L’étude du mouvement orbital des étoiles autour de Sagittarius A* au centre de la Galaxie offre une opportunité unique de sonder le potentiel gravitationnel à proximité du trou noir supermassif au cœur de notre Galaxie. Les données interférométriques obtenues avec l’instrument GRAVITY du Very Large Telescope Interferometer (VLTI) depuis 2016 ont permis d’atteindre une précision sans précédent dans le suivi des orbites de ces étoiles. Les données de GRAVITY ont notamment été essentielles pour détecter la précession de Schwarzschild prograde dans le plan de l’orbite de l’étoile S2, qui était prédite par la relativité générale. En combinant les données astrométriques et spectroscopiques de plusieurs étoiles, dont S2, S29, S38 et S55, pour lesquelles on dispose de données sur leur temps de passage au péricentre avec GRAVITY, on peut désormais renforcer la signification statistique de cette détection à un niveau de confiance d’environ 10σ.
Et la précession prograde de l'orbite de S2 fournit des informations précieuses sur la présence potentielle d'une distribution de masse qui serait étendue autour de Sagittarius A*, et qui pourrait consister en une population stellaire dynamiquement détendue comprenant de vieilles étoiles et des restes stellaires, ainsi qu'un éventuel pic de matière noire. La collaboration GRAVITY a effectuée de nouvelles mesures ultra-précises des orbites de plusieurs étoiles autour de Sgr A* pour déterminer des contraintes sur cette masse encore invisible qui se situerait entre le trou noir supermassif et l'étoile S2, la plus proche de Sgr A*. Ils publient leurs résultats dans Astronomy&Astrophysics.
Depuis 2016, l'interféromètre GRAVITY du Very Large Telescope de l'ESO a permis d'obtenir des données astrométriques avec une précision sans précédent sur les étoiles du groupe S qui sont en orbite autour de Sagittarius A*, atteignant dans le meilleur des cas une incertitude de 30 μs d'arc. Cela en a fait un outil puissant pour étudier le potentiel gravitationnel près du trou noir supermassif au centre de notre Galaxie, en permettant d'atteindre des distances de Sgr A* jusqu'à environ mille fois son rayon de Schwarzschild. De plus, les observations astrométriques et polarimétriques des éruptions de Sgr A* avec GRAVITY ont révélé que la masse à l'intérieur du rayon des éruptions de quelques RS est cohérente avec la masse du trou noir mesurée à partir des orbites stellaires (Collaboration GRAVITY 2018, 2023). Avec l'image de Sgr A* par l'Event Horizon Telescope Collaboration publiée en 2022, cela confirme si on en doutait encore que Sgr A* est bien un trou noir supermassif.
Pour l'étoile S2, en raison de sa courte période orbitale de 16 ans et de sa luminosité, des données astrométriques sont actuellement disponibles pour deux révolutions orbitales complètes autour de Sgr A*, tandis que les données spectroscopiques couvrent une révolution et demie (Schödel et al. 2002 ;Ghez et al. 2003 ,2008 ;Gillessen et al. 2017 ). Au péricentre, S2 atteint une distance d'environ 1400 rayons de Schwarzschild de Sgr A* (ce qui fait 118 Unités Astronomiques ou encore 0,0019 AL), avec une vitesse maximale considérable de 7700 km.s-1 ≃ 0,026 c. En surveillant le mouvement de l'étoile dans le ciel et la vitesse radiale avec les instruments GRAVITY et SINFONI au moment du passage au péricentre en 2018, des données cruciales ont été obtenues afin de détecter les effets du premier ordre dans l'expansion post-newtonienne de la relativité générale sur son mouvement orbital. Le premier est le décalage gravitationnel vers le rouge des raies spectrales, qui a été détecté avec l'effet Doppler transversal, prédit par la relativité restreinte, avec une signification d'environ 10σ par la Collaboration GRAVITY en 2018 et avec une signification de 5σ par Faire et al. 2019. La collaboration GRAVITY a ensuite amélioré la signification de la détection en 2019 à environ 20σ. L'autre effet est la précession prograde dans le plan de l'angle du péricentre de l'orbite, ce qu'on appelle la précession de Schwarzschild. Elle correspond à une avance de 12,1 minutes d'arc par orbite dans la direction prograde pour S2 (GRAVITY Collaboration, 2020). Cet effet avait initialement été détecté au niveau 5σ puis amélioré par les chercheurs de la Collaboration GRAVITY en 2022 à environ 7σ en combinant les données de S2 avec les données des étoiles S29, S38 et S55, qui pouvaient être observées avec GRAVITY au moment de leur passage au péricentre et dont les distances au péricentre sont comparables à celle de S2.
