23/07/25

Des étoiles "immortelles" dans le centre galactique grâce à la matière noire


Le diagramme de Herzprung Russell est une représentation graphique représentant toutes les étapes possibles de la vie des étoiles, en montrant la distribution de leur luminosité en fonction de leur masse qui forme notamment ce qu'on appelle la séquence principale. Une équipe d’astrophysiciens vient de calculer pour la première fois à quoi ressemblerait ce diagramme HR dans les cas où les étoiles baigneraient dans une forte concentration de matière noire qui influerait sur elles en leur apportant de l’énergie additionnelle. On obtient une nouvelle séquence principale avec des températures bien plus basses pour une luminosité équivalente, de quoi faire le lien avec les étoiles apparemment jeunes qui sont observées dans le centre galactique et dont la présence est mal comprise. Et ces étoiles pourraient être éternelles, la matière noire leur fournissant de l’énergie en continu… L’étude est publiée dans Physical Review D.

Au cours de leur vie, les étoiles évoluent le long de trajectoires bien établies au sein desquelles un équilibre entre la force gravitationnelle et la pression de la fusion nucléaire peut être maintenu. Leur spectre de corps noir établit également un lien direct entre leur luminosité, leur température et leur rayon. Ces relations sont visibles sur le diagramme de Hertzprung-Russell, qui représente les luminosités et les températures stellaires observables, traçant les différentes trajectoires que les étoiles empruntent au cours de leur vie en fonction de leur masse.

Cette image standard de l'évolution stellaire suppose que la fusion nucléaire est le seul processus capable de fournir un support de pression à l'étoile. Cependant, dans l'Univers jeune, ou dans les régions très proches du centre des galaxies, où la densité de particules de matière noire devrait être maximale, l'annihilation de ces particules/antiparticules peut constituer une source d'énergie supplémentaire considérable. Dans les cas extrêmes, l'annihilation de la matière noire peut faire reculer les étoiles le long des diagrammes HR vers des configurations protostellaires (ce qu’on appelle la trajectoire de Hayashi) produisant des étoiles qui ont des rayons extrêmement grands et des températures basses par rapport aux étoiles standard. Dans certains cas, l'annihilation de la matière noire peut aussi entraîner la dislocation totale des étoiles.

Isabelle John (université de Stockholm) et ses collaborateurs ont calculé pour la première fois l'évolution de la séquence principale sous l'influence d'une injection significative d'énergie issue de l’annihilation de la matière noire dans le cœur des étoiles. Ils ont construit un nouveau diagramme HR dans lequel apparaît une nouvelle séquence principale, dite séquence principale sombre. Plus précisément, ils y découvrent l’existence d’une nouvelle branche d'étoiles de masse plus élevée, qui se distinguent de la séquence principale standard d'un point de vue observationnel. La stabilité de ces étoiles est analogue à l'équilibre hydrostatique des étoiles standard : lorsque l'étoile se dilate, le taux de capture de matière noire peut diminuer, ce qui provoque une nouvelle contraction de l'étoile. Et l'accrétion continue de matière noire permet à ces étoiles de maintenir l'équilibre éternellement, selon les chercheurs, ce qui fait que la séquence principale sombre domine la population stellaire.

À ce jour, le nombre d'étoiles connues dans le parsec interne du centre galactique est limité, et un plus grand nombre d'étoiles est nécessaire pour détecter de manière robuste tout effet éventuel de la matière noire. John et ses collaborateurs estiment que ce sera possible avec les prochains télescopes de la classe des trente mètres, qui mesureront de nombreuses nouvelles étoiles près du centre galactique. D’après les astrophysiciens, les étoiles du centre de notre galaxie qui sont déjà connues sont en fait déjà très intéressantes car elles révèlent de nombreuses anomalies qui pourraient être résolues par la séquence principale sombre, selon John et ses collaborateurs.

