La Terre se trouve à l'intérieur d'une bulle vide de 300 pc de large qui a été creusée par une série d'explosions de supernovas qui se sont produites il y a plusieurs millions d'années, repoussant le gaz interstellaire et créant une structure en forme de bulle.
Les pics temporels de dépôts de 60Fe qui ont été trouvés dans la croûte terrestre des grands fonds marins ont été interprétés comme des empreintes laissées par les éjectas d’explosions de supernovas survenues il y a environ 2,5 et 5,5 millions d'années. Il est probable que le pic de 60Fe situé à environ 2-3 Mégannées dans le passé provienne d'une supernova survenue dans l'association Scorpius Centaurus (à une distance de 140 pc) ou bien dans l'association Tucana-Horologium (à une distance de 70 pc), alors que le pic datant de 5 à 6 Mégannées est plutôt attribué à l'entrée du système solaire dans la bulle.
On sait que la vie sur Terre évolue constamment sous l'effet d'une exposition continue aux rayonnements ionisants d'origine terrestre et cosmique. Alors que la radioactivité de la roche diminue lentement sur des échelles de temps d'un milliard d'années, les niveaux de rayonnement cosmique fluctuent au fur et à mesure que notre système solaire se déplace dans la Voie Lactée. L'activité des supernovas à proximité a le potentiel d'augmenter les niveaux de rayonnement à la surface de la Terre de plusieurs ordres de grandeur, ce qui devrait avoir un impact profond sur l'évolution de la vie. En particulier, on s'attend à ce que les niveaux de rayonnement augmentent lorsque notre système solaire passe à proximité d'associations OB. Les vents associés à ces usines stellaires devraient initialement gonfler des superbulles de plasma chaud, et peuvent être le lieu de naissance d'une grande partie des explosions par effondrement du cœur. Or, il se trouve que le système solaire est entré dans une telle superbulle, communément appelée la Bulle Locale, il y a environ 6 mégannées et réside actuellement près de son centre.
La présence de radioisotopes fraîchement synthétisés détectés près de la surface de la Terre accrédite l'idée que notre système solaire s'est infiltré dans une région très active en supernovas au sein de notre galaxie. La variation temporelle de la concentration de l’isotope radioactif 60Fe (demi-vie de 2,6 millions d’années) dans des sédiments et des régions de la croûte terrestre impose des contraintes strictes sur les positions et les âges des événements de type supernova les plus proches. Il faut se rappeler que la probabilité d'occurrence d'une supernova proche est accrue parce que le système solaire est entré récemment dans la Bulle Locale. On estime que quinze explosions de supernova ont dû avoir lieu pour gonfler la Bulle Locale au cours des 15 derniers millions d'années. La reconstruction de l'histoire de Bulle Locale nous apprend qu'au moins 9 supernovas ont explosé au cours des 6 derniers millions d'années. Cela donne environ une supernova tous les ≈ 660 000 ans à une distance inférieure à 150 pc (490 AL). Ce taux donne environ un événement tous les 50 ans dans notre Galaxie.
Caitlyn Nojiri (université de Californie) et ses collaborateurs ont combiné les résultats récents sur les propriétés de la Bulle Locale et la détection de 60Fe dans les sédiments marins profonds pour prédire le flux de rayons cosmiques attendu d'une supernova à effondrement du coeur proche de la Terre. Ils parviennent à montrer qu'une source locale unique de type PeVatron, provenant probablement des associations stellaires Scorpius-Centaurus ou Tucana-Horologium, a été responsable de la production de la majeure partie du pic de 60Fe fraîchement synthétisé il y a 2,5 mégannées. Ils calculent ensuite le flux de rayons cosmiques associé. Leur résultat est renforcé par des mesures récentes du spectre des rayons cosmiques, ainsi que de sa composition et de son anisotropie à grande échelle. Leur objectif final est de fournir une estimation robuste des variations temporelles des doses de rayonnement cosmique subies par les habitants de la Terre, en utilisant toutes les contraintes observationnelles disponibles.
Les chercheurs montrent que la supernova responsable de la synthèse des dépôts de 60Fe il y a environ 2 à 3 Mégannées peut expliquer de façon cohérente le spectre actuel des rayons cosmiques et leur anisotropie à grande échelle entre 100 TeV et 100 PeV. Le « genou » qui est observé dans le spectre pourrait selon eux être attribué entièrement à une seule source proche. La correspondance entre l'intensité et la forme du spectre des rayons cosmiques permet d'imposer des contraintes strictes sur le contenu énergétique des rayons cosmiques provenant de la supernova ainsi que sur le coefficient de diffusion des rayons cosmiques. En utilisant ces contraintes, Nojiri et ses coauteurs fournissent une estimation robuste de la variation temporelle des niveaux de rayonnements cosmiques ionisants sur Terre.
Pour arriver à leur résultat, les astrophysiciens ont ajusté la région du genou du spectre des rayons cosmiques, avec un spectre plus difficile à ajuster aux données que dans les études précédentes sur le même sujet (avec un indice spectral α = 1.6-1.7), et une énergie dans les rayons cosmiques N0 ≈ 1049 erg pour un coefficient de diffusion D0 = 1027 cm2 s-1 (ou bien N0 ≈ 1050 erg pour D0 = 1028 cm2 s-1, respectivement), ce qui est similaire à la luminosité γ dans les restes de supernovas, et un seuil de rigidité à 5 PV (pour capturer efficacement le genou).
