mardi 17 janvier 2017

Nouvelle mesure de la masse de la Voie Lactée avec une technique innovante



Mesurer la masse de la Voie Lactée... C'est dans cette difficile quête que s'est lancée la jeune chercheuse canadienne Gwendolyn Eadie et, au début de sa dernière année de thèse, elle vient de parvenir un peu plus près de la réponse, grâce à une nouvelle méthode utilisant la rotation des amas globulaires associée à une technique statistique avancée.




Jusqu'à présent, la meilleure estimation de la masse totale de notre Galaxie est de l'ordre de 700 milliards de masses solaires, toutes masses confondues, y compris la matière invisible, et avec des grandes incertitudes.
Mesurer la masse des galaxies n'est déjà pas facile, mais s'agissant de notre propre galaxie, le challenge est encore plus ardu, du fait que nous baignons dedans.
Gwendolyn Eadie a accepté de relever ce challenge au début de sa thèse de doctorat qu'elle mène à l'Université McMaster de Hamilton (Ontario). Ce n'est évidemment pas seulement pour connaître la valeur de la masse totale de notre galaxie, mais aussi pour mieux cerner quelle est la quantité de matière sombre qui peuple la Voie Lactée, à partir de la connaissance de la quantité de matière lumineuse, sous forme d'étoiles, de gaz ou de poussière. La méthode qu'elle a développée repose sur une idée "simple" : mesurer comment se déplacent les amas globulaires en orbite autour du centre de la Voie Lactée. Déterminer ces vitesses doit permettre d'en déduire directement la quantité de masse nécessaire pour produire ces "orbites".

Ce que Gwendolyn Eadie et ses collaborateurs apportent de nouveau dans leur étude qui a été acceptée pour publication dans The Astrophysical Journal, c'est la technique pour mesurer la vitesse des amas globulaires. La vitesse totale d'un amas globulaire doit être mesurée dans deux directions : l'une le long de la ligne de visée et l'autre, orthogonale, correspondant au mouvement propre dans le ciel. Mais les astronomes n'ont pas encore mesuré les vitesses propres de tous les amas globulaires, cette mesure étant très difficile car d'une valeur très faible. Eadie a trouvé une méthode pour utiliser quand même les amas globulaires dont les vitesses sont partiellement connues avec celles qui sont mieux connus. Il faut rappeler que notre galaxie possède 157 amas globulaires qui sont en "orbite" dans son halo.

Le problème de cette évaluation de la rotation des amas globulaires autour de la galaxie est même encore plus compliqué car les chercheurs doivent prendre en compte le mouvement des amas autour du centre de la galaxie, mais nous les observons depuis un point de la galaxie qui n'est pas au centre, mais éloigné de 8 kpc (26000 années-lumière). Tous les mouvements d'amas enregistrés doivent alors être translatés dans le bon référentiel, et cette opération s'avère particulièrement délicate lorsqu'on ne possède que des informations partielles sur le vecteur vitesse. 
Gwendolyn Eadie et ses collaborateurs ont réussi à contourner le problème en utilisant une technique statistique avancée fondée sur un modèle hiérarchique Bayesien, qui permet d'incorporer des données incomplètes ou incertaines. Dans cette méthode, une mesure peu fiable est tout de même prise en compte mais avec un impact sur le résultat final qui sera plus faible que celui d'une mesure robuste, pour être très schématique.

La valeur de la masse de notre Galaxie qu'ils obtiennent est une fourchette entre 400 et 780 milliards de masses solaires, ce qui permet donc de revoir légèrement à la baisse la quantité de matière noire nécessaire pour expliquer le comportement gravitationnel de l'ensemble.

La mesure de Gwen Eadie et ses collègues permet en outre de résoudre en plus une autre question clé à laquelle sont confrontés tous les astronomes qui veulent évaluer la masse de notre Galaxie : jusqu'où doit-on considérer la masse ? Jusqu'à quelle distance du centre ? Comme des mesures ont été effectuées dans le passé avec des distances maximales différentes, il est parfois très difficile de comparer les résultats. Les chercheurs canadiens, eux, grâce à leur mesure des vitesses des amas globulaires, parviennent à calculer un "profil de masse" : la masse en fonction de la distance du centre galactique. Dans un rayon de 125 kpc (408 000 années-lumière), la masse totale vaut ainsi entre 400 et 580 milliards de masses solaires. C'est dans le rayon dit du "viriel" (179 kpc, soit 584 000 années-lumière), que la masse estimée est comprise entre 470 et 780 milliards de masses solaires.

On constate qu'il reste encore une incertitude assez importante, mais elle ne pourra que se réduire au fur et à mesure que les astrophysiciens acquéreront des mesures plus précises des mouvements des amas globulaires. Il existe déjà un projet en cours auprès du télescope Hubble dans cet objectif, le projet HSTPROMO (Hubble Space Telescope Proper Motion Collaboration). Le calcul de Gwen Eadie pourrait également être lui-même amélioré en considérant certaines hypothèses sur la matière noire, comme le fait qu'elle pourrait être en rotation accompagnant celle de la matière ordinaire, ce que les chercheurs n'ont pas considéré dans leur calcul.

D'après Eadie et ses collègues, au delà de l'affinage de la masse de la Voie Lactée, c'est la technique statistique qu'ils ont utilisée qui s'avère vraiment très prometteuse. Alors qu'elle n'est pas très développée en astronomie, celle-ci pourrait pourtant être appliquée dans de nombreux autres cas, où une grande partie des données est incomplète ou très incertaine. Ce pourrait être une aide précieuse pour les astrophysiciens abordant l'ère du big data, notamment avec le prochain télescope LSST qui produira plusieurs teraoctets de données par jour.

En attendant ce futur radieux, la jeune chercheuse se projette déjà au delà de sa soutenance de thèse en cherchant dès maintenant de nouvelles données issues du télescope Gaia sur les mouvements de plusieurs milliards d'étoiles de la Voie Lactée, qui pourraient également être exploitées pour évaluer la masse de notre Galaxie.

Référence :

Bayesian Mass Estimates of the Milky Way: Including measurement uncertainties with hierarchical Bayes
G. Eadie, et al.
à paraître dans The Astrophysical Journal

Illustrations :

1) La galaxie spirale M101 (NASA/ESA/HST)
2) Gwendolyn Eadie
2) L'amas globulaire M22
3) L'amas globulaire M13

1 commentaire :

Nicophil a dit…

Peut-être pas plus de 5 .10^11 Ms...

Masse baryonique aux dernières nouvelles, dans https://arxiv.org/pdf/1604.08210v2.pdf p.11 :
" Adding the hot baryon mass to the visible mass of the Milky Way, gives a total baryonic mass in the range Mb = (0.8 − 4.0) .10^11 Ms, sufficient to close the Galaxy’s baryon census(Fig. 3)."

Autrement dit, le ratio Mb/Mtotale est compris entre 0,8/7,8 et 4/4,7.