Les modèles de formation stellaire suggèrent que les étoiles ne peuvent pas se former à moins de ∼0,1 pc du trou noir central. Et c’est justement là où se trouvent les étoiles de l'amas S, les étoiles les plus proches de Sgr A*. On pense aujourd’hui que ces étoiles doivent s'être formées ailleurs et avoir migré vers le centre galactique. Mai a contrario, les observations suggèrent que les étoiles de cette région sont jeunes ( ≲15 Mégannées), ce qui indique que ces étoiles pourraient s'être formées plus localement... La tension entre ces deux observations est connue sous le nom de « paradoxe de la jeunesse » : les étoiles du centre galactique sont aussi brillantes que des étoiles jeunes mais présentent des caractéristiques spectroscopiques d'étoiles plus évoluées. En outre, il existe aussi une « énigme de la vieillesse », qui décrit la rareté des étoiles vieilles et évoluées, malgré le fait que les modèles prédisent qu’on devrait détecter de nombreuses étoiles évoluées. Enfin, les observations indiquent que la fonction de masse initiale des étoiles près du centre galactique est étonnamment lourde au sommet (c’est-à-dire biaisée en faveur des étoiles à haute masse). Les observations indiquant que la distribution des naissances stellaires se situe entre dN/DM ~ 𝑀-1,7 et ~𝑀-0,45, alors que l'indice de Salpeter standard dN/DM (la distribution des masses initiales) est ~𝑀-2,35. Ces observations anormales sont propres aux étoiles du Centre Galactique, et ne sont pas bien expliquées par les modèles conventionnels d'évolution stellaire.

Or, le centre de la galaxie est exactement l'endroit où la densité de matière noire serait suffisamment élevée pour que l'annihilation de la matière noire remplace substantiellement la fusion nucléaire comme source d'énergie stellaire, ce qui permettrait aux étoiles de rester éternellement jeunes malgré leur âge avancé. 

Ca expliquerait le paradoxe de la jeunesse (parce que les étoiles ont eu suffisamment de temps pour migrer vers le centre galactique). Et ça expliquerait également l'énigme de la vieillesse (parce que les étoiles continuent à résider sur la séquence principale ou à proximité). L'effet est maximisé dans les étoiles de masse relativement élevée ( ≳5𝑀⊙), alors que les étoiles moins massives ont tendance à évoluer vers l'arrière le long de la bande de Hayashi dans le diagramme ou à être entièrement perturbées. Cela implique mécaniquement que la distribution stellaire devrait avoir une fonction de masse initiale très élevée. Et c'est ce qui est observé aujourd'hui...

John et ses collaborateurs, en prenant en compte l'effet de l'annihilation  de la matière noire à l'intérieur des étoiles, ont en fait simulé une population stellaire complète qui inclut, pour la première fois, les étoiles les plus massives, qui correspondent aux étoiles récemment détectées dans la partie la plus interne de la Galaxie.

Cette nouvelle séquence principale sombre présente donc trois caractéristiques qui la distinguent clairement de l'évolution stellaire standard de la séquence principale classique :

(1) une fonction de masse initiale lourde au sommet, produite par l'élimination efficace des étoiles de faible masse de la séquence principale vers des emplacements sur les bandes de Hayashi ou au-delà,

(2) une bande de Hayashi brillante et densément peuplée, produite par les étoiles de plus faible masse de la séquence principale qui atteignent des équilibres éternellement stables dans des configurations à grands rayons stellaires et à basses températures,

(3) une bande de Henyey brillante et densément peuplée aux masses plus élevées, peuplée d'étoiles pratiquement immortelles (avec une durée de vie typique  >10  Gigannées), des étoiles de grande masse avec des luminosités similaires mais des températures légèrement inférieures à leurs configurations de la séquence principale classique.

Donc les trois anomalies dans les observations stellaires du centre galactique peuvent être expliquées simultanément par l'évolution stellaire le long de la séquence principale sombre. La fonction de masse initiale très dense, le paradoxe de la jeunesse et l'énigme de la vieillesse. Elles peuvent être expliquées si les étoiles de masse relativement élevée sont alimentées indéfiniment par l'annihilation de la matière noire. 

