lundi 24 septembre 2012

Les Bulles de Fermi

Le temps est venu de vous parler des ‘Fermi Bubbles. C’est vrai, je n’en avais pas encore parlé ici, malgré l’importance que revêt leur découverte il y a déjà deux ans… 

Les bulles de Fermi (si on accepte de parler un peu français) sont des zones du ciel, très vastes, qu’a observées le satellite Fermi-LAT, et qui émettent des rayonnements gamma très énergétiques. Jusqu’ici rien de bien étonnant. Mais il se trouve que ces zones sont situées exactement de part et d’autre du plan de notre galaxie, et forment - donc - des sortes de bulles, exactement symétriques au nord et au sud du plan galactique, avec des bordures très bien découpées et une intensité gamma très homogène sur toute leur surface. Elles ont été découvertes par une équipe américaine menée par Doug Finkbeiner du Harvard-Smithonian Center for Astrophysics, en 2010.
Les bulles observées dans les données de Fermi-LAT (NASA)

Ces bulles s’étendent sur pas moins de 27000 années-lumière, au Nord comme au Sud, soit plus de 50000 A.L en tout. Leur étendue est si grande qu’elles couvrent une très grande proportion du ciel nocturne de chaque côté de la voie lactée, qui, rappelons-le est notre galaxie vue dans son plan.

Depuis 2010, de nombreuses équipes d’astrophysiciens ont cherché à comprendre quelle pouvait être l’origine de ces zones de production de rayons gamma (d’énergie comprise entre 1 GeV et 100 GeV tout de même, excusez du peu). Et les publications se suivent et commencent à se ressembler… 

Il semblerait que les modèles tendent vers la même hypothèse : notre galaxie aurait eu une période très active il y a quelques millions d’années, elle aurait été une sorte de petit quasar pendant un laps de temps assez court, émettant des jets de matière orthogonalement à son plan de rotation. Il faudrait plutôt dire orthogonalement au plan de rotation du disque d’accrétion de notre cher trou noir supermassif Sgr A* de son petit nom. 

Car c’est bel et bien un effet associé à la présence d’un trou noir massif au centre de la galaxie qui est à l’origine de la production de jets de particules chargées à vitesse relativiste, et qui serait la cause de la production de rayons gamma dans ces bulles…

Un trou noir (supermassif ou ‘normal’) attire la matière qui se trouve à son voisinage en produisant ce qu’on appelle un disque d’accrétion : la matière s’enroule autour du trou ; en rotation rapide, la matière, composée de particules chargées (les atomes d’hydrogène se retrouvent ionisés : électrons et protons), produit un puissant champ magnétique orthogonal au plan de rotation et qui va ensuite permettre à quantité de particules chargées de littéralement s’enrouler autour en accélérant toujours plus, jusqu’à atteindre des vitesses relativistes (plus de 90% de la vitesse de la lumière). Il y a ainsi de véritables jets de particules chargées.
Comment ces particules chargées (électrons ou protons, le débat n’est pas encore tranché), peuvent-elles créer à leur tour des photons gamma sur de vastes étendues en formant des sortes de bulles ? 
Simulation de de l'effet d'un  jet de matière (Guo et al.)

C’est ce que viennent de simuler et de publier récemment une équipe d’astrophysiciens états-uniens  dans the Astrophysical Journal. Ils montrent que s’il s’agit de protons, ces derniers peuvent produire des collisions inélastiques sur des noyaux d’atome au repos, produisant alors des pions neutres (pi0) qui vont se désintégrer naturellement en photons gamma. Dans le cas d’électrons relativistes, ces derniers vont interagir par ce qu’on appelle l’effet Compton Inverse : l’électron va faire une collision élastique sur un photon de lumière, l’énergie cinétique étant conservée, il lui transfère une grande quantité d’énergie, le faisant passer d’une longueur d’onde de type visible ou infra rouge à une très courte longueur d’onde de type rayonnement gamma (on peut rappeler que l’énergie d’un photon est inversement proportionnelle à sa longueur d’onde ou encore, directement proportionnelle à sa fréquence, via la constante de Planck).

Voilà pour les phénomènes physiques de production des rayons gamma observés. Mais qu’en est-il de la forme des bulles que Fermi à mises en évidence ?

Dans leur article, Fulai Guo et William Mathews, de l’Université de Californie à Santa Cruz, se sont intéressés à reproduire la forme des bulles de Fermi (en élongation et ellipticité) en testant de nombreuses hypothèses sur les paramètres hydrodynamiques entrant en jeu et les modèles de formation. En étudiant en détails la plupart des phénomènes intervenant dans la dynamique d’un jet de matière : diffusion, advection, évolution, etc.., ils parviennent à formuler un scénario plausible qui indique l’existence d’une phase de type AGN (Active Galactic Nucleus) dans notre galaxie, qui aurait commencé il y a environ 1 à 3 millions d’années (ce qui est très récent) et aurait duré environ entre cent mille et cinq cent mille ans.

Le taux d’accrétion correspondant du trou noir supermassif qui a pu être calculé avec ces paramètres est de 0.03 masses solaires par an, une broutille : 3000 soleils engloutis en 100000 ans…
Simulation de de l'effet d'un  jet de matière (Guo et al.)

Les particules chargées formant les jets seraient principalement des électrons, pouvant produire les distributions spatiales observées en quelques millions d’années. La présence typique de deux jets symétriques de part et d’autre du centre galactique expliquerait très bien la forme bilobulaire observée. De plus, dans leur scénario, la durée des jets est beaucoup plus courte que l’âge des bulles, ce qui implique que les particules chargées ont toutes le même âge aujourd’hui, ce qui est conforme avec les mesures spectrales effectuées par Fermi, très uniformes sur l’ensemble des deux bulles.

Enfin, de tels jets doivent provoquer une forte onde de choc qui comprime et chauffe le gaz dans le halo galactique, ce qui pourrait expliquer le signal de rayons X qu’a pu détecter le satellite ROSAT autour des fameuses bulles…

Mais il reste (bien sûr) une part d’ombre, pour ne pas dire de mystère, le modèle n’est pas encore parfait…
Il s’agit des bords des bulles. Ils sont trop « lisses ». Les équations physiques indiquent qu’il devrait exister à la surface de ces bulles des instabilités dites de Kelvin-Helmholtz (voir les visualisations des simulations ci-dessus et ci-contre), or les bulles observées ne montrent aucune instabilité…

Les auteurs vont continuer à améliorer leurs scénarios, mais proposent également de poursuivre l’observation attentive des bords des bulles de Fermi, dont l’observation est rendue très délicate due à la « pollution » gamma du disque galactique aux faibles latitudes.


source :
The Fermi Bubbles. I : Possible Evidence for Recent AGN Jet Activity in the Galaxy

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