L'effet Lense-Thirring, causé par la rotation du trou noir supermassif donne à la fois une contribution supplémentaire à la précession dans le plan et une précession du plan orbital. Pour l'étoile S2, cet effet relativiste est égal à 0,11 minute d'arc. L'effet est donc au moins 50 fois plus petit que la précession de Schwarzschild, en supposant un trou noir avec un spin maximal, et il est hors de portée des mesures actuelles. Afin de mesurer le spin de Sgr A*, on devrait observer une étoile avec une distance péricentrique au moins trois fois plus petite que celle de S2, étant donné la précision astrométrique atteignable avec GRAVITY.
Toute distribution de masse étendue autour de Sgr A*, suivant un profil de densité de symétrie sphérique, ajouterait une précession rétrograde des orbites stellaires, contrecarrant la précession de Schwarzschild prograde. Cette distribution de masse devrait théoriquement être composée principalement d'une population dynamiquement détendue de vieilles étoiles et de restes stellaires de faible luminosité. Pierre (1972), puis Frank et Rees (1976) et Bahcall et Wolf (1976) ont été les premiers à aborder le problème de la distribution des étoiles autour d'un trou noir massif central. Bahcall et Wolf avaient découvert qu'une population stellaire à masse unique autour d'un trou noir massif central atteint une distribution de densité stationnaire sur l'échelle de temps de relaxation à deux corps. Dans le centre galactique, la population stellaire ancienne peut être représentée approximativement par des étoiles légères avec des masses autour de 1 M⊙ et des trous noirs stellaires plus massifs avec des masses autour de 10 M⊙. Avec une telle population, une ségrégation de masse se produit : les objets plus massifs ont tendance à se concentrer vers le centre en raison d'interactions dynamiques avec des objets plus légers. La solution de ségrégation de masse pour la distribution à l'état stationnaire des étoiles autour d'un trou noir massif comporte deux branches, une ségrégation faible et une ségrégation forte, basées sur la dominance d'objets plus lourds ou plus légers dans les interactions de diffusion. Dans la branche de ségrégation faible, les objets lourds s'installent dans une distribution de loi de puissance avec une pente de -1,75, tandis que les objets plus légers présentent un profil plus plat avec une pente de -1,5. Inversement, la branche de forte ségrégation se traduit par des pentes plus raides et une plus grande différence entre les masses légères et lourdes. Preto et Amaro-Seoane (2010) ont fourni une réalisation claire grâce à des simulations à N-corps de la solution de forte ségrégation de masse, montrant également que la population stellaire piquée vers le centre (ce qu'on appelle une cuspide) peut se développer sur des échelles de temps bien plus courtes que le temps de relaxation.
En plus de la cuspide stellaire, un trou noir de masse intermédiaire compagnon de Sgr A* pourrait théoriquement être présent dans le centre galactique. En 2023, la collaboration GRAVITY a démontré qu'un trou noir intermédiaire qui serait enfermé à l'intérieur de l'orbite de S2 ne peut avoir qu'une masse inférieure à 1000 M⊙. De plus, Gondolo & Silk ont montré en 1999 que des particules de matière noire pourraient être accrétées par Sgr A* pour former un pic dense au centre de la galaxie, augmentant la densité de matière noire dans le centre galactique jusqu'à dix ordres de grandeur par rapport à la densité attendue dans le cas d'un profil classique de Navarro-Frenk-White. Dans ce scénario, le pic pourrait contribuer à la distribution de masse étendue autour de Sgr A*, alors qu'en l'absence d'un tel pic, la contribution de la matière noire dans la plage radiale des orbites des étoiles S serait négligeable dans un profil NFW.
En 2022, les astrophysiciens de la collaboration GRAVITY, avaient estimé la limite supérieure (à 1σ) sur toute masse étendue distribuée dans l'orbite de S2 à 3000 M⊙. Dans ce nouvel article qui vient de paraître, les chercheurs utilisent une année supplémentaire d'observations de GRAVITY sur 11 étoiles du groupe S, qui leur permet d'améliorer et d'étendre l'analyse précédente. Parmi ces 11 étoiles, quatre d'entre elles sont particulièrement utiles pour déterminer le plus précisément les mouvements orbitaux : S2 (bien sûr), ainsi que S29, S38 et S55.