Les prédictions de population stellaire auront des implications importantes pour les observations extrêmement difficiles des étoiles du centre galactique. Vérifier ou infirmer l'évolution de la séquence principale sombre nécessitera la détection de nouvelles étoiles pour un échantillonnage suffisant et une population suffisante de la séquence principale sombre. Cela sera possible grâce à de nouveaux télescopes, ceux de la classe des 30 mètres, ou grâce à des étoiles supplémentaires du groupe S entourant Sgr A*  mesurées avec le Very Large Telescope ou le télescope Keck. En détectant la séquence principale sombre, les futurs télescopes offriraient ainsi une nouvelle voie de découverte de la matière noire.


Source

Dark branches of immortal stars at the Galactic Center

Isabelle John et al.

Phys. Rev. D 112 (18 July, 2025)

https://doi.org/10.1103/PhysRevD.112.023028


Illustration

1. La séquence principale "sombre" (à droite) comparée à la séquence principale standard du diagramme de Herzsprung-Russell

2. Isabelle John

19/07/25

Observation d'un possible trou noir supermassif formé par effondrement direct de gaz


Avec des observations du télescope Webb, une équipe d'astrophysiciens a découvert un objet inhabituel situé à un redshift de z = 1,14,. Ils l'ont surnommé la galaxie (infini). Il s'agit de deux noyaux de galaxies séparés de 10 kpc, au milieu desquels se trouve un trou noir supermassif. L'analyse de ce qui a pu se passer dans ce système mène vers une formation du trou noir supermassif par l'effondrement direct du nuage de gaz compressé formé lors de la collision frontale de deux galaxies à disque. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal Letters.

La lumière proche infrarouge au repos de la galaxie ∞ est dominée par deux noyaux compacts avec des masses stellaires d'environ 100 milliards M. Les deux noyaux sont entourés d'un anneau ou d'une coquille proéminente, donnant à la galaxie l'apparence d'un huit ou d'un symbole ∞. La morphologie ressemble à celle du système nommé II Hz 4, où la collision frontale de deux galaxies à disques parallèles a conduit à la formation d'anneaux collisionnels autour de leurs deux renflements. La spectroscopie avec le télescope Keck, les données radio du Very Large Array et les données X du télescope spatial Chandra montrent que la galaxie ∞ abrite un trou noir supermassif qui est en accrétion active avec une luminosité radio et X de type quasar.

Mais ce qui est remarquable, c'est que ce trou noir supermassif ne soit associé à aucun des deux noyaux galactiques, mais se situe exactement entre eux en termes de position et de vitesse radiale. De plus, à partir de l'émission excédentaire dans le filtre NIRCAM F150W de Webb, Pieter Van Dokum (Yale university) et ses collaborateurs déduisent que le trou noir est intégré dans une distribution étendue de gaz émetteur Hα , avec une largeur équivalente au référentiel au repos comprise entre 400 Å et 2 000 Å. Le gaz couvre toute la largeur du système et a probablement été choqué et comprimé au site de collision, dans un équivalent à l'échelle galactique de ce qui s'est produit dans l'amas du Boulet. 

Après avoir testé différentes hypothèses pour expliquer cet étonnant arrangement, comme la présence d'une éventuelle troisième galaxie, ou bien un trou noir supermassif qui se serait échappé de sa galaxie d'origine, Van Dokkum et ses collaborateurs en arrivent à la conclusion que le trou noir s'est formé in situ, là où il est encore observé. Ce serait en fait plutôt une conséquence de la morphologie inhabituelle du système et expliquerait également sa position et sa vitesse radiale.

Dans ce scénario, le gaz ionisé entre les noyaux galactiques est choqué et comprimé par la récente collision entre les deux galaxies. Selon les chercheurs, il est possible que le trou noir se soit formé suite à l'effondrement gravitationnel incontrôlable d'un nuage ou d'un filament au sein de ce gaz. Ce scénario relie le trou noir au nuage de gaz dans lequel il est enfoui et explique pourquoi sa vitesse radiale se situe exactement entre celles du gaz dans les deux anneaux galactiques.

