Je vous parle souvent ici des
rayonnements gamma, rayonnements X et autres rayons cosmiques ultra
énergétiques en tous genres. Il faut se rappeler que l’atmosphère de la Terre
ainsi que (et surtout) son champ magnétique, sont des boucliers très efficaces
pour nous protéger des rayons cosmiques. Ce n’est plus le cas dès lors que l’on
se trouve éloigné de ces précieux boucliers
La sonde Curiosity qui arpente actuellement la planète Mars est munie d’un
détecteur de radiations nommé RAD (Radiation
Assesment Detector). Afin de connaître en détail quelle dose de rayonnement
est subie au cours d’un trajet Terre-Mars, les scientifiques de la NASA ont mis en route ce détecteur dès
le départ de la sonde en décembre 2011, jusqu’à son arrivée en orbite de la
planète rouge en juillet 2012. Les résultats de mesure viennent d’être publiés
dans la revue Science, et ils sont
édifiants.
Schéma de l'instrumentation de Curiosity |
Deux sortes de rayons cosmiques
peuvent poser un problème de santé à de futurs astronautes durant un long
voyage : d’une part les rayons cosmiques galactiques (RCG), venant de l’extérieur
du système solaire et produisant une exposition continue, et d’autre part les particules
solaires énergétiques (PSE), qui sont sporadiquement accélérées près du soleil
lors des éruptions et des éjections de masse coronale.
Les RCG sont des particules très
énergétiques et très pénétrantes qui ne sont pas stoppées par les blindages
somme toute modeste d’un vaisseau spatial, elles sont constituées de toutes
sortes d’ions, avec une forte proportion de protons (85%) et d’hélium (particules
alpha, 14%), dont l’énergie peut s’élever jusqu’à 1000 MeV/nucléon. Le 1%
restant est constitué d’ions énergétiques à grand numéro atomique (dénommés
HZE, hauts Z énergétiques).
Les PSE sont principalement des
protons de plus faible énergie, environ quelques centaines de MeV. Les
événements PSE peuvent induire des flux très importants mais sur des périodes
très courtes. Leur énergie plus réduite que celle des RCG fait que les
blindages utilisés dans un vaisseau spatial sont plus efficaces pour les
atténuer.
A partir des flux de particules
mesurés tout au long du trajet, les physiciens américains ont calculé la dose équivalente
correspondante, de la même manière que l’on peut calculer la dose équivalente
que l’on subit quotidiennement par la radioactivité naturelle, lorsqu’on passe
une radio, ou lorsqu’on travaille à Fukushima…
Le calcul d’une dose équivalente
prend en compte toutes les différences existantes pour les différentes
particules en jeu, leur nature (proton, photon X, ion, …), leur énergie, et
leur types d’interactions avec les cellules biologiques de nos organes. La dose
équivalente est exprimée en Sievert (Sv) ou en milliSievert (mSv).
Eruption solaire, source de protons (PSE) |
Pour fixer les ordres de grandeur,
voici quelques valeurs de doses :
- Radioactivité naturelle en France au niveau de la mer : 2 mSv par an
- Limite maximale pour un travailleur de l’industrie nucléaire : 20 mSv par an
- Radio du thorax : 0,05 mSv
- Scanner abdomino-pelvien : 12 mSv
- Dose moyenne reçue en 1986 par un habitant vivant à 30 km de Tchernobyl : 50 mSv
- Dose moyenne reçue en quelques mois par un «liquidateur» de Tchernobyl : 100 mSv
- Dose reçue entre mars 2011 et mars 2012 par le « liquidateur » de Fukushima le plus exposé : 679 mSv
Le détecteur RAD de Curiosity est constitué de deux
sous-systèmes : un détecteur silicium et un scintillateur, permettant d’obtenir
deux mesures différentes et redondantes. Il était placé sur le dessus du Rover
dans la sonde Mars Science Laboratory.
Les parois de la sonde ainsi que les réservoirs de carburant fournissaient un
blindage aux rayonnements relativement représentatif de ce que pourrait être
celui d’une mission habitée.
Les mesures ont été effectuées
durant 253 jours, entre le 6 décembre 2011 et le 14 juillet 2012. Curiosity étant munie d’un générateur
isotopique au plutonium-238 étant lui-même une source de rayonnements, les
physiciens ont soustrait ce bruit de fond des mesures. Ils sont également parvenus
à isoler les deux composantes de rayonnement cosmique, et à en calculer la dose
équivalente pour chacune d’entre elles. En effet, durant le voyage, 5
événements PSE ont eu lieu.
Les résultats sont les suivants :
la dose équivalente pour les RCG vaut 1,84 mSv/jour ; la dose équivalente intégrée
pour les PSE durant les 253 jours du trajet : 24,7 mSv. Rapporté en dose
équivalente par jour, on obtient au total une valeur de 1,94 mSv/jour dont 5% provient des événements solaires.