Leur analyse est basée sur deux profils de densité de masse plausibles à l'intérieur de l'orbite de S2 : une loi de puissance et un profil de Plummer. Ils parviennent à contraindre la masse enfermée à l'intérieur de l'orbite de S2 qui se trouve être cohérente avec zéro, et ils établissent une limite supérieure d'environ 1200 M⊙, avec un niveau de confiance de 1σ. Ce résultat améliore considérablement les contraintes sur la distribution de masse dans le centre galactique, passant d'un maximum de 3000 M⊙ à seulement 1200 M⊙. Les chercheurs précisent que cette nouvelle limite supérieure est très proche de la valeur qui est attendue à partir des simulations numériques pour une cuspide stellaire dans le centre galactique, laissant donc peu de place à une augmentation significative de la densité de matière noire près de Sagittarius A*.
En conclusion, les chercheurs de la collaboration GRAVITY rappellent que les mouvements orbitaux de S2, S29, S38 et S55 sont parfaitement compatibles avec les orbites autour de Sgr A* prédites par la Relativité Générale, présentant une précession prograde de leurs angles péricentraux dans le plan orbital. En effectuant un ajustement multi-étoiles avec ces nouvelles données, ils ont pu détecter la précession de Schwarzschild de leurs orbites avec un niveau de confiance statistique d'environ 10σ, marquant une amélioration significative par rapport aux résultats précédents de 2022.
Ils établissent également une limite supérieure stricte pour la masse de toute distribution de masse étendue hypothétique autour de Sgr A*, qui ajouterait une précession rétrograde à l'orbite de S2, contrecarrant la précession prograde relativiste. Cette distribution de masse pourrait être composée d'une cuspide dynamiquement détendue d'anciennes étoiles et de restes stellaires et potentiellement d'un pic de matière noire. En la modélisant avec une distribution de densité de symétrique sphérique, et en testant deux profils de densité plausibles, ils constatent que la masse enfermée dans l'orbite de S2 est systématiquement compatible avec zéro. Ils fixent une limite supérieure forte à environ 1200 M⊙, améliorant considérablement les limites qui avaient été établies en 2022.
Même si ils sont compatibles avec aucune masse étendue, la limite supérieure trouvée concorde encore avec les prédictions théoriques de la présence d'une cuspide stellaire dynamiquement détendue, composée d'étoiles, de naines brunes, de naines blanches, d'étoiles à neutrons et de trous noirs stellaires, selon des simulations numériques utilisant une version mise à jour du code développé dans Zhang & Amaro-Seoane il y a quelques mois. Cette analyse prédit une masse enfermée dans l'orbite de S2 d'environ 1210 M⊙. Étant donné que la limite supérieure qui est trouvée aujourd'hui est très proche de cette valeur prédite, les chercheurs de la collaboration GRAVITY concluent qu'ils ne trouvent aucune preuve d'un pic significatif de matière noire dans le centre galactique.
S2 se déplace actuellement vers l'apocentre de son orbite, qu'elle atteindra en 2026. Les données de GRAVITY collectées dans les années à venir, combinées à des mesures de spectroscopie affineront davantage les contraintes sur la distribution de masse étendue dans le centre galactique, car la distribution de masse influence principalement les orbites stellaires dans la moitié de l'apocentre. Cela permettra d'affiner la comparaison avec les prédictions théoriques pour la cuspide stellaire, ce qui est d'une importance fondamentale pour comprendre la distribution des étoiles faiblement lumineuses et anciennes de la séquence principale et des sous-géantes dans le centre galactique.
Ces étoiles sont trop faibles pour être actuellement détectées avec GRAVITY, mais leur détection pourrait être à la portée des observations futures avec par exemple la mise à niveau GRAVITY+ du VLTI et l'instrument MICADO de l'ELT. Ces étoiles pourraient potentiellement être sur des orbites plus serrées autour de Sgr A* et pourraient permettre de mesurer son spin et son moment quadrupolaire. De plus, la comparaison entre les contraintes observationnelles et les prédictions théoriques est également importante pour mieux comprendre la distribution des objets compacts dans le centre galactique et dans les noyaux galactiques en général.
Ces informations seront précieuses en vue de la future mission LISA qui sera capable de détecter des fusions de trous noirs supermassifs. Il se trouve que le taux de ces fusions de trous noirs supermassifs dépend fortement de la distribution de densité des restes compacts qui se trouvent autour d'eux à une distance d'environ 0,03 AL, une distance qui correspond à la distance apocentrique de S2 autour de Sgr A*...
Source
Improving constraints on the extended mass distribution in the Galactic center with stellar orbits
GRAVITY Collaboration
Astronomy&Astrophysics 692, A242 (17 December 2024)
Illustrations
1. Image du centre galactique et localisation de l'étoile S2 par rapport à Sgr A* (ESO)
2. Groupe des étoiles S en orbite autour d'un point invisible (John Kormendy)
3. Trajectoire des 11 étoiles S utilisées par la collaboration GRAVITY (GRAVITY Collaboration)
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