Cette idée est qualitativement similaire aux modèles de formation de « graines lourdes » qui ont longtemps été proposés pour l'origine des trous noirs supermassifs au centre des galaxies. Alors que le modèle dominant pour l'origine des trous noirs supermassifs reste celui fondé sur une évolution à partir de trous noirs stellaires d'environ 1000 M⊙ issus de la première génération d'étoiles (population III) , l'effondrement direct de nuages de gaz prégalactiques d'environ 10 000 à 100 000 M⊙ est une alternative importante aujourd'hui. Les simulations montrent en effet que l'absence de métaux dans ces premiers objets baryoniques, combinée aux champs de rayonnement externes et à la dynamique violente des gaz associée à la formation du halo, peut créer des conditions propices à la formation de trous noirs supermassifs. Et récemment, ces modèles ont reçu une attention renouvelée, car les premiers résultats du télescope Webb indiquent que de nombreuses galaxies ont des masses de trous noirs relativement élevées pour leur masse stellaire.

Van Dokkum et ses collaborateurs précisent néanmoins que la similitude avec les modèles d'ensemencement des premiers trous noirs supermassifs n'est que superficielle, car le gaz de la galaxie est riche en métaux et ne se trouve pas au centre du halo. Mais ils rappellent aussi  que des études à haute résolution des conséquences de fusions riches en gaz ont montré que des trous noirs peuvent se former dans les régions centrales du résidu, même si le gaz est riche en métaux (L. Mayer et al. 2010 , 2015 ). Dans ce canal de formation, c'est la turbulence et la pression thermique, plutôt que l'absence de métaux, qui empêchent la fragmentation et la formation d'étoiles. Le gaz de la galaxie est actuellement réparti sur une région d'environ 10 kpc (distance projetée), mais il est concevable que des conditions extrêmes similaires aient été atteintes localement au moment de la collision des deux galaxies progénitrices, selon les chercheurs.

Il faut préciser également que, dans ce scénario, les deux noyaux galactiques ont toujours leurs propres  trous noirs supermassifs. Les dispersions de vitesse stellaire des noyaux galactiques sont d'environ ∼300 km s-1 sur la base de leurs tailles d'environ 1 kpc et de leurs masses d'environ ∼100 milliards de M⊙ . La relation M trou noir – σ implique des masses de trous noirs d'environ ∼1 milliard M⊙ pour des dispersions dans cette gamme. Ils n'ont en revanche pas été détectés par leur activité radio ou X.

Comme nous l'avons dit, la morphologie inhabituelle de la galaxie ∞ peut être expliquée par une collision frontale de deux galaxies à disque, conduisant à la formation d'anneaux de collision autour des deux bulbes survivants. Dans ce contexte, on peut utiliser les propriétés observées de la galaxie pour déterminer sa géométrie 3D approximative. En supposant que les anneaux sont intrinsèquement ronds, leur rapport d'axe observé de b / a  ≈ 0,77 implique un angle par rapport au plan du ciel de ≈40°. La distance physique entre les deux noyaux est alors de ≈15 kpc. 

Les astrophysiciens utilisent alors la géométrie déprojetée pour estimer Δ t , le temps écoulé depuis la collision. La différence de vitesse radiale déprojetée entre les côtés SE et NO du système est d'environ 260 km s-1, et pour une séparation déprojetée de 15 kpc, ils obtiennent Δ t  ∼ 50 Mégannées. Cet intervalle de temps est cohérent avec les échelles de temps typiques pour la formation d'anneaux de collision dans les simulations. 

Dans le contexte du modèle d'effondrement direct, le temps écoulé donne une estimation approximative de la masse initiale du trou noir supermassif. Pour une efficacité radiative standard de η  ≈ 0,1, un trou noir qui accrète au taux d'Eddington augmente sa masse d'un facteur d'environ 3 sur 50 Mégannées. Pour une masse actuelle de 1 million de M⊙, cela donne une masse initiale d'environ 300 000 M ⊙. 

