mercredi 19 juin 2019

Une viscosité très faible pour le gaz chaud des amas de galaxies


Les propriétés du gaz chaud qui peuple les amas de galaxies viennent d'être étudiées comme jamais auparavant grâce au rayonnement X qu'il produit. La viscosité de ce gaz serait bien plus faible que ce que l'on pensait, une étude parue il y a deux jours dans Nature Astronomy.




C'est le célèbre amas de galaxies de Coma, situé à 320 millions d'années-lumière et contenant un peu plus de 1000 galaxies, qui a été pris pour cible par Irina Zhuravleva (Université de Chicago) et ses collaborateurs américains, européens et japonais. Ils ont utilisé le télescope spatial Chandra, avec un total de 2 semaines d'expositions pour étudier les émission de rayons X du gaz très chaud situé entre les galaxies de l'amas. On devrait d'ailleurs plutôt parler de plasma vu sa température de l'ordre de 10 millions de degrés. Ils ont sondé les propriétés du plasma, donc, jusqu'à une échelle très petite, égale à la distance que des particules peuvent parcourir entre deux interactions. 
Les chercheurs se sont concentrés sur une zone de l'amas de Coma éloignée de son centre.  La distance moyenne séparant deux interactions de particules y atteint 100 000 années-lumière ! (le diamètre de notre Galaxie).
A partir de ces données, les spécialistes peuvent étudier la viscosité du plasma, c'est à dire comment la matière produit une résistance au mouvement en son sein. 
Le fait que la viscosité soit bien plus faible que ce qu'ils attendaient fait dire aux astrophysiciens que des mouvements turbulents peuvent aisément se développer à petite échelle dans le plasma des amas de galaxies, à l'image des volutes visibles dans une tasse de café.  
Il faut se rappeler que le gaz chaud dans l'amas de Coma est la deuxième contribution en masse derrière la matière noire, loin devant les galaxies elles-mêmes : la masse de gaz chaud est 6 fois plus élevée que la masse des galaxies... Comprendre les propriétés du gaz chaud (ou du plasma) revient presque à comprendre le fonctionnement de l'amas. Et c'est la très faible densité de ce gaz qui serait entre autres à l'origine d'une valeur faible de la viscosité apparente. Mais elle ne semble pas encore suffisante...
Pour expliquer cette valeur de viscosité plusieurs ordres de grandeurs trop basse, Irina Zhuravleva  et ses collaborateurs avancent l'idée de l'existence d'irrégularités à petite échelle dans le champ magnétique de l'amas et qui induiraient des instabilités du plasma. Ces micro-variations de champs produiraient des diffusions des particules dans le plasma composé surtout de protons et d'électrons, et donc indirectement diminuerait leur distance de libre parcours moyen.

La connaissance de la viscosité du milieu intergalactique (ou intra-amas) est importante car elle aide les astrophysiciens à mieux comprendre les importants effets de collision et fusions entre amas de galaxies et entre groupes de galaxies. La turbulence qui peut être générée au cours de phénomènes de collisions par une faible viscosité peut agir comme une source de chaleur additionnelle, ce qui peut avoir pour conséquence d'empécher les gaz de se refroidir et donc au final de former de nouvelles étoiles dans les galaxies.

L'amas de Coma est donc devenu par cette occasion aussi un véritable laboratoire astrophysique pour étudier la physique des plasmas, un état de la matière que l'on a encore beaucoup de mal à produire, et donc à étudier, sur Terre.


Source

Suppressed effective viscosity in the bulk intergalactic plasma
Zhuravleva et al.,
Nature Astronomy (June 17  2019) 


Illustration 

L'amas de Coma imagé en visible par le SDSS et par Chandra en rayons X (rose et mauve) (NASA/CXC/Univ. of Chicago, I. Zhuravleva et al; SDSS)

4 commentaires :

Xavier Seynave a dit…

Bonjour!
J'ai un peu de mal à comprendre ce qui excite ce gaz jusqu'à lui donner une température si haute, et ça doit être à cause de l'échelle de distance. Je suppose que la faible densité et les distances impliquées doivent faire de la place à d'autres phénomènes que les collisions ou l'absorption de rayonnement. Qu'y a-t-il à l'oeuvre là-haut?

Dr Eric Simon a dit…

Ce qui donne aux particules formant ce qu'on appelle le gaz chaud leur énergie si importante qu'elles produisent une température de plusieurs millions de degrés, ce sont des phénomènes un peu violents comme les supernovas, qui injectent dans le milieu une énergie considérable (par des vents de particules ou bien des ondes de chocs). Mais les atomes d'hydrogènes (décomposés en protons et électrons) sont aussi accélérés de manière moins violente par simplement l'attraction gravitationnelle des galaxies qui va les mettre en mouvement et donc les accélérer. Les interactions entre galaxies peuvent aussi jouer ce rôle. Les particules dissipent ensuite leur énergie entre elles par collisions successives, donnant une température élevée à toute une région. Il suffit d'une énergie cinétique relativement faible pour produire une énergie élevée.

Anonyme a dit…

et pas un mot sur la viscosité? A quoi bon faire des articles si on ne peut pas faire des liens entre eux... La science, c'est d'ailleurs ce qui permet de rendre cohérent un ensemble d'interprétations convergeant vers des mêmes conclusions, en résolvant les contradictions
Et là, justement, on a au moins l'impression qu'il y a une contradiction!

Dr Eric Simon a dit…

Mais vous savez, anonyme, la science est aussi faite de contradictions, qui sont justement des signes que les modèles théoriques sont imparfaits et qu'ils doivent être améliorés. Une faible viscosité du plasma ne veut pas nécessairement dire l'absence d'ondes de choc lorsque 2 amas se rencontrent. Par ailleur, l'amas de Coma peut aussi avoir ses propres particularités que d'autres amas n'ont pas. Si des observations semblent contradictoires, cela ne veut pas dire que la science s'égare, bien au contraire, c'est son moteur.