Des planétologues de l'université de l'Arizona viennent de trouver une explication pour la formation du couple Pluton-Charon : Pluton aurait capturé Charon après que les deux planètes naines sont entrées en collision « douce », ce nouveau processus est appelé par les auteurs « kiss-and-capture », ils publient leur étude dans Nature Geoscience.
Pluton et Charon constituent le plus grand système binaire de la population connue d'objets transneptuniens dans le système solaire externe. Leur axe orbital commun suggère une histoire évolutive liée et une origine collisionnelle. Mais leurs rayons, respectivement de 1200 km et 600 km, et la large orbite circulaire de Charon d'environ 16 rayons de Pluton nécessitent un mécanisme de formation qui place une grande fraction de masse en orbite, avec un moment angulaire suffisant pour entraîner l'expansion orbitale par effet de marée.
Pluton et Charon forment le système le plus étudié parmi les objets binaires trans-neptuniens, incluant Eris + Dysnomia, Varda + Ilmarë, et Orcus + Vanth. Le nombre de binaires de grande masse parmi les objets trans-neptuniens a conduit les planétologues à suggérer une histoire de formation commune. Mais, les plus massifs de ces couples sont trop massifs pour être expliqués par le processus de l’instabilité de flux, dans lequel des solides s’agrègent dans la nébuleuse protoplanétaire. L’instabilité de flux peut potentiellement expliquer la grande fraction de binaires plus petits parmi les Trans neptuniens, mais seulement jusqu’à un diamètre d’environ 100 km. Pour les corps plus grands, un autre mécanisme doit être imaginé.
Adeene Denton (University of Arizona, Tucson) et ses collaborateurs ont donc modélisé numériquement une capture collisionnelle de Charon par Pluton en utilisant des simulations qui incluent la résistance des matériaux, pour savoir si ce scénario était viable.
Pendant des dizaines d'années, les chercheurs en planétologie ont émis l'hypothèse que Charon, la lune de Pluton d'une taille inhabituelle, s'était formée selon un processus similaire à celui de la Lune autour de la Terre : une collision massive suivie de l'étirement et de la déformation de corps semblables à des fluides. Ce modèle a bien fonctionné pour le système Terre-Lune, où la chaleur intense et les masses importantes impliquées font que les corps en collision se comportent davantage comme des fluides. Mais, appliquée au système Pluton-Charon, plus petit et plus froid, cette approche a négligé un facteur crucial : l'intégrité structurelle de la roche et de la glace.
Lorsqu’ils ont pris en compte la résistance réelle de ces matériaux dans leurs simulations d’impact avancées, Denton et ses collaborateurs ont découvert quelque chose de tout à fait inattendu. Ils ont constaté qu'au lieu de s'étirer lors de la collision, Pluton et le proto-Charon sont restés temporairement collés l'un à l'autre, tournant comme un seul objet en forme de bonhomme de neige, avant de se séparer pour former le système binaire que nous observons aujourd'hui.
Une capture nécessite que la vitesse de collision vcoll n’excède pas la vitesse d’échappement mutuelle des deux corps. Pour le couple Pluton-Charon, cette vitesse est de l’ordre de 1 km.s-1. Pour les angles d’impact les plus courants, autour de 45°, les simulations sans prise en compte de la résistance des matériaux produisent des fusions à ces vitesses et ne produisent donc pas de lunes. Mais une collision plus rasante, entre 50 et 80° apparaît en effet capable de capturer un proto-Charon dans 30% des simulations.
C’est une conséquence directe de la déformation globale des corps en collision dans les simulations hydrodynamiques. Cette déformation augmente la section efficace de collision et produit des effets gravitationnels qui peuvent mener à la capture de Charon sur une grande orbite excentrique. Les chercheurs montrent par ailleurs qu’il existe certaines conditions, dans les simulations, pour que le baiser mène à une liaison éternelle : Charon doit être en contre-rotation rapide avant la collision, sinon, il se retrouve détruit et Pluton perd son compagnon à jamais.
La plupart des scénarios de collision planétaire sont généralement classés dans les catégories « collision brutale » ou « frôlement et fusion ». Ce que les chercheurs ont découvert est tout à fait différent : le scénario qu’ils ont nommé « kiss and capture », voit les corps entrer en collision, se coller brièvement l'un à l'autre, puis se séparer tout en restant liés gravitationnellement.
Ce qui est intéressant dans cette étude, c'est que les paramètres du modèle qui permettent de capturer Charon finissent par le placer sur la bonne orbite. On obtient deux choses correctes pour le prix d'une. L'étude suggère aussi que Pluton et Charon sont restés quasi intacts lors de leur collision, préservant une grande partie de leur composition d'origine, et cela remet en question les modèles précédents qui suggéraient une déformation et un mélange importants lors de l'impact.
En outre, le processus de collision, y compris la friction due aux marées lorsque les corps se sont séparés, a déposé une chaleur interne considérable dans les deux corps, ce qui pourrait fournir un mécanisme permettant à Pluton de développer un océan souterrain, sans nécessiter une formation dans le système solaire très précoce, faisant intervenir des éléments plus radioactif - une contrainte temporelle qui a questionné les planétologues depuis un moment.
Dans le scénario « kiss-and-capture », Charon est capturé relativement intact, et conserve donc son noyau et la majeure partie de son manteau, ce qui implique que Charon pourrait être aussi ancien que Pluton selon les chercheurs.
Bien que les simulations présentées dans cette étude ne permettent pas de résoudre numériquement la présence des quatre petites lunes de Pluton extérieures à Charon, de masses comprises entre 5 × 1015 et 1,7 × 1016 kg et de compositions glacées, Denton et ses collègues notent tout de même que le processus « kiss-and-capture » tend à produire des débris extérieurs abondants qui pourraient expliquer leur formation. Pour un impacteur de la masse de Charon, environ 5 × 1020 kg de débris principalement glacés sont produits, dont 1020 kg restent liés au système, ce qui correspond à des milliers de fois plus que la masse des petites lunes. Une analyse préliminaire suggère cependant qu'une grande partie de ce disque de débris sera accrétée sur Charon, ce qui augmente sa fraction de masse de glace.
Source
Capture of an ancient Charon around Pluto
Adeene Denton et al.
Nature Geoscience (6 january 2025)
https://doi.org/10.1038/
Illustrations
1. Simulation de la collision Pluton-Charon (Denton et al.)
2. Adeene Denton
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