L'hypothèse selon laquelle des trous noirs peuvent se former tardivement dans des galaxies en interaction n'est pas nouvelle ; par exemple, K. Schawinski et al. ont suggéré en 2011 que la présence de plusieurs AGN dans une galaxie agglomérée à z = 1,35 pourrait être due à une formation in situ et à un ensemencement tardif. Le trou noir actif de la galaxie se distingue de deux manières importantes : il constitue peut-être l'exemple le plus clair à ce jour d'un trou noir supermassif situé en dehors d'un noyau de galaxie, et le mécanisme spécifique proposé pour sa formation peut être testé par des simulations et des observations complémentaires.

La collision frontale de galaxies peut être simulée avec de fortes contraintes observationnelles sur les conditions post-collision (telles que la position des noyaux, la morphologie des anneaux, la localisation et la morphologie du gaz, et les vitesses radiales observées). Il se pourrait qu'une analyse approfondie des conditions physiques dans les nuages en collision démontre que les trous noirs supermassifs ne peuvent pas se former dans ce scénario. Dans ce cas, nous observerions probablement la réinflammation d'un trou noir supermassif errant ou éjecté lors de son passage à travers le gaz dans les régions centrales de la galaxie . Mais s'il s'avère possible de former des trous noirs supermassifs dans ce type de collision galactique, nous en apprendrons beaucoup sur le processus grâce à cet objet singulier. Par exemple, il se pourrait que l'effondrement soit hiérarchique, avec des fusions d'étoiles massives conduisant à la formation de trous noirs de masse intermédiaire et de multiples trous noirs de masse intermédiaire fusionnant pour former le trou noir que nous détectons actuellement. 

D'autres tests proviendront bien sûr d'observations. La spectroscopie exploité dans cette étude est limitée dans sa résolution spatiale et ne couvre pas les principales raies d'émission optique Hα , [N II ] et [S II ]. Ces raies sont inaccessibles depuis le sol en raison de l'absorption de H2O dans notre atmosphère, mais elles peuvent être observées avec le télescope Webb. Avec NIRSPEC, la présence du gaz émettant des raies entre les noyaux pourrait être confirmée, les vitesses radiales des noyaux pourraient être mesurées directement et la transition prédite entre la photoionisation près du trou noir et l'ionisation par choc plus loin pourrait aussi être observée. De plus, tout décalage de vitesse radiale entre le trou noir et le gaz environnant pourrait être mesuré avec précision. La preuve la plus convaincante d'un effondrement gravitationnel incontrôlable au sein de ce gaz serait l'observation de l'absence de décalage : cela serait difficile à concilier avec un trou noir errant ou éjecté qui possède une vitesse non négligeable, et c'est une prédiction du modèle de formation in situ.

Si le scénario proposé est confirmé, la galaxie fournit une démonstration empirique que la formation de trous noirs supermassifs par effondrement direct peut se produire dans les bonnes circonstances – quelque chose qui n'a jusqu'à présent été vu que dans des simulations et par des observations indirectes...


Source

The ∞ Galaxy: A Candidate Direct-collapse Supermassive Black Hole between Two Massive, Ringed Nuclei

Pieter van Dokkum, et al.

The Astrophysical Journal Letters, Volume 988, Number 1 (15 july 2025)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/addcfe


Illustrations

1. Schéma du scénario proposé pour la formation du trou noir supermassif au centre du système (Van Dokkum et al.)

2. La galaxie imagée avec Webb (Van Dokkum et al.)


04/07/25

Découverte d'une explosion de naine blanche en dessous de la limite de Chandrasekhar


Les supernovas de type Ia jouent un rôle fondamental en tant que "chandelles standard" pour étudier l’accélération apparente de l’expansion de l’Univers et pour mesurer son taux actuel. Le principe de chandelle standard repose en grande partie sur le fait que les supernovas de type Ia, l’explosion thermonucléaire d’une étoile naine blanche, survient toujours lorsque la naine blanche atteint la masse critique de Chandrasekhar (1,4 masses solaires) par apport de masse externe. Mais une nouvelle observation d’un jeune résidu de supernova indique que l’explosion a eu lieu bien en dessous de 1,4 masses solaires… Et si les supernovas de types Ia n’étaient pas les chandelles standard que l’on croit ? L’étude est parue dans Nature Astronomy.

