samedi 26 janvier 2019

Simuler l'origine des jets des trous noirs


Ce n'est pas sans ironie que les trous noirs, ces astres invisibles, sont trouvés dans les endroits les plus brillants qui existent. C'est la force de gravitation énorme qu'ils produisent à leur proximité qui est à l'origine du rayonnement de la matière qui leur tourne autour avant d'être absorbée. L'autre source de leur rayonnement, les jets de plasma qui apparaissent au niveau de leurs pôles, est produite indirectement par les champs magnétiques qui sont induits par cette matière chargée électriquement qui tourne à une vitesse démesurée. Ces jets de particules apparaissent orthogonaux au plan du disque d'accrétion et du plan équatorial du trou noir. Aujourd'hui une équipe de physiciens américains et français vient de montrer par une simulation avancée comment ces particules de plasma sont transportées au voisinage d'un trou noir et comment elles parviennent à lui pomper son énergie de rotation... 




Cette étude a été menée au Lawrence Berkeley National Laboratory en Californie par Kyle Parfrey et ses collaborateurs, qui se sont intéressés au devenir de paires électrons-positrons créées à proximité de l'horizon d'un trou noir en rotation (un trou noir de Kerr). Ils publient aujourd'hui leur étude dans Physical Review Letters.
Les physiciens ont produit des simulations d'un plasma sans collision dans un cadre relativiste pour étudier le comportement des particules dans la magnétosphère du trou noir, c'est à dire là où le champ magnétique et la gravitation se partagent les rôles.
Plusieurs tentatives ont été menée depuis une grosse dizaine d'années pour simuler les jets des trous noirs et essayer de comprendre leur fonctionnement. Ces simulations avancées appliquent la théorie de la magnétohydrodynamique relativiste (GRMHD), qui décrit les mouvements d'un fluide magnétisé dans un espace-temps courbé. Ces simulations numériques offrent de bonnes descriptions des transferts d'énergie de la rotation du trou noir vers le champ magnétique, mais elles ont l'inconvénient de traiter le plasma comme un fluide continu avec une densité déterminée "à la main" de façon ad hoc. Or dans les jets astrophysiques réels, le plasma est si peu dense que l'approximation de fluide n'est plus valide et sa densité varie continuellement à la faveur d'interactions locales entre les particules du plasma et le champ magnétique. A cause de ces limitations, les simulations de GRMHD ne permettaient pas de modéliser correctement la conversion de l'énergie magnétique en énergie de rayonnement.
Parfrey et ses collègues ont trouvé une astuce pour contourner ce problème. Dans leurs simulations, le plasma est décrit comme une collection de particules individuelles au lieu d'un fluide continu. La densité des particules n'y est pas encore basée sur la modélisation des interactions directes avec le champ magnétique, mais les chercheurs relient la densité de leur plasma simulé au taux de production des paires d’électrons/positrons par le champ électrique local qui est lui-même induit par la dynamique du champ magnétique autour du trou noir.

Kyle Parfrey et ses collaborateurs publient des résultats pour deux configurations dans lesquelles sont impliquées un trou noir ayant une rotation de 96% de la vitesse de la lumière. La première configuration simule un seuil bas pour la création des paires électrons-positrons, conduisant à un plasma de forte densité et l'autre configuration un seuil haut menant à un plasma de plus faible densité. Les chercheurs simulent une durée très courte par manque de temps de calcul, leur simulation étant très gourmande. Ils simulent donc 12 tours du trou noir. Ce qu'ils observent, c'est que les jets semblent atteindre un état stabilisé très vite, après 6 rotations du trou noir.
Les résultats ne sont pas radicalement différents des simulations antérieures moins détaillées, mais Kyle Parfrey et ses collaborateurs observent néanmoins un phénomène très intéressant qui pourra avoir des implications importantes pour comprendre les jets des trous noirs :  ils obtiennent une grande population de particules qui possèdent une énergie relativiste négative vue d'un observateur à l'infini. Ce phénomène de création de particules d'énergie négatives "vues à l'infini" dans l'ergosphère* d'un trou noir de Kerr a été prédit théoriquement par Roger Penrose en 1971. Le physicien théoricien britannique avait montré que l'énergie de rotation d'un tel trou noir pouvait être extraite lorsque, dans un couple de particules situées dans l'ergosphère du trou noir en rotation, l'une des deux se retrouvait avec une énergie hydrodynamique supérieure à l'énergie initiale du couple et l'autre une énergie négative, vues par un observateur à l'infini. De fait lorsqu'une particule dotée d'une telle énergie négative tombe dans le trou noir alors que sa contrepartie sort de l'ergosphère sans passer l'horizon des événements, le trou noir perd de l'énergie de rotation et doit ralentir (un peu).
Parfrey et ses collaborateurs montrent par leurs nouvelles simulations que l'énergie de rotation récupérée de cette manière par leurs particules est comparable à l'énergie qui est extraite via le champ magnétique hélicoidal dans les jets de plasma, donc pas négligeable du tout.

Les modèles de jets relativistes comme celui développé par Parfrey et ses collaborateurs devraient jouer un rôle important dans l'interprétation des futures données de l'Event Horizon Telescope qui va notamment fournir des images de trous noirs très différents : Sgr A*, pas ou peu actif, et qui n'aurait quasi pas de jet (si son orientation est bien la même que celle de notre galaxie) et M87* qui, lui, très actif, montre un puissant jet de plasma.


* l'ergosphère est la région particulière entourant l'horizon des événements d'un trou noir en rotation (un trou noir de Kerr). Cette région est caractérisée par l'entraînement de l'espace-temps par le trou noir (effet Lense-Thirring) qui implique qu'aucun objet dans cette région ne peut apparaître statique. L'ergosphère est de forme de sphéroide oblate (une forme de citrouille) dont le rayon équatorial est deux fois plus grand que le rayon polaire. Elle coïncide avec l'horizon des événements au niveau des pôles.

Source

First-principles plasma simulations of black-hole jet launching,
K. Parfrey, A. Philippov, and B. Cerutti
Physical Review Letters 122, 035101 (23 january 2019)


Illustration

Vue d'artiste d'un trou noir accrétant du gaz (en vert) et produisant des jets polaires conduits par des champs magnétiques spiralant (Alexander Tchekhovskoy/Lawrence Berkeley National Laboratory)

1 commentaire :

Unknown a dit…

Puisqu'Einstein a démontré que la force gravitationnelle de Newton n'existait pas, pourquoi ne pas systématiquement remplacer le mot force par champ ? cela clarifierai les idées.