chen & Chorng-Yuan Hwang)

2. Les 6 courbes de rotation (vitesse en fonction du rayon) et distribution de la masse en fonction du rayon (Cheng-Yu Chen & Chorng-Yuan Hwang)

5 commentaires :

Anonyme a dit…

comment fait-on pour mesurer la vitesse de rotation lorsque le plan de la galaxie est orthogonal à la ligne de visée? en principe, on mesure le redshift des étoiles qui s'éloignent et se rapprochent de nous lorsque le plan est incliné

Dr Eric Simon a dit…

Et bien on ne peut pas dans ce cas. Heureusement, ce n'est pas le cas ici..

Anonyme a dit…

les photos des galaxies incriminées semblent suggérer que leur plan est perpendiculaire à la ligne de visée...

Dr Eric Simon a dit…

En regardant bien, vous pouvez déceler qu'elles sont toutes inclinées. Les valeurs des angles d'inclinaisons de ces 6 galaxies, qui sont mentionnés dans l'article s'étalent entre 26,6° et 67°. (vue de face => i=0°, vue par la tranche=> i=90°)

Anonyme a dit…

c'est surprenant de voir que l'on peut mesurer l'ange d'une galaxie au dixième de degré près, sans incertitude annoncée, ce qui ne laisse aucune place à une quelconque autre interprétation!
En fouillant un peu, le modèle Sérsic utilisé dans l'article pour déterminer l'angle d'inclinaison semble être plus imprécis que ça (une loi de puissance en fonction du rayon), gageons que les contre-articles joueront là dessus!