Malgré leur importance capitale, la compréhension complète des systèmes progéniteurs des supernovas Ia et de leur mécanisme de déclenchement reste un problème fondamental encore aujourd’hui. Dans une naine blanche composée de carbone et d'oxygène et approchant la masse de Chandrasekhar, l'augmentation de la densité centrale déclenche inévitablement une combustion nucléaire. La masse d'explosion presque constante que fournit le modèle d'explosion à la masse de Chandrasekhar était une explication de l'homogénéité attribuée aux supernovas de type Ia. Mais des données d'observation de plus en plus nombreuses remettent en question la notion d'homogénéité des supernovas de type Ia, et une masse fixe semble même problématique pour reproduire la relation largeur spectrale-luminosité, qui est vitale pour calibrer les supernovas de type Ia en tant qu'indicateurs de distance cosmologique.

En fait, il apparaît que la relation largeur-luminosité s'explique plus naturellement par une masse variable des naines blanches et qui serait inférieure à la limite de Chandrasekhar. En outre, la capacité de faire croître les naines blanches jusqu'à la masse de Chandrasekhar limite les paramètres du système binaire progéniteur à une gamme étroite, de sorte que le taux de supernovas de type Ia qui est observé aujourd’hui est difficile à concilier avec le nombre attendu de systèmes compatibles avec le scénario d'explosion à la masse de Chandrasekhar. Il faut donc envisager d'autres scénarios impliquant des explosions d'étoiles naines blanches carbone-oxygène bien en deçà de la limite de Chandrasekhar.

La collision frontale de deux naines blanches peut sembler prometteuse pour produire des explosions de supernovas de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar, mais ce scénario n'est pas privilégié par les astrophysiciens car les taux d'occurrence prévus sont trop faibles. Le scénario actuellement le plus prometteur pour l'explosion d’une naine blanche de masse inférieure à 1,4 masses solaire, c’est celui dit de la « double détonation ». Dans ce scénario, une naine blanche carbone-oxygène recueille de la matière riche en hélium provenant d'une compagne (d'une étoile à hélium ou d'une autre naine blanche riche en hélium, ou de la fine couche d'hélium préexistante au sommet d'une naine blanche carbone-oxygène lors d'événements de fusion). Dans cette couche d'hélium, une détonation thermonucléaire est déclenchée soit par un chauffage par compression lorsque la couche d'hélium devient suffisamment massive, soit par des instabilités dynamiques. Cette première détonation se propage ensuite à travers la fine couche d'hélium et provoque une onde de choc dans le noyau carbone-oxygène, où elle se concentre sphériquement dans un petit volume. La compression et l'échauffement du cœur de carbone-oxygène déclenchent une seconde détonation dans le cœur et font exploser complètement la naine blanche de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar.

Bien que de nombreuses simulations indiquent que le mécanisme de double détonation est possible, elles n'ont pas encore permis de déterminer les échelles spatiales sur lesquelles la détonation primaire de l'hélium doit apparaître. Même si elles sont incapables de déterminer les détails de l'allumage des détonations nécessaires, ces simulations fournissent tout de même des informations essentielles sur la structure, la morphologie et les spectres précoces d'une supernova de type Ia à double détonation.