La durée généralement envisagée par
les agences spatiales pour un trajet d’une mission habitée vers Mars est de 180
jours. En considérant un blindage de vaisseau similaire ainsi qu’une activité
solaire du même ordre que celle que connut Curiosity
sur sa route, on peut calculer facilement la dose totale subie par l’équipage
du vaisseau, sans oublier l’aller et le retour: 180x2x1,94 = 697 mSv.
Mais les astronautes ne feraient
pas uniquement un poser de pied pour repartir aussitôt ! Il faut également
tenir compte d’une certaine durée de séjour sur place. Et il se trouve que Mars
ne possède pas de champ magnétique et d’atmosphère protecteurs comme la Terre…
On peut raisonnablement penser que pour un trajet aller-retour de 1 an, la
mission devrait durer au moins plusieurs mois sur la planète rouge. Considérant
un séjour de 4 mois, soit 120 jours, la dose équivalente à ajouter se monte à
232 mSv, qui est probablement sous-évaluée car une bonne partie du temps serait
passée sans protection contre les rayonnements.
Tous comptes faits, en revenant
sur Terre sains ( ?) et saufs, nos astronautes auront été exposés à une
dose équivalente au minimum de 930 mSv
sur une durée de 16 mois.
Cette dose est égale à celle que le français moyen reçoit
naturellement au niveau de la mer (radioactivité du sol, radon, rayons
cosmiques) en 465 ans… et est bien
supérieure à celle du liquidateur de Fukushima le plus atteint…
Curieusement (ou pas) la NASA s’est
fixé une limite maximale de dose pour la totalité d’une carrière d’astronaute
il y a plusieurs années, et elle vaut 1000 mSv. Cette limite a été calculée (cyniquement)
pour correspondre à un risque de mort par cancer radio-induit de 3%... (rappelons
que les limites de doses les plus élevées chez nous sont celles de l’industrie nucléaire
est sont de 20 mSv/an). Une carrière d’astronaute serait donc équivalente à 50
ans de travailleur du nucléaire…
On voit que le chiffre obtenu
pour la dose du voyage Terre-Mars avec séjour est presque identique à la limite
fixée par la NASA.
De futurs astronautes
explorateurs de Mars ont vraiment intérêt à bien profiter de leur séjour, car il
est fort probable qu’ils auront de gros soucis de santé à leur retour, et de
toute façon, ils auront dépassé leur quota de dose et ne pourront plus jamais
espérer retourner dans l’espace…
Désolé, mes p'tits gars, c'est non, vous ne serez pas plus liquidateurs de centrale nucléaire accidentée qu'explorateurs de Mars!...
Références :
Measurements of
Energetic Particle Radiation in Transit to Mars on the Mars Science Laboratory
C. Zeitlin et al.
Science (31 May 2013) Vol. 340 no. 6136 pp.
1080-1084
Fukushima: les doses des liquidateurs
S. Huet
5 commentaires :
Même avec 3% de risque de cancers les candidats seront nombreux. La peur de la mort n'a pas arrête pas les sportifs qui ce dopes. Ce n'est pas les têtes brûlées qui manque, c'est le sous.
N’empêche 1Sv en 16 mois ça fait beaucoup si on rajoute la possibilité d'éruption solaire ça va faire bcp.
Moi qui rêvait de voir un jour l'Homme fouler le sol de la planète rouge. C'est comme un rêve de gamin qui semble finalement se révéler comme impossible ! En tout cas merci pour cet article intéressant.
Il ne s'agit pas de 3% de risque de cancer, mais bien de 3% probabilité de mourir d'un cancer du aux rayonnements. La probabilité de cancer, elle serait bien plus importante, mais on ne meurt pas toujours d'un cancer, heureusement...
Je vous relaie cet article de FuturaSciences, qu'en pensez-vous ? http://www.futura-sciences.com/press-voyage-vers-mars-radiations-seraient-tolerables-selon-curiosity_1890062_0.php
merci pour ce lien, j'y apprend que la dose de rayonnement serait un peu moindre une fois posé sur la planète rouge (grâce à la petite atmosphère martienne). Mais ça n'enlève rien sur le fait que la dose reçue au cours de l'aller-retour est monstrueuse. Presque 700 mSv. La raison pour laquelle la NASA estime qu'1 Sv est "tolérable" sur une carrière d'astronaute, c'est parce-qu'une fusée à bien plus de probabilité d'exploser au décollage que les astronautes n'ont de probabilité de chopper un cancer puis d'en mourir. C'est tout. Pour nous autres qui ne faisons pas joujou dans des fusées, ça reste intolérable...
L'exemple donné dans l'article est très parlant : c'est équivalent à passer un scanner corps entier tous les 5 jours. C'est juste horrible... Un scanner est tout sauf anodin en termes de doses. Le grand maximum "tolérable" est 1 scanner par an, et encore. Vous voyez la différence ?
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