Dans leur modèle, le « genou » dans le spectre des rayons cosmiques, qui est dû à une supernova proche, est donc une structure éphémère. Cette structure est essentielle pour imposer des contraintes strictes sur le contenu énergétique des rayons cosmiques du PeVatron ainsi que sur le coefficient de diffusion des rayons cosmiques. Les chercheurs peuvent même faire des prédictions : ils prévoient que l'anisotropie dans la gamme du PeV devrait être dans la direction de l'une des associations stellaires proches qui est responsable de l'hébergement de la supernova proche. Ils prévoient également que la direction et l'amplitude de l'anisotropie des rayons cosmiques ne devraient pas changer entre 100 TeV et 100 PeV, car c'est à cette énergie que commence la transition entre le galactique et l’extragalactique.
Ensuite, pour calculer les doses qui sont reçues sur Terre, les chercheurs prennent en compte que la forme spectrale varie avec le temps. Ils arrivent à des doses moyennes de 10 mGy an-1 pendant les 10 000 premières années après l'explosion d'une supernova dans Tucana-Horlogium et ≈ 2 mGy an-1 si elle était située dans Scorpius-Centaurus, en supposant que le coefficient de diffusion des rayons cosmiques est D0 = 1027 cm2 s-1. Pour D0 = 1028 cm2 s-1, on l’a vu, il faut un contenu énergétique plus important dans les rayons cosmiques pour décrire efficacement les observations, typiquement autour de 1050 erg. C’est plus en accord avec les modèles d'accélération des rayons cosmiques où environ 10% de l'énergie du choc est transférée dans l'énergie des particules accélérées formant le rayonnement cosmique. Dans ce cas, la dose moyenne calculée est d’environ 100 mGy an-1 pendant les 10 000 premières années après l'explosion d'une supernova dans Tuc-Hor et de 30 mGy an-1 si elle était située dans Sco-Cen.
Les effets biologiques de telles doses de rayonnement peuvent être important, d’autant plus que ces niveaux auraient persisté sur des milliers d’années et donc sur beaucoup de générations successives. L'étude des populations vivant au Kerala, en Inde, la zone la plus radioactive sur Terre, où le niveau de rayonnement naturel de fond varie jusqu’à 45 mGy par an, a montré qu’une dose moyenne de 5 mGy par an pourrait être la dose seuil pour l'induction de cassures double brin de l’ADN (V. Jain et al. 2016). Les cassures double-brin de l'ADN peuvent potentiellement entraîner des mutations et des sauts dans la diversification des espèces. En outre, Costa et al. ont montré en 2024 que le taux de diversification des virus dans le lac Tanganyika, en Afrique, s'est accéléré il y a 2 à 3 millions d'années… Curieuse coïncidence. Il serait intéressant de mieux comprendre ça peut être attribué à l'augmentation de la dose de rayonnement cosmique qui est calculée par Nojiri et ses collaborateurs.
Les chercheurs précisent en conclusion que la dose calculée induite par une supernova se produisant dans Tuc-Hor, dont les propriétés peuvent expliquer le pic de concentration de 60Fe il y a 2,5 Mégannées et décrire le spectre et la composition des rayons cosmiques dans la région du genou, n'induirait certainement pas une extinction de masse (en même temps, on s’en serait rendus compte en paléontologie…), mais elle pourrait entraîner une réelle diversification des espèces par le biais d'une augmentation du taux de mutation.
À titre de comparaison, ils calculent quelle serait la dose reçue pour une supernova se produisant à une distance de seulement 10 pc (32,6 AL), (en considérant le même taux que précédemment, ce qui donne un événement environ tous les 150 mégannées), et en supposant un coefficient de diffusion de 1027 cm2 s-1 et une énergie totale de 1049 erg dans les rayons cosmiques. Ils arrivent à une valeur moyenne d'environ 500 mGy an-1 (moyenne sur les 10 000 premières années).
Une supernova située à 200 pc (ce qui correspond à peu près à la distance de Bételgeuse) augmenterait la dose de rayonnement cosmique entre 1 mGy an-1 et 30 mGy an-1, en fonction du coefficient de diffusion local. Dans le premier cas, l’impact ne serait pas très important, mais dans le second cas (D0 = 1028 cm2 s-1), la dose reçue sur Terre aurait un effet bien plus important sur les animaux et les plantes. Et Nojiri et al. précisent que la valeur de D0 qui a été utilisée dans les études antérieures est plutôt un peu supérieure à 1028 cm2 s-1 (M. Kachelrieß et al. 2018 ; N. de Séréville et al. 2024).
Pour les chercheurs, il est donc important de pouvoir mieux comprendre la structure de notre turbulence magnétique locale et de mieux contraindre la valeur du coefficient de diffusion local pour mieux estimer les flux de rayons cosmiques et donc les doses de rayonnement reçues sur Terre.
Pour les chercheurs, il est en tout cas certain que le rayonnement cosmique est un facteur environnemental clé dans l'évaluation de la viabilité et de l'évolution de la vie sur Terre, et la question cruciale concerne le seuil à partir duquel le rayonnement est un déclencheur favorable ou nuisible dans l'évolution des espèces. Le seuil exact ne peut être établi qu'avec une compréhension claire des effets biologiques du rayonnement cosmique, en particulier les muons qui dominent au niveau du sol, ce qui reste encore très peu exploré aujourd’hui.
Source
Life in the Bubble: How a Nearby Supernova Left Ephemeral Footprints on the Cosmic-Ray Spectrum and Indelible Imprints on Life
Caitlyn Nojiri et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 979, Number 1 (17 january 2025)
https://doi.org/10.3847/2041-
Illustrations
1. Diagramme donnant la dose reçue sur Terre par an entre 10000 et 100000 ans après l'explosion de supernova en fonction de la distance de la supernova pour différentes valeurs des paramètres du modèle (Caitlyn Nojiri et al.)
2. Caitlyn Nojiri
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