En termes de nucléosynthèse par double détonation, les explosions dans le noyau de carbone-oxygène et dans la couche externe riche en hélium donnent des produits qualitativement différents. En effet, le type de combustible (carbone-oxygène ou hélium) et les densités (densité plus élevée dans le cœur et plus faible dans la couche externe) diffèrent considérablement, d'environ deux ordres de grandeur. Dans le cœur, la densité du combustible est le paramètre clé qui détermine l'issue de la combustion nucléaire explosive. Pour les densités supérieures à 7 × 106 g cm-3, la combustion est presque complète et les éléments du groupe du fer, en particulier le noyau radioactif 56Ni, dominent les rendements de la nucléosynthèse. Aux densités « intermédiaires », plus éloignées du centre du noyau, l'échelle de temps de la fusion nucléaire devient de plus en plus longue et l'expansion rapide de la supernova conduit à un gel des réactions nucléaires avant que la combustion en éléments du groupe du fer ne soit achevée. En conséquence, la synthèse d'éléments de masse intermédiaire domine dans ces régions, les éléments intermédiaires les plus lourds comme le calcium étant relativement plus abondants à l'intérieur et les éléments les plus légers comme le silicium ou le soufre devenant relativement plus abondants à mesure que la densité du combustible diminue vers l'extérieur. Finalement, la densité devient trop faible (3 × 106 g cm-3) pour que l'oxygène puisse brûler et seul le carbone continue à brûler pour donner des éléments légers comme l'oxygène, le néon et le magnésium. Une structure en couches se forme dans le résidu.

À des densités encore plus faibles, la composition du combustible change rapidement, là où commence la couche d'hélium. Il faut rappeler qu'en raison de sa barrière de Coulomb plus faible, l'hélium 4 est plus réactif et que des détonations dans l'hélium sont possibles jusqu'à des densités beaucoup plus faibles. Comme dans le cas du noyau carbone-oxygène, les détonations à enveloppe d'hélium produisent une progression en couches radiales de la masse atomique des produits de combustion, les éléments les plus lourds comme le chrome, le fer ou le nickel étant synthétisés de préférence dans les parties internes et plus denses de l'enveloppe d'hélium ; les éléments plus légers comme l'hélium non brûlé, le carbone ou l'oxygène se trouvent dans les parties externes et moins denses de l'enveloppe d'hélium, et les éléments de masse intermédiaire comme le silicium ou le soufre se trouvent entre les deux.

Compte tenu de ces modélisations des signatures nucléosynthétiques du noyau de CO et de la coquille d'He, les modèles de double détonation prévoient notamment  que le calcium soit concentré dans deux couches distinctes : une couche interne provenant de la région du noyau, correspondant à la combustion incomplète de la détonation de CO (à des densités de combustible de l'ordre de quelques 106 g cm-3), et une couche externe correspondant à la détonation de l'He (à des densités de combustible de l'ordre de quelques 106 g cm-3). Cette couche externe doit avoir une vitesse plus élevée dans l'éjecta de l'explosion en expansion, correspondant à la base de la coquille de He. Les modèles d'explosion de Collins et al. prédisent une telle morphologie de double coquille de Calcium, avec des éléments de masse intermédiaire plus légers que Ca, tels que S ou Si, situés entre les deux coquilles.

Alors que les simulations numériques ne peuvent à elles seules confirmer que le mécanisme de double détonation existe dans la nature, une observation confirmée de la structure à deux coquilles révélatrice fournirait une preuve directe de son fonctionnement dans les supernovas de type Ia.

À ce jour, la supernova SN 2018byg est largement reconnue comme l'un des cas les plus convaincants liant le mécanisme de double détonation à une explosion de supernova de type Ia et est mieux expliquée par un modèle qui incorpore une couche d'hélium plutôt massive.

En raison de la petite taille angulaire aux premiers instants de la supernova, la structure unique de l'« empreinte » du Ca (la morphologie à double coquille) reste spatialement non résolue aux époques proches du pic de luminosité (15 à 20 jours après l'explosion), c'est pourquoi toute déduction d'une structure d'éjecta à double coquille à partir d'observations à ces phases dépend fortement de l'interprétation des caractéristiques spectrales.

