24/01/25

Découverte d'une troisième radiogalaxie géante avec MeerKAT

Des astronomes viennent de publier la découverte d’une nouvelle radiogalaxie géante qui arbore des jets de plasma 32 fois plus grands que la taille de notre galaxie. Elle a été nommé « Inkathazo », qui signifie ‘problème’ en Xhosa et en Zulu, tant il est difficile de comprendre cet objet avec la physique dont on dispose. La découverte est publiée dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.


3,3 millions d'années-lumière d'un bout à l'autre (1,29 Mpc), c’est la longueur de cette radiogalaxie que Kathleen Charlton (université de Cape Town) et ses collaborateurs ont mesurée avec des observations du radiotélescope MeerKAT.

Les radiogalaxies ne sont pas à proprement parler des galaxies. Certes, il y a bien une galaxie au centre de l’objet, mais ce qu’on dénomme « radiogalaxie », c’est l’ensemble de l’émission radio qui est associée à cette galaxie centrale. L’étendue qui peut être considérable est avant tout peuplée de plasma ionisé (électrons et protons), baignant dans un champ magnétique. Les radiogalaxies géantes (RGG) présentent des jets et des lobes de plasma synchrotron qui s'étendent sur plus de 700 kpc en longueur linéaire projetée. Leurs jets et lobes relativistes étendus peuvent jouer un rôle important dans l'évolution de leur galaxie hôte et de son environnement via la rétroaction des noyaux actifs de galaxie en mode jet. Dans ce mode de rétroaction, les jets de plasma des AGN se déplacent dans le milieu interstellaire, perturbant et chauffant le gaz environnant. On pense que cela empêche le refroidissement du gaz et stoppe l'accrétion sur le trou noir supermassif, stoppant ainsi sa croissance. Dans les RGG, en raison de la taille des jets, ce processus s'étend plus loin dans le milieu intergalactique et le milieu inter-amas. Ainsi, les RGGs pourraient être des sondes idéales de l'impact de l'activité des AGNs sur le milieu intergalactique et pourraient fournir des informations sur la nature de l'environnement lui-même.

Jusqu'à récemment, on pensait que les RGG étaient assez rares. Mais, une nouvelle génération de radiotélescopes, comme MeerKAT en Afrique du Sud, a renversé cette idée. La plupart des radiogalaxies géantes connues ont été découvertes à des latitudes boréales par des télescopes européens, tandis que le ciel austral restait relativement inexploré en ce qui concerne ces objets géants. Inkathazo est la troisième RGG repérée dans un petit coin de ciel, de la taille de cinq pleines lunes, que les radioastronomes appellent COSMOS. Les deux premières ont été observées avec MeerKAT en 2021. Le fait que les chercheurs ont dévoilé trois RGG en pointant MeerKAT sur une seule parcelle de ciel montre qu'il existe probablement une énorme quantité de RGG non découvertes dans le ciel austral.

Et Inkathazo  (alias MGTC J100022.85+031520.4 ou GRG3) ne présente pas les mêmes caractéristiques que beaucoup d'autres radiogalaxies géantes. Par exemple, les jets de plasma ont une forme inhabituelle : au lieu de s'étendre en ligne droite d'un bout à l'autre, l'un des jets est courbé. Inkathazo vit également au cœur d'un amas de galaxies, plutôt que dans un isolement relatif. Sa galaxie centrale est même la galaxie la plus brillante de l’amas. Normalement, cela devrait empêcher les jets de plasma d'atteindre des tailles aussi énormes.

Charlton et ses collaborateurs estiment que la découverte d'une galaxie géante dans l'environnement d'un amas soulève des questions sur le rôle des interactions environnementales dans la formation et l'évolution de ces galaxies géantes. Pour tenter de mieux comprendre cette énigme, les chercheurs ont tiré parti des capacités exceptionnelles de MeerKAT pour créer ce qu’on appelle des cartes d'âge spectral à la plus haute résolution jamais réalisées pour les RGG. Ces cartes permettent de suivre l'âge du plasma dans différentes parties de la radiogalaxie, ce qui donne des indices sur les processus physiques à l'œuvre.

Les chercheurs montrent que la distribution des âges au sein des RGGs permet d’illuster l'histoire de leur évolution. Les deux premières RGGs, qu’ils ont également observées, ont pu croître dans des environnements relativement isolés et présentent donc la distribution d'âge attendue, avec l'âge le plus jeune dans le noyau et le plus vieux dans les lobes. Mais GRG3 (Inkathazo), elle, montre plus de complexité, probablement parce qu'elle se trouve dans un environnement d'amas plus dense et qu'elle a plus d'interactions avec son environnement.


D'un point de vue dynamique, Inkathazo correspond à une galaxie avec une puissance de jet de 1036 W qui serait âgée de 950 Mégannées, alors que GRGs 1 et 2 correspondent à des galaxies âgées de 800 et 700 Mégannées avec des puissances de jet de 1038 W. Ces âges sont plusieurs fois plus grands que les estimations qui sont faites à partir des spectres, ce qui indique selon les chercheurs qu'il y a des processus qui ne sont pas pris en compte dans les estimations spectrales ou dynamiques de l'âge.

Cette étude démontre donc les diverses limitations des calculs de l'âge spectral et les divergences entre les âges spectraux et les âges dynamiques. Mais elle montre également que les âges relatifs déterminés par le vieillissement spectral sont utiles pour déterminer la dynamique et l'évolution des RGGs grâce à la distribution des âges des électrons dans l'ensemble d’une radiogalaxie.

Les résultats révèlent en outre des complexités intrigantes dans les jets d'Inkathazo, certains électrons semblant recevoir des « poussées » inattendues. Les chercheurs pensent que cela peut se produire lorsque les jets entrent en collision avec du gaz chaud dans les vides entre les galaxies d'un amas. Les résultats suggèrent que nous ne comprenons pas encore la majeure partie de la physique complexe des plasmas qui est en jeu dans ces galaxies extrêmes.

 

Source

A spatially resolved spectral analysis of giant radio galaxies with MeerKAT

Kathleen Charlton et al.

Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 537, Issue 1, February 2025,

https://doi.org/10.1093/mnras/stae2543

 

Illustration

1. La radiogalaxie Inkathazo  (alias MGTC J100022.85+031520.4) (Kathleen Charlton et al.)

2. Kathleen Charlton


1 commentaire :

Anonyme a dit…

Très intéressant comme toujours merci