Heureusement, ces caractéristiques changent avec le temps, car la supernova se dilate continuellement. Priyam Das (University of New South Wales,  Australie) et ses collaborateurs se sont intéressés à un jeune résidu de supoernova de type Ia situé dans le Grand Nuage de Magellan qui est nommé SNR 0509-67. Ils ont réussi l'exploit de prendre un instantané spatialement résolu d'une double coquille de calcium présente dans le résidu de supernova, grâce à l'instrument MUSE (Multi Unit Spectroscopic Explorer) du Very Large Telescope. Il leur aura fallu une pose totale de 29 h 15 min sur 39 nuits réparties entre novembre 2019 et février 2021. 

La morphologie à double coquille qu'ils ont observée est constituée de calcium hautement ionisé [Ca XV] et ils ont également isolé une coquille unique de soufre ionisé [S XII], qui est observée dans l'éjecta à chocs inversés. L'analyse des chercheurs révèle que la coquille externe de calcium provient de la détonation de l'hélium à la base de l'enveloppe externe, tandis que la coquille interne est associée à la détonation du noyau carbone-oxygène. Cette distribution morphologique d'éléments intermédiaires correspond qualitativement à la signature prédite de la double détonation d'une naine blanche de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar par les simulations d'explosions hydrodynamiques. Comme les observations de Das et ses collaborateurs révèlent deux pics distincts et spatialement séparés dans la luminosité de surface de [Ca XV], cela fournit des preuves substantielles que des explosions de naines blanches de masse inférieure à la limite de Chandrasekhar par le mécanisme de double détonation peuvent bel et bien se produire dans la nature. 

Cette preuve implique que certaines supernovas Ia de type 1991T s'expliquent de manière plausible par des doubles détonations de naines blanches de masse inférieure à celle de Chandrasekhar. Les chercheurs précisent que le modèle d'explosion à double détonation de masse la plus élevée prédite par Gronow et al. en 2021 a produit 0,84 M⊙ de 56Ni, ce qui se situe dans la plage prédite pour les supernovas Ia de type 1991T. Par ailleurs, des observations récentes de SN 2022joj et SN 2020eyj suggèrent la possibilité d'un événement de type 1991T à partir de la double détonation d'une naine blanche CO. Et d'autres analyses d'observations de SN 2020eyj qui montre des preuves de matière circumstellaire riche en hélium, ont également pointé l'année dernière vers le mécanisme de double détonation.

Malgré les capacités de simulation tridimensionnelle limitées et le fait qu'à ce jour, aucun modèle d'explosion ne puisse expliquer de manière adéquate les supernovas Ia de type 1991T, les récentes simulations de transfert radiatif qui intègrent la physique de l'équilibre thermodynamique non local sont plus prometteuses. Il a notamment été rapporté récemment que les éléments lourds dans des états d'ionisation plus élevés devaient réduire les effets d'absorption, ce qui permettrait à une plus large gamme de masses de couches d'He de mieux concorder avec les spectres des supernovas Ia observées.

De récentes simulations multidimensionnelles de double détonation montrent aussi que, dans le scénario de la fusion de naines blanches, en plus de la naine blanche primaire subissant une double détonation, la naine blanche compagne peut elle aussi également subir une double détonation  lorsqu'elle est impactée par les éjectas de la naine blanche primaire en explosion. Cela résulte donc en une « quadruple détonation » dans le système. Une telle double double détonation pourrait également conduire à la structure à double coquille observée du calcium selon les chercheurs.

Bien qu'ils ne soient actuellement pas en mesure de différencier de manière concluante les différentes variantes de doubles détonations, Das et ses collaborateurs avec leur découverte peuvent dire avec assurance qu’une certaine forme de double détonation conduit bien à des supernovas de type Ia, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur l'idée de les utiliser comme des chandelles standard...


Source

Calcium in a supernova remnant as a fingerprint of a sub-Chandrasekhar-mass explosion

Priyam Das, et al.

Nature Astronomy (2 juillet 2025)

https://doi.org/10.1038/s41550-025-02589-5


Illustrations

1. Image du résidu SNR 0509-67 obtenue avec le VLT (ESO)

2. Priyam Das